Table ronde « Les Droits de l’Enfant à l’honneur »
par Bérénice Kal
Pour célébrer les vingt ans de l’adoption par l’ONU de la convention internationale des droits de l’enfant, le SNUipp a mis les petits plats dans les grands. Autour d’une table ronde, quatre intervenants ont pris le temps de tracer un tableau de l’enfance et de ses droits. Jacques Hintzy, président d’UNICEF-France, Philippe Meirieu, professeur d’université en sciences de l’éducation, Eric Favey, secrétaire général adjoint de la ligue de l’enseignement et Alain Serres, écrivain, directeur des éditions Rue du Monde ont croisé leur regard pour donner à voir la place accordée à l’enfance dans notre société. Et comme il s’agissait d’enfance, l’imaginaire des contes et le plaisir des images étaient au rendez-vous de cette soirée. Catherine Gendrin, conteuse a transporté son auditoire dans un voyage nomade autour des thèmes de la tolérance, des femmes lumineuses et battantes mais aussi des « belles histoires d’amour ». Quant à Bruno Heitz, illustrateur, il a su ponctuer, de ses dessins et avec beaucoup d’humour, le propos des intervenants.
D’entrée, Jacques Hintzy fixe le cadre en mettant en lumière l’importance de la convention internationale des droits de l’enfant, du fait de sa vision universelle des fondements du développement harmonieux de l’enfance, mais aussi la vision citoyenne qui y est attachée. « La convention doit donc inspirer tous les acteurs de la protection et du développement de l’enfance, mais aussi irriguer les stratégies de programmes dans les pays en voie de développement ». L’UNICEF s’est fixé cinq priorités : la survie de l’enfant, l’éducation primaire pour tous, la lutte contre les violences faites aux enfants, la lutte contre le sida qui touche particulièrement les enfants d’Afrique et la promotion des droits de l’enfant. Il reste donc encore de nombreux défis à relever.
Le droit à une véritable éducation globale ?
Philippe Meirieu prend le temps de faire un détour historique et sociologique pour redéfinir ce qu’est le droit de l’enfant. Cette notion a été formalisée dès la fin du 19ème siècle par Janusz Korczak. Ce pédagogue, déporté en 1942 avec les enfants de l’orphelinat du ghetto de Varsovie, fut l’un des pionniers de la pédagogie institutionnelle, qu’il a développée dans les orphelinats et qui a permis entre autre de faire valoir la liberté d’expression chez l’enfant. Pour lui, l’enfant est un être complet, mais inachevé qui doit donc être protégé. Il porte en lui l’universalité de l’humanité, mais est en même temps inachevé et fragile. Cette conception fut le fondement philosophique et pédagogique de la Convention.
Ce double statut de l’enfant ouvre des perspectives mais crée aussi des problèmes et se trouve confronté à des résistances institutionnelles ou intellectuelles, comme celles d’Alain Finkelkraut s’est attaqué à cette double conception qu’il concidère comme antinomique.
La convention des droits de l’enfant va développer cette conception à travers deux grands types de droits : « les droits à… » (avoir un nom et un prénom, des conditions de vie matérielles dessentes, une instruction…) sont les plus reconnus, et « les droits de… » qui se retrouvent dans les articles 12 à 16. « L’article 12 concerne le droit de l’enfant à être entendu sur tous les sujets qui le concernent. C’est à la fois le plus intéressant mais aussi le plus problématique. Comment prendre en compte ce droit à l’expression sans basculer dans une naïveté spontanéïste ? Peut-on accorder à l’enfant la « liberté d’opinion » sans favoriser les phénomènes d’emprise ou le caprice pulsionnel? »
Pour Ph. Meirieu, le droit à l’expression donc est fondamentalement lié au devoir d’éducation. Il s’agit d’aider l’enfant à sortir de l’infantile pour accéder à la pensée, à la réflexion, en construisant des situations qui aident l’enfant à entrer dans la culture. Eduquer à la démocratie, c’est sortir de l’égocentrisme pour construire du bien commun et faire de l’enfant « un sujet » qui s’exprime.
France : peut mieux faire ?
Mais vingt ans après, qu’en est-il de la culture démocratique qui doit accompagner la mise en oeuvre de la Convention ? Les institutions et associations éducatives, l’Ecole, les familles ont-elles pris la mesure de cette nécessaire dimension fondatrice d’une éducation humaniste ? Eric Favey répond « peut mieux faire ! » et renvoie à une responsabilité partagée entre les pouvoirs publics et les éducateurs. Il n’hésite pas à pointer une regression du droit à l’éducation en France depuis cinq ans, rappelant qu’aujourd’hui encore quelques milliers d’enfants Roms se retrouvent en dehors du système éducatif.
Mais il pointe aussi du doigt la récente réforme de l’organisation de l’école « portant atteinte au droit à l’éducation pour tous« . De la réduction du temps scolaire à l’organisation de la semaine en quatre jours centrées sur l’acquisition de fondamentaux, en passant par les stages de remise à niveau pendant les vacances scolaires, le représentant de la Ligue de l’enseignement pointe les atteintes aux droits au repos, aux loisirs, à la vie culturelle et artistique… « Ce droit à l’éducation est d’autant plus fragilisé que l’offre publique d’éducation n’est pas identique sur tout le territoire et à tout âge de la scolarité ».
Quant à l’accès à la culture, si la France est très structurée sur le plan culturel, les quartiers défavorisés et les départements ruraux sont souvent sous-équipés. Avec une regression constante de l’offre médiatique de programmes d’information et la disparition de nombreux quotidiens pour la jeunesse, celle-ci voit son droit à avoir accès à une information adaptée quasi inexistante. « Cette situation symptomatique s’est confirmée avec les états généraux de la presse qui sont restés totalement muets sur cette question ».
Malgré ce tableau plutôt sombre, la Ligue de l’enseignement tente trois axes de propositions :
− mieux s’allier entre éducateurs en élaborant des textes communs et en cherchant des temps et des moyens d’échanges et d’appuis pour faire progresser la culture de la démocratie.
− lier dans l’esprit des enfants la conscience d’être « au monde », mais aussi « du monde », en développant les actes de coopération pour permettre aux enfants d’être citoyens à part entière.
− Éduquer aux convictions : ne pas se faire piéger par la neutralité et accompagner les enfants dans l’expression de leurs convictions.
Les aider à mesurer que les lois sont universelles…Si depuis peu à l’échelle de l’histoire, les enfants sont reconnus comme des personnes, statut qui leur accorde des droits, les enfants sont-ils pour autant conscients de cette conquête? Pour Alain Serres, auteur de livres pour enfants, « en parler avec eux définit le champ des possibles pour leur propre épanouissement individuel, mais aussi pour un certain nombre de rêves sociaux qui se concrétiseront ». Cela met aussi en relief un certain nombre de responsabilités, qui découlent de leurs droits et leur incombent. Peut-on pour autant parler de devoirs de l’enfant ? Et comment les amener à s’exprimer sur ce qu’ils vivent et ce qu’ils savent de la vie des autres enfants ? Avec quels mots, quels images, quels objectifs éducatifs parler de la convention des droits de l’enfant ? « Quand un petit enfant entend parler des droits de l’enfant, il découvre que les lois qui régissent sa vie ne sont pas seulement celles de son entourage proche. Il existe des lois plus universelles qui s’imposent à tous les enfants de la planète et qui vont lui permettre de s’émanciper. Mais cela lui confère aussi des responsabilités vis à vis des autres enfants ». Cette notion de responsabilité, qui se distingue très clairement de celle de « devoirs » de l’enfant que certaines voix souhaiteraient faire émerger, permet à chaque enfant de construire une esprit de solidarité, dimension fondamentale dans l ‘éducation humaniste.
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