Par Gilles Moindrot
Face à un rapport qui juge négativement l’action syndicale, comment réagit le secrétaire général du premier syndicat de l’enseignement primaire ? Gilles Moindrot estime que le rapport confirme bien des analyses du Snuipp. Sur le passage à la semaine de neuf demi-journées, il met en garde : « Un changement de calendrier ne peut s’effectuer aujourd’hui que dans un climat serein et avec une concertation approfondie avec tous les partenaires de l’école ».
On avait été privé pendant longtemps des rapports de l’Inspection. En voilà trois qui sortent d’un coup. Luc Chatel vous a-t-il fait des confidences sur le retour à une certaine transparence ?
Je crois que la publication de l’enquête du SNUipp basée sur les réponses de 1200 écoles a précipité la publication de ce rapport évoqué lors de l’audience au ministre. Nous souhaitons vivement que le ministre reprenne la publication des différentes enquêtes de l’IG et de la DEPP notamment. Ce serait une rupture de bon aloi avec le ministère précédent qui n’autorisait que la publication de rapports qui allaient dans son sens. Les enseignants comme l’opinion publique attendent du ministère la publication de toutes les études qui permettent de se faire une meilleure idée de la situation du système éducatif. Une question de respect, d’efficacité et de confiance. Le ministre devrait effectuer un pas supplémentaire en publiant l’intégralité des deux premières notes.
L’Inspection estime que l’aide personnalisée est « un succès » et qu’elle est largement acceptée. Qu’en pensez-vous ?
L’Inspection générale avait pour mission de « contrôler la mise en œuvre des mesures de la réforme » et « d’appuyer les impulsions locales » : il n’est donc pas surprenant que l’Inspection parle de succès si elle constate qu’une majorité d’enseignants l’a mise en œuvre. C’est d’ailleurs la « loyauté » (p3) des enseignants et l’engagement de l’encadrement qui sont mis en avant dans le rapport bien plus que l’adhésion, la compréhension ou l’efficacité des dispositifs. La lecture détaillée du rapport nuance largement cette affirmation péremptoire appuyée d’ailleurs sur la visite de moins de 100 écoles. Elle confirme largement nombre de points de l’enquête du SNUipp : « Cependant, l’étude des effets sur la réussite des élèves nuance cette appréciation (le succès) » P5, « les effets sur les apprentissages et les acquis sont plus difficiles à mesurer » P7, « aucune organisation ne soit totalement satisfaisante eu égard à la fatigue des élèves » P , « Le problème du choix des élèves dans les écoles où le niveau est très faible est difficile à résoudre » P14 soulignant l’inégalité du dispositif, de façon plus générale « Des réformes successives au titre de la lutte contre l’échec scolaire ont instauré des dispositifs de lutte contre l’échec scolaire dont la diversité est maintenant source d’une grande confusion chez les enseignants et dont la juxtaposition risque d e nuire à l’efficacité de cette lutte » P15, réaliste : « il ne fait pas de doute que la prise en charge des élèves en grande difficulté ne peut pas être résolue uniquement par l’aide personnalisée » P16 … C’est plutôt le terme de « confusion » employé pour distinguer aide personnalisée et intervention du RASED qui pourrait s’appliquer au dispositif tel qu’il est décrit dans ses rapports avec la nouvelle organisation de la semaine, l’accompagnement scolaire, les PPRE, ….
Elle a le même jugement sur les évaluations de CM2 et CE1 qu’elle juge fiables. Elle y voit des « leviers de progrès ». Qu’en pensez-vous ?
Le rapport considère comme un succès la remontée de 70% des résultats alors qu’il s’agissait d’une obligation assortie d’une prime de 400 euros … On peut s’interroger sur un si faible niveau d’exigence ! Et sur la validité des résultats … Aucun exemple n’est donné d’utilisation dans la classe avec les élèves, en revanche beaucoup de développement pour le pilotage.
Par contre l’Inspection est plus critique sur la semaine de 4 jours qu’elle accuse de faire baisser le niveau. D’ailleurs bien d’autres acteurs de l’Ecole ont aussi critiqué ce nouveau calendrier. Elle préconise 4 jours et demi avec le mercredi matin et invite le ministre à agir. Pensez vous qu’il faille revenir à 9 demi journées ?
Toutes les écoles ne fonctionnaient pas sur 9 demi-journées. Le rapport met en valeur tous les inconvénients de la situation actuelle et notamment que le temps manque pour accomplir tout le programme d’enseignement et ce d’autant que les programmes sont devenus plus lourds. Le rapport mentionne également toutes les conditions à rassembler pour adopter un calendrier avec le mercredi travaillé : harmonisation, choix des maires et conseillers généraux, concertation approfondie, … toutes les conditions que les choix imposés dans la précipitation ont évacué. Un changement de calendrier ne peut s’effectuer aujourd’hui que dans un climat serein et avec une concertation approfondie avec tous les partenaires de l’école.
L’Inspection n’hésite pas à montrer une école désorganisée par la multiplication des dispositifs hors et pendant le temps scolaire. Elle invite à redessiner celui-ci. Partagez vous ce jugement ?
Totalement. L’empilement et la confusion des dispositifs successifs de l’Education Nationale ( ZEP, RAR, PPRe, accompagnement éducatif, …) et les mesures de réussite éducative et périscolaire à l’initiative des municipalités nécessitent une réflexion globale sur l’organisation de la semaine avec l’ensemble des acteurs.
Pensez vous que les réformes de 2008-2009 ont eu un effet positif sur l’échec scolaire ou qu’elles l’ont augmenté ?
Difficile voire impossible à affirmer aujourd’hui. D’une façon générale la confusion, le manque de confiance et l’alourdissement des journées risquent davantage de nuire aux élèves les plus fragiles.
Le message de l’inspection c’est que les réformes passent bien et que le bilan de l’année passée est positif malgré les oppositions syndicales. L’action syndicale est-elle inutile ?
C’est sans doute la première fois qu’un rapport de l’inspection générale mentionne autant de fois les interventions syndicales. C’est donc qu’elles jouent un rôle important dans le fonctionnement et l’évolution de l’école. Si les rased figurent dans ce rapport comme un dispositif qui n’est pas amené à disparaître c’est que des initiatives syndicales ont eu quelque succès… Il est dommage à ce propos que la notion de dialogue social ne fasse pas partie du vocabulaire de l’Education Nationale et que seule une vision négative du syndicalisme soit développée dans ce rapport. Aucune réforme d’importance ne peut s’effectuer valablement sans la compréhension et la participation des premiers intéressés.
D’ailleurs nombre de points développé dans le rapport soulignent finalement la lucidité et la pertinence des remarques des enseignants des écoles que relaient les syndicats. Comme par exemple : « la réduction des moyens de remplacement et des crédits se traduit par une réduction drastique des plans départementaux de formation continue »… Le ministère ne devrait-il pas tenir compte de ce constat partagé avec les organisations syndicales et dangereux pour l’avenir de l’école ?
Gilles Moindrot
Entretien : François Jarraud