Historien de l’éducation, Claude Lelièvre nous aide à percevoir la portée de la réforme présentée par N Sarkozy.
Il y un an on a vu échouer la réforme Darcos. La réforme Sarkozy est-elle de même niveau ? A-t-on rompu avec le lycée élitiste, ou cette réforme se situe-t-elle dans cet esprit ?
Il ne s’agit nullement de changements qui se situent au niveau de ce qui avait pu être envisagé au départ de la réforme ‘’Darcos’’ (semestrialisation, modules, réductions des heures de cours pour laisser place à l’accompagnement d’autres activités au sein même des établissements, etc.) allant dans le sens de parcours plus accompagnés et surtout plus fluides et plus diversifiés susceptibles de remettre en cause – dans une certaine mesure – la mécanique implacable (avec ses dysfonctionnements bien connus) de la hiérarchisation actuelle des filières, la domination du ‘’général ‘’sur le technologique, et la domination par dessus tout de la filière ‘’S’’.
La structuration générale des filières (avec ses dominantes) n’est plus en cause, et a fortiori la filière ‘’S’’ (dont on ne touche pas un cheveu). On ne rompt donc pas avec le lycée élitiste, peut-être même au contraire. Car l’innovation centrale retenue pour la filière ‘’L’’ (qui serait, paraît-il, transformée en « filière d’excellence internationale ») et les « souhaits » de Nicolas Sarkozy pour que soient réservés aux bacheliers de la série sciences et technologies industrielles (STI) « des » places dans les IUT (ou même que soient développées les quelques classes préparatoires qui leur sont propres) vont peut-être dans un certain sens élitiste. Encore que Nicolas Sarkozy prend bien soin de ne pas s’avancer sur le taux de bacheliers technologiques qui pourrait être requis dans les IUT (alors que le jeune député UMP Benoist Apparu, lui, dans son rapport paru en juin 2009 sur le lycée, n’a pas craint de se prononcer pour que 50% des places leur soient réservées à l’avenir : ils ne sont en effet que 29 % actuellement, submergés par les bacheliers généraux, surtout ceux de ‘’S’’, alors qu’en principe les IUT avaient été créées pour eux… ).
Dans les questions urgentes du lycée, il y a l’orientation. La réponse donnée est-elle adaptée ?
Nicolas Sarkozy a parlé d’une « orientation progressive et réversible », permettant « le droit à l’erreur ». Fort bien. Mais c’est précisément ce que prétendaient vraiment instaurer les dispositions (qui ne sont pas reprises) contenues dans les débuts de la réforme Darcos (permettant à chaque élève d’ ’’expérimenter’’ ses possibilités et ses choix, dans des modules semestriels ). On pourrait même penser que l’on va dans un sens inverse puisqu’il est prévu d’instituer une classe de première « plus généraliste », suivie d’une classe terminale « plus spécialisée » (selon le principe non de choix diversifiés et réversibles, mais de l’ ‘’entonnoir’’ ).
L’accompagnement du travail personnel de l’élève semble un enjeu important pour la démocratisation. Que penser du dispositif mis en place ?
Un accompagnement destiné à « combler les lacunes, approfondir les connaissances ou donner des méthodes de travail » devra en principe être offert aux lycéens à raison de deux heures hebdomadaires de la seconde à la terminale. Si cela est effectivement réalisé, ce ne sera pas rien (et dans le sens de la démocratisation, car ce n’est généralement pas dans la sphère privée, contrairement aux autres, que la plupart des élèves d’origines populaires peuvent recevoir de l’aide dans ces domaines, importants pour la réussite scolaire ). Mais il faut aussi noter le flou entretenu sur qui va décider de ces répartitions, avec quels moyens en hommes et en heures, soustraits à quelles heures de classes et à quelles disciplines?
On peut voir aussi dans cette proposition une certaine réserve (ou une certaine ‘’timidité’’) par rapport à d’autres propositions, anciennes ou récentes. Ainsi le rapport parlementaire rédigé par l’UMP Benoist Apparu, s’était prononcé, lui, pour non pas deux heures mais trois heures d’accompagnement, en sus des 27 heures de cours dévolues à chaque élève en moyenne (le service des professeurs devant être alors répartis en 15 heures de cours et 3 heures d’accompagnement). Il faut savoir par ailleurs que le temps des études était manifestement le premier pour les élèves du secondaire tout au long de la troisième République (30 heures d’étude, contre seulement 24 heures d’enseignement par semaine , alors même qu’il n’y avait pas plus de 3% d’une classe d’âge qui fréquentaient les collèges et lycées… ).
Beaucoup s’interrogent sur la capacité à réformer depuis le sommet. Quelle est la bonne voie : le sommet ou la conquête d’autonomie à la base ? D’ailleurs, le lycée français est-il réformable ?
Je distingue pour ma part les ‘’changements’’ et les ‘’réformes’’. Je crois que l’on peut appeler ‘’réforme’’ ce qui a été décidé (ou envisagé) au niveau au moins du ministère de l’Education nationale. Et il est vrai que la réussite dans ce domaine est rare, surtout des réussites pleines et entières. Par ailleurs, le système scolaire est parcouru de changements incessants, à des niveaux divers du système, dus à des ‘’compromis’’ locaux délibérés ou non. Ils ont été très nombreux sous la cinquième République. Mais ils vont aussi souvent , comme on dit, ‘’dans tous les sens’’. S’ils ne sont pas parfois impulsés, ou quelque peu réorientés et réordonnés dans un cadre national, l’Education nationale peut s’effriter peu à peu, voire perdre peu à peu tout véritable sens et toute légitimité ; et, avec elle, les statuts de ses personnels. Ils serait sage qu’ils ne perdent pas cela, aussi, de vue.
Claude Lelièvre
Entretien : François Jarraud
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