L’ouvrage que publient Sylvain Grandserre, « maître d’école », militant pédagogique et opposant déclaré aux récentes réformes de l’Ecole, et Laurent Lescouarch, maître de conférence en Sciences de l’Education à Rouen, porte un titre qui est un bon résumé de ses intentions : même quand on veut « enseigner autrement », le travail est au coeur, autant pour l’élève que pour le maître.
Centré sur la pratique scolaire de Sylvain Grandserre, autour de concepts et de manière de faire se revendiquant de la pédagogie Freinet et de l’ICEM, l’ouvrage est un vademecum tout à fait adapté pour faire découvrir les »manières de faire » et les références de ce type d’enseignement. On y lira une illustration des multiples choix de valeurs et de manière de faire avec lesquels le maître d’école ou le professeur doivent composer.
Les valeurs affichées par les auteurs s’inscrivent dans la tradition des héritiers de Freinet : inscription dans le « politique » et dans « l’école démocratique », pédagogie des situations, appui sur le projet de l’élève, sur les « besoins des enfants », l’enseignant « accompagnateur des apprentissages » plutôt que « transmetteur des savoirs ». On revendique de faire partie des « innovateurs » plutôt que des « traditionnels », n’hésitant pas à se mettre à distance de ceux qui « enseignent toute leur vie de manière identique sans acquérir de compétences » ou « font cours de manière identique à toutes leurs classes ».
S’il revendique l’articulation de son travail « pratique » avec une « théorisation » qui peut « montrer aux enseignants tout l’intérêt des cadres issus de la recherche », S. Granserre décrit précisément des manières de faire la classe, de l’organisation des tables aux modalités d’évaluation, revient souvent sur la manière dont les récentes évolutions de la prescription, se recroquevillant sur un « lire-écrire-compter » désuet, renforcent inutilement la pression sur les élèves et les maîtres tout en réduisant le temps d’enseignement.
Du point de vue des cadres théoriques, les auteurs s’inscrivent résolument dans un cadre pluriel, et la bibliographie en témoigne : de La Garanderie à Vygotski, en pasant par Astolfi ou Charlot, les auteurs dont feu de tout bois au service de leur pragmatique centrée sur l’action quotidienne.
La « différenciation pédagogique » est abordée sous l’angle des plans de travail ou des moments de « travail individuels » qui donnent l’occasion à chacun d’être mis en présence des « tâches qui lui soient accessibles et qui lui permettent d’apprendre ». Les auteurs citent cependant « l’écueil du différentialisme » qui aménerait le risque « d’enfermement dans sa supposée différence ». Vygotski, pourtant cité à plusieurs reprise, apprécierait…
Le chapitre insiste sur les conséquences du postulat « démocratique » : mettre en place un fonctionnement coopératif qui permet, « chose rare dans la scolarité, d’associer l’enfant au contenu de son travail à venir ».
Le dernier chapitre, consacré aux relations avec les parents, n’évitent pas non plus quelques raccourcis entre les innovateurs et les traditionnels : « on ne demande pas de comptes au praticien du Bled depuis trente ans sans faire évoluer ses pratiques, en revanche l’enseignant innovant est systématiquement mis sur la sellette. »
A la fois manifeste et profession de foi, l’ouvrage de Grandserre et Lescouarch a le grand mérite du discours direct, Les dernières pages appellent à « dépasser les postures caricaturales binaires » entre collègues, à se méfier du « poujadisme pédagogique » qui refuse les avoirs qui permettent d’éclairer l’action.
Faire travailler les élèves à l’Ecole : sept clés pour enseigner autrement . ESF, 2009