« Mais la grammaire, à quoi ça sert ? » Poser la question aux élèves, et lire leurs réponses, c’est plonger dans l’abîme du sens des savoirs scolaires pour les élèves. Parce qu’elles ont appris à s’y mouvoir avec des repères, J. Dion et M. Serpereau proposent un guide pour l’action qui devrait séduire les plus exigeants.
« Mettre les élèves en position d’apprenti-grammairiens ». Le défi pourrait paraître démesuré, puisqu’il a pour ambition de réconcilier les élèves les plus rétifs avec le plaisir de la maîtrise des outils de la langue… Décrivant par le menu une « démarche » à mener pendant plusieurs séances pour reconstruire un sens à une activité vécue comme purement « scolaire », entendu au sens d’inutile et excessivement normatif (au mauvais sens du terme) par ceux qu’elle met en échec. On suit donc pas à pas le récit d’un groupe d’élèves sommée de « classer » les mots d’un texte. On découvre que les tâtonnements (très précisément guidés par l’enseignant !) ont bien des points communs avec les différentes grammaires que les érudits construsirent progressivement au cours des siècles, avec de nombreux retournements de perspectives, pour faire la différence entre classes et fonctions, entre verbes d’état et verbes d’action, ceux qui ont besoin d’un complément et ceux qui vivent très bien seuls… Par quelques brefs encadrés habilement disséminés dans l’ouvrage, les auteurs en profitent pour amener quelques synthèses théoriques qui éclairent leur propos.
Quelques dizaines de pages plus loi, on s’attaque à la redoutable conjugaison, toujours avec la même démarche d’investigation exigeante et ambitieuse : « les changements de mode et de temps traduisent la nécessité de différencier les intentions de ceux qui parlent, et à mettre en relation des différents moments du texte ». Sous-entenu : pas de conjugaison sans discours ni texte ! Cette démarche, qui ne se dispense pas de se frotter au complexe, s’appuie sur de nombreuses situations de productions d’écrit, propose des activités pour aider les élèves à prendre des repères dans l’espace-temps du texte, accéder au concept d’antériorité, ne pas confondre cause et conséquence, mais aussi opérer un classement méthodique des différentes terminaisons des verbes. Le lecteur aura sans doute la surprise de découvrir qu’en français, on n’a jamais plus de quatre possibilités pour accorder le verbe, selon la personne qui le régit !
L’ouvrage de J. Dion et M. Serpereau est également une mine de pistes concrètes pour construire l’enseignement de l’orthographe, en privilégiant la réflexivité, et en remontant avec le lecteur vers l’histoire de la langue, avec une confrontation avec les premiers textes français du Serment de Strasbourg… Comprendre que la langue évolue, qu’elle a une histoire, qu’elle fait des emprunts aux langues vosines, que la ponctuation a été inventée pour aider à préciser l’écrit : l’héritage des travaux de Nina Catach est mis en musique dans des situations de classe très concrètes. Mis en position d’historien de la langue, l’élève travaille l’étymologie, les famiiles de mots, les glissements sémantiques et orthographiques. la très belle démarche sur l’accord des participes passés sera une révélation pour tous ceux qui pensent que la maîtrise de ce monument de l’orthographe française est inabordable à l’école primaire. Et au passage, permettra de se poser la question du rôle joué à l’Ecole par la grammaire pour maintenir quelques dominations symboliques.
La seconde partie de l’ouvrage, titrée « comprendre la langue en l’utilisant », comprendre un grand nombre de situation de classes, racontées par le menu ou abordées pour l’exemple, autour de situation d’écriture (ou de réécriture), de poésie ou de mémorisation de texte, de vocabulaire, de lecture « avec questions préalables » qui seront autant d’occasions de revisiter des activités « ordinaires » de la classe pour leur donner une ambition très différentes : passer d’activités souvent vécues par les élèves comme des passages obligés à des situations de travail exigeantes, mais « engageantes », au sens premier du terme. Celles où le défi de reussir à plusieurs des paris exigeants vous permet de sortir grandis, fiers de « pouvoir comprendre », et un peu plus assuré d’avoir un peu plus de ppouvoir sur le monde de l’écrit et des idées… Bref, « faire école »… Largement inspiré des « démarches » inventées et sans cesse remises sur le métier dans les formations du GFEN, ce livre est aussi un recueil qui témoigne de la force d’inventivité des collectifs, dès lors qu’ils s’emparent d’une des questions-clé du métier d’enseignant : comment enseigner à tous les savoirs construits par les hommes, et non les confisquer au profit de la domination des élites. Tout un projet.
Faire réussir les élèves en français, de l’Ecole au Collège
Jeanne Dion et Marie Serpereau
Delagrave, 2009
http://www.delagrave-edition.fr/Albums_Detail.cfm?ID=35652