Apprendre à écrire en même temps qu’on apprend à lire ? C’est le point de vue qu’entend discuter malgré tout l’équipe de l’Université de Toulouse rassemblée autour de Jacques Fijalkow (EURED-CREFIT), dans la dernière livraison de la revue « Spirale ».
Malgré tout, parce qu’ « elle ne correspond pas à l’état actuel de la division de la recherche, où ceux qui s’intéressent à l’apprentissage ne sont pas les mêmes que ceux qui s’intéressent à l’enseignement… ». Pour les auteurs, la Recherche doit donc à se préoccuper de la manière dont les savoirs s’acquièrent, en contexte. Se revendiquant dans la lignée d’Emilia Ferreiro, les auteurs poursuivent le chemin de la « didactique expérimentale » qui tente de décortiquer in-situ les effets des pratiques d’enseignement.
Cette nouvelle livraison de l’équipe toulousaine, renforcée de collaboratins extérieures, traite de nombreuses préoccupations très proches du « terrain », malgré leur point de vue assumé de « chercheurs » : de quelle manière peut-on aider les élèves de maternelle à segmenter à l’écrit le flux continu de l’oral ? Comment positionner le geste de l’enseignant dans les situations d’écritures inventées ? Quel appui peut-on prendre sur la syllabe pour apprendre à écrire ? Comment les élèves s’approprient-ils la ponctuations ? Une classe organisée en cycle a-t-elle des conséquences sur les apprentissages des élèves ? Comment les adultes analphabètes se représentent-ils la langue écrite ? Chacune de ces questions, très concrètes pour un enseignant, est décortiquée par une des recherches présentées dans l’ouvrage.
Il est difficile de citer ici chacun des articles distincts qui composent l’ouvrage. Quelques exemples toutefois :
– cherchant à mieux comprendre comment le jeune élève apprend le code écrit, Véronique Creuzet et Laurence Pasa décrivent une recherche menée avec 144 enfants de grande section à qui on demande « d’écrire » une phrase du type « Lémi est un crabe » ou « Crapula est une marmotte », dans lesquelles les syllabes des mots peuvent être de structure CV (consonne/voyelle), CCV, CVC. Les trois quarts des élèves transcrivent par une seule lettre les syllabes CV, et même deux tiers pour les syllabes à trois lettres (« Lémi » est codé [LI], « Crapula » est codé [KUA], « crabe » est codé [KE]). C’est le signe que « les compétences phonologiques sont encore insuffisantes pour parvenir à l’extraction exhaustive des phonèmes », ce qui ne constituera pas totalement une surprise pour les enseignantes qui travaillent ces questions en maternelle. Pour les deux auteures, c’est donc le signe qu’il faudrait remettre en cause, dans l’apprentissage de l’écriture, l’exclusivité du modèle dominant dans « l’écriture inventée » : la syllabe. Et sans doute aussi que l’accès à la conscience du phonème ne peut être assuré, pour tous les élèves, qu’au prix d’un travail scolaire exigeant pour entraîner le transcode oral/écrit…
Partant du principe que pour apprendre à écrire, il est nécessaire d’apprendre à comprendre ce qu’est sa structure (les mots, les phrases, la ponctuation…) par une activité intellectuelle, Carmen Farré et Eliane Fijalkow considèrent donc que la découverte des unités linguistiques est un problème que les enfants ont à résoudre : le sens de « lettre », « mot » ou « phrase » est encore diffus à cinq ans. Construire un « blanc » entre les mots est notamment un apprentissage difficile, puisque le flux oral ne fait pas forcément de césure… Elles relatent une recherche visant à évaluer les effets de l’entraînement des élèves, en situation de dictée à l’adulte, de la verbalisation explicite des unités-mots.
M.-F. Morin, N. Prévost et M.-C. Archambault, rappellant que la pratique de l’écriture inventée en maternelle améliore l’apprentissage de la lecture, sans doute du fait du renforcement du questionnement sur la norme écrite, relatent une recherche au cours de laquelle elles ont comparé la manière dont les enseignantes « éveillaient » à l’écrit : utilisation de la littérature de jeunesse, travail spécifique sur la conscience phonologique, activités d’écritures fréquentes. Tout en restant prudentes sur les limites méthodologiques de leur recherche, elles en tirent la conclusion que c’est l’articulation des trois préoccupations qui conduit les élèves aux meilleures performances.
Guénola Jarno-El Hilali s’intéresse à la manière dont les manuels de lecture traitent la question de la ponctuation, et décortique les tâches proposées aux élèves dans quatorze méthodes. Elle souligne que la plupart insistent sur des activités de découverte ou des connaissances déclaratives, sans « réinvestir dans des situations de production, (et) risquent d’être artificielles et inefficaces ». Ribambelle semble se distinguer favorablement de leur point de vue, devant Quatre Saisons pour lire et Crocolivre. Sans surprise étant données ses références théoriques, Lire avec Léo et Léa se classe en queue de peloton.
C’est du côté du cycle III que se tournent Daniel Subervielle et Serge Ragano en tenant de creuser les liens entre l’orgnaisation en cycle et les acquisitions des élèves. Les classes à « cours multiples » représentent près d’une classe sur deux en école élémentaire, et ont plusieurs fois fait l’obje d’évaluations positives sur le redoublement ou les résultats aux évaluations. Toutefois, Leroy-Audouin et Suchaut (2007) pensent que cette organisation peut être néfaste lorsque ces organisations ne sont pas choisies. Reprenant la même méthodologie de recherche, leurs résultats discutent l’approche de l’IREDU : les élèves les plus fragiles leur semblent mieux progresser dans les classes de « cycle choisi », les forts progressant indifféremment quel que soit le contexte (cours unique, cycle subi ou cycle choisi). Les auteurs en tirent des hypothèses sur les raisons possibles de cet impact des classes de cycle « choisi » sur les élèves fragiles, essentiellement psychosociales : plus grande sécurité affective, continuité, cohabitation organisée (et prise en compte par l’enseignants) d’élèves aux compétences différentes, meilleurs vie sociale au sein de la classe (situations de travail en petit groupe ou en situation d’autonomie, projets d’écriture…). On pourrait y ajouter l’engagement des enseignants qui choisissent de s’investir dans ces choix d’organisation exigeants…
En conclusion, un ouvrage qui sera une ressource intéressante pour ceux qui, dans leur classe ou dans les situations de formation, sont malgré tout soucieux de mettre en œuvre la préconisation officielle des très controversés programmes 2008 : « Les apprentissages de la lecture et de l’écriture, qu’il s’agisse des mots, des phrases, des textes, menés de pair, se renforcent mutuellement tout au long du cycle. » Il ne suffit pas de l’écrire…
Revue SPIRALE numéro 44
http://spirale-edu-revue.fr/spip.php?article971