Par François Jarraud
C’était en novembre 2005. Le même jour Gilles de Robien investissait le HCE, créé par la loi Fillon pour veiller à l’application du socle commun et annonçait les « apprentis juniors » qui rayaient d’un trait de plume la notion de socle commun à tous les jeunes. C’est ce que vient de (re)faire le Sénat. Un nouveau dispositif, introduit dans le projet de loi sur la formation, permet de mettre fin à la scolarité à partir de 15 ans. L’article 13bis BB du projet de loi précise : « Les centres de formation d’apprentis peuvent accueillir, pour une durée maximale d’un an, les élèves ayant atteint l’âge de quinze ans pour leur permettre de suivre, sous statut scolaire, une formation en alternance destinée à leur faire découvrir un environnement professionnel correspondant à un projet d’entrée en apprentissage ».
Des études à l’abandon. Certes, il est bien précisé que ces futurs apprentis sont « sous statut scolaire » mais le texte n’apporte aucune précision sur la nature des études qu’ils seront censés suivre. Il est clair que l’alternance signifiera, si cet article est définitivement adopté, que la moitié du temps scolaire sera utilisé pour travailler en entreprise. Cela veut dire que ces jeunes, qui auront 15 ans mais qui auraient du être en 4ème ou en 3ème, bénéficieront de deux fois moins d’heures de français, de maths, de langues que leurs camarades.
Une procédure d’exclusion. Ce que prépare ce projet de loi c’est la relégation définitive de ces jeunes dès leur 15ème anniversaire. D’une part parce qu’ils ont justement le profil des jeunes qui ne trouvent pas de stage d’apprentissage. Une étude du Céreq a pu montrer que « l’apprentissage se compose en fait d’espaces divers… dont le plus dynamique actuellement n’est peut-être pas le mieux à même de répondre au principal enjeu des politiques de l’emploi : réduire le chômage des jeunes ». L’étude révèle que « entre 1995 et 2003, les effectifs d’apprentis ont globalement augmenté mais ils ont diminué de 13 % dans les métiers de l’alimentation et de la cuisine, de 16 % dans l’hôtellerie-restauration. Ces métiers sont pour certains saturés, tel coiffeur ou employé de pharmacie ». Résultat : pour les jeunes peu qualifiés l’apprentissage n’est pas, pour le Céreq, une réponse efficace. Le succès de l’apprentissage se fait ailleurs sur le territoire du « nouvel apprentissage » qui est investi massivement par l’enseignement supérieur.
Le projet de loi prévoit bien une possibilité de retour à l’école à l’issue de l’année de projet d’apprentissage. Mais l’expérience du DIMA et de l’apprentissage junior nous éclaire sur le sort réel de ces jeunes. Ayant un niveau faible, supportant mal l’école, déjà déscolarisés, tout porte à craindre une rupture définitive avec l’Ecole sans aucun diplôme. C’est bien la relégation des jeunes en difficulté que prépare ce texte du Sénat.
En 2005, J.-Y. Rochex écrivait : « l’issue n’est pas, est moins que jamais dans le renoncement. Elle est dans une politique sociale et scolaire d’urgence et massive, qui traite les problèmes, non en aval, quand le réalisme conduit à penser qu’il ne reste qu’à choisir entre la peste et le choléra, mais le plus précocement possible, dès les toutes premières classes et en particulier dès l’entrée en « littéracie ». Le Sénat a choisi d’enfermer dans l’échec des jeunes de 15 ans.
Le projet de loi
http://www.senat.fr/dossierleg/pjl08-578.html
Sur le DIMA
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/04[…]
Sur l’apprentissage junior
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pa[…]
Le Se-Unsa contre la remise en cause de la scolarisation commune jusqu’à 16 ans par le Sénat
» Le SE-UNSA attend de la représentation nationale qu’elle porte pleinement les objectifs de la loi de 2005 au lieu de lui porter des coups de canif. » Dans un communiqué publié le 25 septembre, le Se-Unsa critique l’initiative sénatoriale incluse dans la loi sur le formation de créer un « projet d’apprentissage » qui met en pré-apprentissage les jeunes de15 ans.
« Depuis son avènement, il y a plus de trente ans, des dispositifs spécifiques n’ont cessé d’écorner l’idéal de la scolarisation commune de tous les élèves jusqu’à 16 ans » écrit le Se-Unsa. « Avec l’adoption du socle commun de connaissances et de compétences, cette époque devrait être révolue. On n’en est que plus surpris de l’initiative incongrue prise par les sénateurs ».
Le syndicat s’inquiète également du devenir des évaluations de CE1 et CM2. Dans une lettre ouverte adressée à Luc Chatel, le Se-Unsa rappelle que « ce dispositif, organisé sans aucune concertation préalable, a fait l’objet de très vives critiques de la part des enseignants » et que « malgré les pressions hiérarchiques et en dépit des incitations financières, les consignes syndicales, lancées notamment par le SE-UNSA, ont été largement suivies dans les écoles ».
Le Se-Unsa demande au ministre « d’engager rapidement une concertation pour construire un outil d’évaluation permettant une régulation effective et efficace des enseignements et garantissant véritablement la confidentialité des résultats, cela dans le souci de la réussite de tous les élèves ».
Communiqué
http://www.se-unsa.org/spip.php?article1676
Communiqué sur les évaluations CE1 CM2
http://www.se-unsa.org/spip.php?article1860
Formation : La décentralisation attaquée par le gouvernement
La formation professionnelle va-t-elle échapper aux régions ? Les députés PS avaient obtenu le retrait d’un article qui soumettait organismes de collecte des fonds à une convention signée avec l’Etat. La Commission mixte paritaire (Sénat et Assemblée) qui doit proposer le texte définitif aux deux assemblées, a rétabli cet article.
Le projet de loi prévoit déjà que les plans régionaux de formation devront obtenir l’accord de l’Etat. C’est une compétence essentielle des conseils régionaux qui pourrait être supprimée et finalement la décentralisation remise en question.
Quel équilibre entre Etat et pouvoir local ? En 2007, Nathalie Mons estimait que cet équilibre n’était pas atteint. « Il ne faut pas être pour ou contre la décentralisation mais plutôt se poser la question suivante : quelles compétences doivent être transférées à quels acteurs, dans quelles conditions ? Si dans certains cas, la décentralisation politique peut être positive, le rôle de l’Etat central reste cependant crucial, mais ce rôle se renouvelle, il intervient davantage dans la conception, le guidage, l’évaluation du système que dans sa gestion directe. Il doit être l’animateur des politiques développées par les collectivités locales, ce qui n’est pas encore assez le cas en France ». Entre animation et domination, l’Etat français saura-t-il, au regard de son histoire jacobine, choisir la voie vertueuse ?
Dossier législatif
http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/orientatio[…]
Le plan Sarkozy et la décentralisation
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/09/[…]
N Mons : La France fait-elle le bon choix ?