Des équipes pédagogiques obligées à se mettre en projet, un lycée davantage tourné vers les élèves avec une classe de terminale sensiblement modifiée, c’est ce que décrit un document de travail confidentiel, établi le 10 novembre, que le Café s’est procuré. Le Café vous propose la réforme du lycée telle que le ministère la voit à cette date.
Orientation. Le ministère souhaite assurer « une meilleure orientation » ce qui passe par le choix en seconde de deux enseignements de spécialité d’1h30 hebdomadaire. Les programmes seront ajustés. Certaines disciplines (LV3, langues anciennes, EPS, arts du cirque) seront maintenues au format actuel. L’information des élèves sera améliorée grâce à l’accompagnement personnalisé. Des stages en entreprise pourront avoir lieu dans l’année scolaire. Enfin la réorientation en première sera possible grâce à un tronc commun d’enseignement (60% de l’horaire).
Accompagnement spécialisé. Chaque élève disposera de deux heures hebdomadaires d’accompagnement personnalisé de la 2de à la Tale. Il comprendra de l’aide, du perfectionnement ou des travaux en autonomie (mais les TPE sont aussi maintenus en 1ère). Ce qui est nouveau c’est sa conception : l’équipe pédagogique définira un projet d’utilisation des 2 heures. En 2de et 1ère, l’accompagnement « est organisé de manière transversale ». En terminale il est mis en œuvre dans les enseignements de spécialisation.
Initiative et responsabilisation des élèves… et des profs. Nouvelle règle : les établissements disposeront d’un volume horaire pour répondre aux besoins des élèves. Ce volume sera pris sur les horaires de dédoublement (sauf ECJS) : les heures sont maintenues mais globalisées. L’équipe pédagogique répartit ces heures pour constituer des groupes à effectifs réduits en fonction des besoins. Elle « arrête un projet d’utilisation » de ces heures et des 2 heures d’accompagnement personnalisé. Ce projet est soumis au conseil pédagogique et au C.A. « Le projet pédagogique arrêté pour l’utilisation de ces heures peut prévoir un cadre autre qu’hebdomadaire ».
Rééquilibrage des séries. Dans la voie générale, le tronc commun (français, langues vivantes, histoire-géo, ecjs, eps) permet de réunir les élèves de différentes séries, par exemple dans des groupes de compétences en langues. « La découverte en classe de 2de de la voie technologique est favorisée ».
En S le niveau en sciences est renforcé, c’est ce qui explique que les maths ne font pas partie du tronc commun. Un enseignement de spécialité de deux heures d’ « informatique et société du numérique » est créé. Les élèves peuvent aussi prendre comme enseignement de spécialité maths, SVT, physique-chimie.
En ES, un nouveau programme d’histoire–géo va jusqu’à nos jours en 2de et 1ère. En terminale c’est un enseignement hebdomadaire de 4 heures « plus orienté vers les méthodes et les outils » en vue du supérieur. Cette disposition peut laisser entendre que l’épreuve au bac pourrait être anticipée à la fin de la 1ère. En terminale les élèves choisiraient entre un enseignement d’1h30 de sciences économiques approfondies, de sciences sociales ou de maths appliquées.
En L, un enseignement de 3 heures sur les grands enjeux contemporains serait introduit, tout comme un enseignement de langues, d’arts ou de maths appliquées. L’histoire-géo évoluerait comme en série ES.
« Les séries STI et STL sont rénovées » dit le document. Mais c’est leur seule mention. Il ne dit pas comment évolue la filière STG.
Les langues. Les horaires de LV1 et LV2 sont globalisés pour faciliter l’enseignement par groupes de compétences. La série L devient « série de l’excellence linguistique ». L’enseignement est « complété par une approche plus culturelle des langues avec un enseignement de littérature étrangère en langue étrangère ». Possibilité d’apprendre 3 langues.
Le soutien scolaire. Tout élève qui le souhaite peut bénéficier d’un tutorat, assuré par un enseignant volontaire (dont documentaliste et CPE). Des stages de remise à niveau peuvent être proposés par le conseil de classe durant l’année ou les vacances. Des stages passerelles aussi pour les élèves qui souhaitent changer de série. Ces stages de 2 semaines « ne sont pas imposés aux élèves ».
Vie lycéenne. Le texte ministériel annonce une refonte des textes relatifs à l’expression lycéenne et la relance de la formation des délégués. L’engagement des élèves sera encouragé et valorisé dans le dossier scolaire.
Lycée : Une équation à plusieurs inconnues
Reconnaissons au projet de réforme du lycée qu’il s’attaque à plusieurs points faibles du lycée français et que, sans prétendre mettre l’élève au centre, il entend se préoccuper de son travail et de sa réussite. On appréciera qu’il veuille développer l’autonomie et la citoyenneté active des élèves. On goûtera également qu’il donne plus de place à l’aide à l’orientation, au soutien scolaire, à la vie lycéenne (même si sur ce dernier point on sait qu’il y a loin des intentions aux actes…). Plus généralement on soutiendra le projet de donner plus de responsabilité et d’autonomie aux jeunes comme aux adultes.
Il n’en demeure pas moins que ce projet pose de véritables défis au système éducatif. Le premier est justement celui de l’autonomie. La possibilité offerte de réorientation est intéressante mais à double tranchant. Elle peut aussi bien conduire à une sélection accrue dans les filières nobles qu’à une sous-estimation de leurs capacités par les élèves. Seul un tutorat réellement institutionnalisé pourrait permettre aux élèves d’exercer pleinement leurs droits.
Les nouvelles responsabilités accordées aux équipes pédagogiques suffiront-elles à les faire exister ? Il conviendrait aussi de leur donner les moyens de fonctionner, ce que le ministère a visiblement « oublié ». Il n’a d’ailleurs pas davantage pensé à faire exister le professeur principal. Faute de moyens et d’animateur, l’équipe pédagogique pourrait bien réduire son projet à sa plus simple expression ou, pire, encore se noyer dans les conflits personnels dans le partage des heures.
Comment mettre en place un accompagnement personnalisé sans former les enseignants ? Le ministère annonce bien un effort de formation dès 2010, mais jusqu’à maintenant on sait que c’est sur cette ligne de crédit qu’il puise quand il a des besoins…
La tentative de rééquilibrer les séries en créant de nouveaux enseignements de spécialité est-elle à même de créer une véritable propédeutique des études supérieures, moyen véritable de sortir de la hiérarchie lycéenne ? Peut-on lutter contre la hiérarchisation en ne l’attaquant que du côté du lycée, comme si elle n’était pas liée à la sélection du supérieur ?
Quel est l’avenir de la voie technologique ? Le document ne dit rien de l’enseignement professionnel et très peu de choses de la voie technologique. Partagera-t-elle le tronc commun avec les séries de voie générale ? Dans ce cas des questions pédagogiques sérieuses vont se poser. On a vu lors du bac 2009 que, si le « récalibrage » du bac STG se fait sans grand accroc, en série ST2S c’est beaucoup plus difficile. Devant un accompagnement scolaire non préparé, des équipes et des autonomies à construire, se profile le risque d’oublier les élèves en difficultés, ceux des milieux défavorisés. Il ne faudrait pas que cette réforme, encore une fois, se fasse contre eux.