Comment peut-on savoir ce qu’un enfant pense de ce qu’il fait à l’Ecole ? Pour tenter de comprendre les « mobiles » d’action des élèves, le GFEN propose aux enseignants avec qui ils travaillent dans des formations d’interroger leurs élèves : « pourquoi apprendre ? comment fais-tu pour apprendre ? ». Apparemment bateau, les réponses aux questions sont très instructives….
A l’Ecole élémentaire, « c’est obligé » disent plus d’un enfant de CP sur deux. Les motifs externes, affectifs ou institutionnels, sont dominants : « Je viens pour travailler et avoir un bon métier ». On a du mal à leur faire expliciter les apprentissages. Environ un sur cinq explique qu’il vient apprendre « à lire et à compter » quand quelques uns seulement disent venir pour « réfléchir », « s’emparer du pouvoir des grands », exprimant l’idée que derrière les apprentissages, il y a l’escompte de développements symboliques : grâce aux apprentissages réalisés, pouvoir s’emparer du secret des adultes, lire ce qui est intéressant dans les livres, lire pour lire à son petit frère… D’autre au contraire attendent « d’être grands pour savoir », passifs devant un développement magique incontrôlé.
Au cycle 3, être à l’école se limite à « ne pas redoubler », pour un élève sur cinq. Près d’un sur deux renvoie son développement « pour plus tard ». Quand on regarde ces derniers agir en classe, on voit bien qu’ils n’agissent pas comme ceux qui ont déjà compris qu’il fallait « s’en occuper » plutôt qu’attendre passivement qu’on remplisse l’entonnoir…
Au collège, la question des notes, des contrôles, de la classe supérieure, est mise en avant par deux tiers des élèves, quand seulement un tiers cite des motifs de développement (savoir des choses…)
« Que faut-il faire pour apprendre ? »Au début de l’élémentaire, on cite surtout les aides extérieures ou un « travailler » générique, sans préciser les modalités. Beaucoup disent que pour apprendre, il faut « écouter la maîtresse » : on nous montre, après on sait….
De façon plus forte en zone prioritaire, on cite le respect des règles, des voisins, arriver à l’heure, ne pas cracher par terre : l’Ecole est un univers de normes, réduites à leurs aspects comportementaux. Quelques-uns seulement évoquent la sphère intellectuelle : « réfléchir », « essayer », « refaire »…
Au collège, on botte souvent en touche : on raconte quand et où on apprend, mais on ne dit rien de ce qu’on fait avec sa tête. Environ deux tiers des élèves, quel que soit le lieu où sont faites les enquêtes, ramènent l’apprentissage à la répétition, à voix haute ou dans sa tête, en faisant réciter…
« qu’est-ce qu’apprendre ? »Les malentendus sont frappants : « apprendre par coeur, c’est mémoriser jusqu’au contrôle »… Combien d’enseignants se plaindront de la déperdition, avec l’impression de construire sur du sable : « Mais pourtant on l’a revu ! »… Un élève de SEGPA dit apprendre dix mots, réciter, puis ajouter un mot, récite, ajouter encore… Mais il se plaint que malgré le temps consacré au travail, les résultats des contrôles ne suivent pas… Surtout si le prof pose des questions qui ne sont pas exactement ce qu’on a demandé d’apprendre. Surtout quand d’autres élèves au contraire passent moins de temps et ont de meilleurs résultats…
Au bout de quelques mauvaises expériences, quoi d’étonnant qu’ils désinvestissent la tâche ? Pourtant, et les travaux de Cléopâtre Montaudon le montrent, on sait que le temps de travail à la maison dans les milieux populaires est plus important qu’ailleurs. On ne peut donc pas s’empêcher de se demander si le mode de travail est pertinent, par rapport à ce que nous convoquons dans les apprentissages. Seuls les « bons élèves » insistent sur « pour apprendre, j’écoute en classe », quand d’autres disent « en classe, je gratte, je copie, et j’apprends ensuite, à l’étude ou à l’aide aux devoirs ». « Les bons élèves », eux, disent : « Je souligne les mots importants, j’essaie de comprendre, je me pose des questions, je retrouve le plan de la leçon, je fais une fiche récapitulative, j’essaie d’approfondir ». On voit bien que le travail est d’une autre nature, tendu vers la compréhension. « Apprendre, c’est comprendre » : ils mettent les moyens en phase avec le but fixé à l’activité.
Et les enseignants ? Si on leur pose la question avant de dévoiler les résultats des questionnaires des élèves, certains disent « mémoriser », certains disent « comprendre ». Et souvent, « ça dépend : des fois c’est mémoriser, des fois c’est comprendre… » Et quand on leur demande s’ils l’explicitent aux élèves, la réponse est souvent négative, tellement « c’est évident ». Tellement évident…
On a peut-être là une clé de compréhension de ce qui se passe : la conception de l’apprendre, les moyens au service du but, eux-mêmes surplombés par des motifs qui vont au-delà du métier et de plus tard.
Au lycée, on voit les différenciations dans les filières : dans les sections scientifiques, nombreux sont ceux qui disent « mémoriser d’autant mieux qu’on a compris ». Si elle n’est pas organisée en registres sématiques, la mémoire trouve vite ses limites…
Quels éléments différenciateurs entre élèves ?Les élèves en difficulté travaillent surtout pour la note ou pour passer dans la classe supérieure… Quand ils deviennent plus grands, la référence au métier grandit, surtout chez ceux qui sont fragiles : ceux qui sont en réussite ne savent pas encore ce qu’ils vont faire… « Vivement que ça se passe » pense celui qui est pressé de partir, qui n’hésite pas à aller « négocier » le demi-point à la porte du cours pour arriver à la moyenne qui va permettre de « passer »… Si l’important, c’est de « passer », il est légitime que tout soit bon pour ça, et de plus en plus quand on avance dans le cursus.
Cette manière de s’inscrire dans l’univers scolaire a des incidences que la façon de penser le sens du savoir : « à quoi ça sert, ton truc ? Est-ce utile ? ». La valeur d’échange des savoirs, vécus comme des produits finis qu’il faudrait leur « donner », va à l’encontre des buts de ceux qui pensent qu’à l’école, « on comprend », on se développe, on fait des rencontres, on accepte de ne pas voir immédiatement l’utilité du savoir, parce que « ça permet de réfléchir », de « devenir intelligent ». Le savoir est un processus, il faut essayer « même si c’est difficile, jusqu’à ce que tu y arrives », comme disait un jour un petit de CP. Il avait compris qu’apprendre, ce n’est pas « tout, tout de suite », que cela demande un engagement de celui qui apprend, qui sait d’abord un peu avant de savoir beaucoup, dans une progressivité des objets et des compétences…
Sortir des dépendances à l’enseignantDans le processus même d’apprentissage, ce qui nous frappe chez les élèves fragiles, c’est la négation de ce qu’ils savent (je ne sais rien) ou au contraire la toute-puissance (je sais déjà). Deux positions qui empêchent d’entrer dans les apprentissages, autant que la position d’attente (faire ce qu’on nous demande) peut durer indéfiniment sans avoir trace de ce qu’ils ont appris au fil des jours. Ce sont ces élèves qui sans cesse demandent à ce que l’enseignant redise la consigne, cherche perpétuellement à être validés sans se poser la question (« m’sieur, est-ce que c’est ça ? »), dans une forte dépendance à l’enseignant, et donc imputant à l’humeur bonne ou mauvaise de l’enseignant la bonne ou la mauvaise note, ne maîtrisant pas les critères de la tâche, confondant sanction du travail scolaire et sanction de leur personne, avec les effets discriminatoires qu’on peut connaître.
Les enfants ont des difficultés avec le sens des tâches scolairesLe moment de la correction est révélateur des malentendus. Ceux qui décrochent à la correction sont souvent ceux pour qui le « travail » demandé s’arrête au travail « remis », échangé contre la note, quand les bons élèves savent que la correction est un moment important pour comprendre où il a bifurqué, ce qu’il pourra faire différemment la prochaine fois…
Derrière les consignes de l’enseignant, les bons élèves cherchent le sens de l’activité donnée, essaient de raccrocher à ce qu’on a fait dans les séances précédentes, à la thématique travaillée, à la discipline, réaménagent, habitent l’espace scolaire dans des glissements minuscules, en le vivant comme une continuité où on transfère, reprend, met en rapport les situations et les objectifs visés. Ils sont capables d’objectiver, de prendre distance, même très jeunes, et donc capables de nommer, à la maison, ce qu’ils ont appris, y compris en précisant leur degré d’appropriation, en distinguant leur niveau de maîtrise de leur niveau d’appétence, qui leur donne une autonomie à l’égard du travail et des enseignants.
Les élèves en difficulté, au contraire, sont dans la « tâche » : ils réduisent l’effectuation de la consigne à son plus simple niveau, quand les autres sont dans l’activité, c’est à dire le but qui sous-tend le travail que je mets en œuvre. Quand le but est identifié, on peut mettre en œuvre des moyens adaptés, réaménager en cas de difficulté, choisir un moyen économique… Pour une tâche de remise en ordre d’images séquentielles, les élèves qui pensent qu’il faut « découper-coller » ne font pas la même chose que ceux qui savent qu’il faut « retrouver l’histoire »…
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