Le rapport Descoings débouche sur un lycée ravalé
Par François Jarraud
Richard Descoings a remis au président de la République son rapport sur la réforme du lycée le 2 juin. Il recommande de remettre à plus tard une refondation du lycée et de » concentrer la « réforme du lycée » sur un certain nombre de sujets précis ». L’Elysée a fait savoir que certains point feraient l’objet d’une application à la rentrée 2010.
Le rapport s’articule en 5 chapitres traités de façon très inégale. C’est le chapitre sur l’orientation qui est le plus fourni. R. Descoings y fustige » la rigidité du système et (le) peu de prise en compte de l’individu, de son goût, de son potentiel réel et de son droit à l’erreur » résultant du « cloisonnement des filières et (de) la disparition dans les faits des passerelles et des classes d’adaptation qui permettent de changer d’orientation ». Pour lui , « construire un système d’orientation juste et éclairé suppose une révolution copernicienne. D’appendice du système éducatif, elle doit en devenir la colonne vertébrale. De décision couperet et subie, elle devrait se faire questionnement, choix mûris longuement, actifs et éclairés. L’orientation doit ainsi se fonder comme un processus inscrit dans un temps long, incluant les années collège et les années lycée, devenir familière ».
Il préconise un travail d’orientation conçu tout au long de la scolarité, à travers des stages, des enquêtes sur un temps inclus dans le temps scolaire, suivi par un « carnet d’orientation ». Les lycéens devraient tous faire un stage en entreprise, bénéficier de partenariats conclus entre lycée et établissement d’enseignement supérieur. Il insiste sur la nécessité d’informer de façon égale toutes les familles.
S’il insiste sur le droit à l’erreur et la nécessité de classes passerelles, certaines propositions semblent assez dangereuses comme les réorientations en cours d’année. « en accord avec les familles et sur proposition du professeur principal pour des élèves en situation d’échec… Il appartiendrait alors au chef d’établissement de garantir une passerelle vers une autre classe, et le cas échéant, vers un autre établissement du bassin ». On imagine quel usage pourrait être fait dans certains établissements de ce « droit ».
Le chapitre sur la redéfinition du rôle du lycée invite à mettre en place des « poles de prévention » et de l’accompagnement scolaire en mobilisant les étudiants en master. Il insiste sur la nécessité de maintenir ouvert le CDI sur de longues plages horaires en utilisant des élèves encadrés par les professeurs documentalistes.
Pourtant R. Descoings maintient les filières. Il critique la prédominance de la série S qui devient « pour certains lycéens un choix par défaut », phénomène en effet mis en valeur dans un rapport de l’Inspection générale. Il souhaite maintenir la voie technologique, « source de progrès démocratique » à coté de la voie générale. Ce qu’il préconise c’est d’enseigner les mêmes enseignements de découverte à tous les lycéens de seconde de façon à permettre un vrai choix (il faut sans doute comprendre enseigner les SES et un enseignement technologique à tous). Pour renforcer la rénovation des filières technologiques il propose de faciliter l’accès à l’enseignement supérieur (en BTS ou IUT) et de rénover la filière STI « pour en faire une filière de pointe ». S’agissant de la voie générale, il reprend les recommandations de l’inspection générale pour revaloriser la filière L en y ajoutant un enseignement scientifique et du droit.
Tout un chapitre est consacré à la rénovation de l’enseignement et des modes d’évaluation. On a là un catalogue de recommandations souvent justes mais de faible ampleur ou assez naïves. Qui s’opposerait à associer les élèves à leur évaluation ? Qui serait contre le renforcement de l’oral ou des cours méthodologiques ? R Descoings va jusqu’à évoquer le retour « de l’esprit ciné club »… Certaines paraissent dangereuses. S’il n’est pas mauvais pour un lycéen de suivre un temps d’enseignement à l’étranger fait-il le généraliser ? Que penser d’un doit à « une année de césure » quand on connaît le taux de décrochage ? A noter que la méthode Antibi n’est même pas évoquée par le rapport.
Peu élaboré également est le chapitre sur le refonte des missions de l’enseignant et des emplois du temps. R Descoings préconise de terminer les cours à 15 heures, ceux-ci étant suivis par un temps d’accompagnement. Visiblement ce chapitre n’a pas été creusé davantage car il n’est pas d’actualité.
En conclusion, R Descoings propose trois choix à N Sarkozy. Le premier c’est ne rien changer. » S’il était retenu, ce choix serait explosif. Le degré d’inégalité supporté par les spoliés du système devient proprement insupportable ». Le deuxième choix c’est « de concentrer la « réforme du lycée » sur un certain nombre de sujets précis, qu’il y a urgence à traiter ». Il cite : l’orientation, la revalorisation de la voie technologique et de son image, la rénovation des filières STI, le rééquilibrage des séries au sein de la voie générale, la revalorisation de la voie technologique et de son image, la rénovation des épreuves du Bac en langue pour harmoniser la nature des épreuves avec les objectifs de la formation tout au long des 3 années du lycée, d’une part, et d’autre part, pour harmoniser les épreuves d’une série à l’autre dans la voie générale, et entre les deux voies générale et technologique ». Enfin « tendre vers la diminution du nombre des élèves par division en classe de Seconde en tenant compte de leur hétérogénéité et des disciplines enseignées » et « une nouvelle étape de la démocratie lycéenne par une participation plus grande aux processus de décision concernant la vie scolaire et une reconnaissance des engagements lycéens ». Le troisième choix possible serait de « lancer une vaste concertation sur une véritable refondation du lycée » mais R Descoings estime que les conditions ne sont pas remplies pour le moment.
A l’issue de la remise du rapport, l’Elysée a fait savoir que le rapport serait suivi d’un nouveau temps de débat « afin que puissent être conçues des mesures opérationnelles que le Gouvernement devra appliquer en concertation avec l’ensemble des partenaires de l’école. L’objectif est une entrée en vigueur de tout ou partie de ces mesures dès la rentrée 2010 ». Pour N Sarkozy le débat devrait concerner l’aide à l’orientation, le développement d’un temps d’accompagnement à côté des cours magistraux, la revalorisation de la voie technologique, en particulier de la série industrielle, le rééquilibrage des séries de la voie générale, la maîtrise des langues vivantes étrangères, la valorisation de l’engagement des jeunes ».
Xavier Darcos s’est montré plus précis lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale le 2 juin. Il a annoncé que le rapport serait envoyé dans les lycées. Sur son application il s’est un peu éloigné du texte présidentiel en estimant que les rapports Apparu et Descoings semblent » aller dans le même sens » et en précisant que les préconisations retenues concernent « l’orientation, le rééquilibrage des filières, le statut des langues vivantes, la priorité qu’il faut redonner à la maîtrise de la langue française, mais aussi l’organisation du temps du travail – il n’y a aucune raison, en effet, que les lycéens travaillent plus que les 35 heures que doivent faire leurs propres parents ».
Dans un entretien accordé au Monde, R Descoings estime qu’il « faut arrêter de rêver au grand soir de l’éducation, et commencer par améliorer ce qui peut l’être ». C’est en effet sous cet angle que se situe sa contribution. Mais c’est avouer qu’il n’y aura qu’un replâtrage du lycée pourtant fermement condamné par R Descoings et X Darcos. Il appartiendra au futur ministre de l’éducation nationale, qui pourrait être M. Descoings, de nous convaincre que la réformette ne se limite pas aux recommandations de la RGPP.
Le rapport
http://blog.lyceepourtous.fr/wp-content/uploads/rapport[…]
Entretien avec R Descoings dans Le Monde
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/06/02/richard-de[…]
Communiqué Elysee
http://www.elysee.fr/documents/index.php?lang=fr&mode=v[…]
Les réactions au rapport Descoings
Des conservateurs aux réformistes, des profs aux élèves le rapport Descoings ne mécontente personne. Mais est-ce un bon signe ?
Premiers intéressés, les lycéens de l’Union Nationale Lycéenne (UNL) manifestent leur approbation. « L’UNL partage bon nombre de préconisations de Richard Descoings et se félicité d’y retrouver une grande partie de ses revendications ». Le syndicat lycéen cite les pages sur l’orientation,le renforcement de la démocratie lycéenne, l’accompagnement des élèves. Mais il rappelle « qu’aucune réforme ne pourra se faire dans le cadre actuel de réductions des moyens budgétaires et humains dans l’Education Nationale » et se demande quelle sera son application.
Les parents de la FCPE estiment que « le rapport a le mérite de dire haut et clair que le préalable à cette réforme, ce sont les objectifs qu’on lui assigne ». Pour la FCPE, « l’objectif de la réforme ne peut être la réduction des coûts, il doit être fondé sur la réussite des élèves et la réduction des inégalités ».
Chez les enseignants, le Snes, qui avait condamné le rapport Apparu, semble soulagé et » se félicite que ce qu’il a porté avec la profession à l’automne dernier soit repris par le chargé de mission ». Même atmosphère au Snalc qui » considère que le rapport Descoings pourrait enfin créer, s’il n’est pas déformé par la suite, les conditions d’un retour à une véritable concertation sur l’avenir du système d’éducation ».
Le Se-Unsa accueille le rapport avec une pointe d’ironie et se demande si » le retour à la case départ était-il inévitable ? Car si on résume les propositions qui pourraient être mises en oeuvre à la rentrée 2010, où seront les vrais changements ? Les voies générale et technologique maintenues séparées, une série S plus typée, une série L plus polyvalente, ne changeront rien aux hiérarchies existantes ! L’ « entre-bons-élèves-issus-des-classes-favorisées » a de beaux jours devant lui ! Pour le SE-UNSA, les mesures proposées relèvent trop souvent de l’anecdotique ou du vœu pieux. Certes, Richard Descoings insiste, à raison, sur l’importance de l’orientation, de l’accompagnement personnalisé et de la rénovation des enseignements. Mais comment faire sans toucher à l’organisation de la scolarité, à l’emploi du temps des lycéens et aux missions des enseignants ? Or, ces sujets sont esquivés ou renvoyés à une hypothétique « vaste concertation », dont on pensait pourtant qu’elle venait d’avoir lieu… ».
UNL
http://www.unl-fr.org/actu_view.php?id=411
Snes
http://www.snes.edu/spip.php?article17127
Se unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article1682
La CFDT déçue, l’APSES satisfaite
» La démarche employée par Monsieur Descoings traduisant sa volonté de renouer les fils du dialogue après les épisodes de l’automne était prometteuse, elle débouche cependant sur des propositions décevantes car trop en deçà des attentes. « Le choix de ne rien faire serait explosif » nous dit Richard Descoings. C’est pourtant à cela ou presque qu’il nous invite ». Le Sgen Cfdt rappelle qu’il a toujours revendiqué une transformation profonde du lycée et manifeste sa « déception ».
Le syndicat cite par exemple « le maintien en l’état ou presque des voies et filières… significatif de l’état d’esprit du rapport… Pas de changements pour le baccalauréat, si ce n’est quelques modifications de coefficients… L’accompagnement tant réclamé par les lycéens est réduit à une orientation classique (fournir un guide et des informations) à laquelle s’ajoute un possible tutorat par des élèves des grandes écoles mais rien n’est dit de l’aide au travail. Cette orientation reste par ailleurs étrangement liée aux performances insuffisantes des élèves ». La Cfdt demande donc un « second temps de refondation complète du lycée » et des négociations sur le métier enseignant.
Les professeurs de sciences économiques et sociales réunis dans l’Apses jugent au contraire le rapport positif. « Richard Descoings confirme la nécessité de faire de l’enseignement de SES en classe de seconde, un enseignement obligatoire » se réjouit l’Apses. « Cette préconisation de rendre la découverte des SES obligatoire en seconde ne pourra qu’améliorer l’orientation des élèves de seconde. Cela suppose toutefois que cet enseignement soit dispensé sur la base d’un horaire annuel décent intégrant des heures d’enseignement en demi groupes indispensables au travail sur la presse ou l’audiovisuel, la réalisation d’enquêtes ou encore le traitement de données statistiques ».
L’Apses se félicite également des remarques sur « les rénovations opaques des programmes ». L’association y voit un moyen d’échapper aux pressions de certains lobbys sur l’enseignement des SES.
Communiqué Cfdt
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article2046.html
Communiqué Apses
http://www.apses.org/initiatives-actions/communiques-et-courr[…]
Le Snpden approuve le rapport Descoings
« Le SNPDEN partage l’analyse de Richard Descoings sur la nécessité de faire évoluer la situation actuelle du lycée, objet d’une forte attente de notre société ». Dans un communiqué, le premier syndicat de chefs d’établissement énumère le spoints d’accord avec le rapport sur la réforme du lycée remis par R Descoings. Mais il reste sceptique sur la volonté gouvernementale de les réaliser. « Le SNPDEN prend acte des préconisations adressées au gouvernement sur la mise en place d’une concertation réelle des partenaires. Il souhaite cependant que cette consultation, qui ferait suite à une longue lignée, puisse enfin déboucher sur les évolutions nécessaires et maintenant urgentes ».
Sur le rapport Descoings
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/06/0306[…]
Réactions : Un peu plus de rêve, Monsieur Descoings…
Comme beaucoup d’observateurs, nous découvrons ce soir le rapport de Richard Descoings. Nous voulons d’emblée signifier notre déception. Ce rapport manque d’ambition. Rien n’est dit ou presque sur les contenus enseignés, l’articulation entre eux des savoirs disciplinaires, les approches pédagogiques nécessaires, bref tout ce qui conditionne l’organisation des groupes d’élèves, le rapport entre enseignants et élèves. L’explication avancée par Richard Descoings dans le Monde est un peu courte : « Il faut distinguer réforme et refondation. Si l’on veut refonder le lycée, il faut traiter avec ambition les deux sujets essentiels que sont l’emploi du temps des lycéens et la mission des enseignants. » S’il est appréciable que le médiateur pointe lui-même les limites de son action, c’est aussi un aveu de la modestie des propositions. Rajoutons aux sujets pointés par M. Descoings qu’il y a aussi d’autres « vaches sacrées » telle que l’évaluation (quid du bac ?) et des parcours des élèves.
Il y a toutefois quelques pistes intéressantes qui mériteraient plus de précision. L’affirmation de la construction par les jeunes de leur autonomie, de leur engagement dans la vie du lycée, notamment associative, la place réaffirmée de l’accès à la culture, à l’art, et à l’Education physique et sportive : à qui tout cela serait-il confié ? Doit-on donner une nouvelle mission aux établissements scolaires ? Est-elle prise en charge par les enseignants ? La création des pôles prévention pour chaque bassin scolaire (lutte contre le décrochage ?) obligerait-elle les établissements à coopérer plutôt qu’à se faire concurrence ? L’accompagnement pédagogique (qui est une bonne idée) mené par les étudiants en master dispenserait-il les enseignants de cette mission ? Si la pédagogie a peu sa place dans le rapport, les enjeux éducatifs sont mieux reconnus mais demandent à être précisés.
Il faut bien reconnaître que le cadre de la mission limitait sa réflexion : le lycée professionnel en était exclu et il a affirmé très tôt ne pas vouloir toucher l’architecture générale. Le rapport fait d’ailleurs preuve d’une certaine lucidité à plusieurs reprises. Par exemple, il décrit nettement dans le premier scénario de la conclusion, tous les groupes d’intérêt qui poussent au statu quo. On voit aussi que le rapport, dont le président et le futur ministre ne retiendront peut-être que quelques préconisations, évite de poser la question des moyens dans un contexte pourtant miné par les suppressions de postes.
Ce rapport voit large, mais il n’est pas “prudent”. Il voit large puisque tous les acteurs du lycée sont mentionnés : certes, on ne voit au début que le triptyque enseignants-parents-élèves, mais au fil du rapport, on découvre les documentalistes, les infirmières, les collectivités locales, les chefs d’établissement… Très peu de place pour les associations complémentaires de l’enseignement public, les mouvements pédagogiques, mais aussi les échelons académiques essentiels pour le pilotage et l’accompagnement de toute réforme…
Prudent vient du latin providere : « voir loin ». La prudence (ou sagesse) est un des vertus cardinales des Anciens. Au moment où apprendre tout au long de la vie devient une nécessité reconnue dans les débats internationaux comme dans la réalité concrète vécue par les habitants, où de plus en plus de pays convertissent leur système scolaire à l’approche par compétences, ce rapport manque singulièrement de vision et d’ambition prospective. Pour employer une formule triviale « il nous laisse sur notre faim », car il y a urgence et nous avons le sentiment que les forces qui défendent le statu quo ont été sinon entendues, pour le moins très pressantes, afin que « tout change pour que rien ne change ». Les filières ne sont pas remises en cause, la répartition des moyens pas vraiment marquée du sceau de l’équité, les horaires et les contenus pas remis en cause dans leur conception élitiste aimablement masquée par « l’égalité des chances ». Que vont penser demain les « vaincus de l’égalité des chances » ? Vont-ils se satisfaire de ce nouveau ravalement qui ne résout aucune des grandes questions que nous avons soulevées et ne satisfait ni les espoirs levés ni les ambitions affichées ?
Gérard Moreau, Président de la ligue de l’enseignement de l’Ille-et-Vilaine, membre du comité national pour l’école de tous et Philippe Watrelot, président des Crap-Cahiers Pédagogiques