Elle s’appelait Gabrielle Russier
« Les [deux ans] de souvenirs qu’elle m’a laissés, elle me les a laissés à moi, je n’ai pas à les raconter. Je les sens. Je les ai vécus, moi seul. Le reste, les gens le savent : c’est une femme qui s’appelait Gabrielle Russier. On s’aimait, on l’a mise en prison, elle s’est tuée. C’est simple. »
C’était à la fois l’après mai-68 et le temps finissant des surveillants généraux…
Cette jeune enseignante de lettres s’est suicidée le 1er septembre 1969.
Gabrielle Russier était le professeur de lettres de Christian dans un lycée de Marseille. L’amour a surgi entre eux, lui presque 17 ans, elle 32, et très vite les parents de Christian s’y sont opposés.
Plainte est déposée contre Gabrielle Russier qui se trouve en quelques mois broyée par un rouleau compresseur dont justice et Education nationale ne sortiront pas grandies.
Christian fugue, Gabrielle est emprisonnée d’abord quelques jours aux Baumettes puis cinq semaines au printemps 1969.
A son procès en juillet 1969, elle est condamnée à douze mois de prison et 500 francs d’amende. Pourtant, la récente élection du nouveau président Pompidou lui laisse espérer une amnistie.
Le pire est encore à venir car le parquet fait appel.
Usée par l’acharnement de la justice, humiliée par les trahisons, déçue par le cercle de proches qui se rétrécit, choquée par l’internement psychiatrique de Christian et privée d’un poste à l’Université, Gabrielle ne se relèvera pas. Elle ouvre le gaz dans son appartement le 1er septembre 1969.
Il faut lire ses Lettres de prison où elle exprime le désespoir d’une jeune femme qui se sent prise dans un piège qu’elle ne comprend pas: le 27 août, elle écrivait à une amie:
« Tant de choses à vous dire encore (et en désordre): l’espoir de vous retrouver, de ne pas quitter Marseille cette année, de redevenir ce que j’étais, de retrouver intelligence et lucidité. Tout s’embrouille dans ma tête, je n’arrive pas à fixer mon attention. Simplement je vais essayer de tenir, à cause de vous tous les gens que j’aimais, de faire un ultime effort pour arriver au bout du tunnel. »
Son histoire a inspiré un film, «Mourir d’aimer» d’André Cayatte avec Annie Girardot (1970) et des chansons: Charles Aznavour, Serge Reggiani ou Anne Sylvestre.
Michel Del Castillo lui a consacré un livre-enquête fouillé, qui accuse la société.
Archives de l’INA:
http://www.ina.fr/fresques/reperes-mediterraneens/Html/Pri[…]
Gabrielle Russier: Lettres de prison, Seuil, 1970
Michel Del Castillo: Les écrous de la haine, Julliard, 1970 (épuisé mais encore disponible en occasion dans certaines librairies en ligne)