L’institut de recherches, d’études et d’animation, créé à l’initiative du SGEN-CFDT (son président, Jean-Luc Villeneuve, est l’ancien secrétaire général de ce syndicat), organisait le 10 juin une journée de travail sur le thème de l’évaluation du travail des élèves, qui faisait suite à l’initiative de novembre 2008 (« Evaluer l’évaluation »).
La première table-ronde fut l’occasion de se mettre dans une perspective historique. En effet, notre système éducatif, notamment dans le secondaire, s’est progressivement construit autour d’un couple essentiel, celui du cours, pendant lequel l’enseignant diffuse le savoir, et celui de l’étude, ultérieure, durant laquelle l’élève va « assimiler » ce qui a été traité en cours. Si on en juge par le sentiment largement présent dans les salles des profs (« ils ne travaillent plus, ils n’apprennent plus leurs leçons »), la question est assurément vive, et urgente à traiter. Dans le modèle des « humanités », rappelé Philippe Savoie, de l’INRP, la place de l’étude était centrale : on allait en « études », moment prévu et organisé, souvent dans le cadre d’internats clos. Les maîtres d’internat étaient formés pour y contribuer, avant de devenir par les effets de la crise des « enseignants adjoints ». C’est en 1902 qu’une réforme amène le modèle du Xxe siècle, qui externalise le temps de travail des élèves vers la sphère domestique, avant que la massification des années soixante n’amène la fin des « études ».
Pour le primaire, explique Anne-Marie Chartier, le temps d’étude, d’entraînement, d’exercices est historiquement largement pris en charge dans la classe, souvent au prix de longues répétitions. Si les cahiers du jour ne laissent pas trace des essais réalisés sur le cahier de brouillon, il est tout de même la trace « de la sincérité du travail de l’élève ». D’ailleurs, chacun connaît l’existence de l’interdiction des « devoirs à la maison », qui en 1956 reprécise qu’ils doivent être faits sur le temps de la classe. Mais au cours du siècle, nombre de recommandations d’inspecteurs d’académie allaient dans ce sens, « dans l’intérêt conjugué des maîtrres et des élèves » disait en 1912 l’inspecteur d’Académie de Haute-Marne.
Mais progressivement, explique-t-elle, on va voir apparaître, dans les villes, des études prises en charge par les Caisses des Ecoles ou les municipalités pour des ambitions démocratiques, qui améneront paradoxalement les maîtres à davantage rejeter sur ce moment post-scolaire les exercices et devoirs donnés aux élèves. Elle pense aussi que la cible de l’aide a changé, en même temps que la féminisation du corps : avec le bachotage du certif, on aidait les meilleurs élèves (le certificat d’études n’a au mieux concerné que la moitié d’une génération). Aider les élèves les plus en difficulté, c’est une autre paire de manche…
Pour le sociologue Patrick Rayou, de Paris 8, la question de l’aide aux devoirs pose surtout la question des malentendus sur le travail à faire par l’élève dans ce moment. On sait que les discours publics s’embarassent peu de ce genre de question : on a vu l’emprêssement du ministre Darcos à expliquer à longueur d’interview qu’il est celui qui a donné gratuitement aux pauvres ce que les riches pouvaient se payer dans les officines d’ainde aux devoirs, mais on n’entend guère l’institution sur cette délicate question de l’externalisation du travail hors la classe. Or, apprendre suppose des moments sociaux ou c’est le collectif qui aide chacun à apprendre et à comprendre, notamment par les échanges langagiers.
Même si les enseignants sont pessimistes sur l’impact des devoirs, ils en donnent quand même, invoquant notamment un moyen de liaison entre école et famille.
P. Rayou est particulièrement dubitatif sur les nombreux dispositifs « d’aide » récemments mis en place sous des vocables divers. « Ils n’atteignent pas leur cible », notamment parce que les personnels chargés de les mener n’ont que peu d’éléments sur les difficultés cognitives des élèves, voire maîtrisent peu le contenu de ce qui est enseigné. C’est la « dévolution du sale boulot », et quand les enseignants encadrent l’aide aux devoirs, « ce n’est pas considérée comme un travail noble » et ils en font parfois de l’approfondissement disciplinaire », Nombre de tâches demandées nécessitent de l’autonomie chez l’élève, alors même que l’école est là pour contribuer à la construire. Résultat : le risque de reporter sur le jeune lui-même la responsabilité de ses difficultés : « avec de gens pour m’aider et aucune amélioration, c’est vraiment que je ne vaux rien ! »
Insistant sur le caractère normalisant du travail individuel d’entraînement, Antoine Prost ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la suppression des TPE, réclamant des transversalités, permettant de susciter la curiosité dans les apprentissages…
Paroles d’acteurs ?
La seconde partie de la journée, centrée sur des « paroles d’acteurs », est l’occasion pour chaque témoin de venir porter la parole de ceux qu’il représente.
Pour Clara Paul-Zamour, secrétaire nationale de l’UNL (Union nationale des lycéens), il faut refonder le lycée par une évaluation tout au long de l’année, mais aussi travailler à partir de ce que dit M. Antibi sur le manque de cohérence des notes, et renforcer l’évaluation diagnostique pour qu’elle contribue aux apprentissages par « contrat de confiance ». Elle demande le retour de dispositfs type TPE, qui valorisent aussi d’autres compétences, comme l’expression orale.
Pour Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE, il ne faut pas mélanger l’évaluation du système et celle des élèves. Même si c’est le système le plus connu des parents, les notes favorisent lles comparaisons sociales entre élèves, alors qu’il faudrait favoriser les collaborations entre pairs. Il faut sortir du cercle vicieux notation-redoublement, dont on connaît l’inefficacité. Même chose pour les devoirs, qui ne profitent pas à ceux qui en ont besoin et sont l’occasion de “guerillas domestiques”. Il faut, conclut-il, “sortir de visions simplistes sur l’Ecole et l’enseignement”.
Pierre Frackowiak, IEN honoraire, revient sur l’échec de la loi de 1989, et déplore le développement de l’évaluationnite, “malheur de l’Ecole”, même si les évaluations CE2 et 6e “partaient d’un bon sentiment”. Il regrette les dérives sémantiques autour de la notion de “compétence”, focalisant sur les carences au lieu de positiver, oubliant de mettre en articulation les résultats et les pratiques qui les produisent. On est loin du “bonheur d’apprendre et du bonheur d’enseigner”.
Dans le fil des échanges de la fin de la matinée, la table-ronde du début d’après-midi se centre sur l’évaluation. L’inspecteur général André Hussenet rappelle le sens du mot : « évaluer, c’est donner de la valeur , mais aussi être en bonne santé ». Il refuse donc le glissement qui consiste à évaluer ce qu’on n’a pas enseigné, et ne plus gérer l’Ecole que par les résultats, les classements, les hiérarchies.
Jean-Claude Emin, ancien secrétaire général du Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole et un des pères de l’évaluation diagnostique à la DEPP, appelle à « ne pas jeter l’évaluation avec l’eau du bain », et reconnaît que quelle que soit la qualité d’un outil d’évaluation diagnostique, il n’est pas à lui seul un outil d’apprentissage. Il en profite pour faire état de ses fortes critiques sur les évaluations CE1 et CM2 « qui ne valent pas un clou », et réclame un renforcement des travaux sur les méthodes de travail des élèves. Il demande à ce qu’on intègre dans le temps de classe l’apprentissage de méthodes de travail efficaces, pour lesquelles les enseignants et les élèves sont loin d’avoir le même point de vue.
Marc Demeuse, professeur à l’Université de Mons, en Belgique, insiste sur les difficultés des enseignants, démunis par le manque d’outils pour évaluer les compétences des élèves, mais aussi pour pouvoir ne faire quelque chose… Puisqu’on sait, à la lueur des travaux scientifiques, que la maîtrise d’un compétence ne correspond pas à la simple addition de différentes procédures à mettre en œuvre, il présente les résultats de son travail universitaire, qui l’amène à penser les compétences dans un travail en trois phases : travailler les compétences procédurales élémentaires, faire travailler les élèves à partir de ces procédures dans des situations « cadrées » avant de leur proposer des situations plus « complexes ». Pour cela, il est indispensable d’enseigner davantage les outils de la compréhension : oragniser, lire, interpréter, représenter pour traiter les données… Ces « compétences » sont trop souvent requises sans être véritablement travaillées explicitement.
Anne-Marie Chartier intervient pour préciser son inquiétude devant la prescription d’individualisation, qui risque de transformer le « faire classe » en programmation individuelle d’apprentissage. Apprendre, c’est bien toujours à plusieurs, quoi qu’en pensent quelques visions simplistes…
Défis ?
Il revient aux invités de la dernière table-ronde de préciser les « défis et perspectives ».
Jean-Michel Zakhartchouk, professeur de français, rédacteur aux Cahiers pédagogiques, propose dix pistes :
• développer une logique de validation de compétences
• développer l’auto-évaluation en particulier pour la maîtrise du pilier 7 du Socle,
• repérer et supprimer les pratiques humiliantes
• différencier l’évaluation, comme savent bien le faire les professeurs d’EPS,
• faire connaître les travaux de docimologie
• utiliser les souvenirs d’anciens élèves qu’on a été…
• apprendre à utiliser les évaluations diagnostic , ne pas interpréter trop vite
• introduire d’autre formes de rendu que la note, qui empêchent de faire des classements
• travailler sur des compétences plus difficiles à évaluer : oral, créativité, travail en groupe
• ne pas confondre l’indice de mesure et ce qu’on veut évaluer
• travailler la question des évaluations collectives, l’évaluation du travail de la classe
• savoir qu’on est évalué en fonction du groupe auquel on appartient
• être habile et trouver les angles d’approche pour faire avancer les choses
Guy Vauchel, du Sgen-CFDT, insiste sur les idées portées par son syndicat : les évaluations CM2 ont « ont apporté leur lot d’angoisse et de larmes » et renforcé le sentiment de mélange des genres, contrairement à ce que dit la DGESCO. Ce n’est pas un outil pour la classe, mais pour le système qui a besoin de chiffres pour ses indicateurs. Il revendique donc une « évaluation utile » qui permettre d’articuler compétences et connaissances. Il réclame pour les enseignants la formation, initiale et continue, sur ces questions, mais aussi une profonde mutation du système. Il n’hésite pas à demander que les notes soient bannies, autant pour les élèves que pour les enseignants.
Pour Eric Favey, secrétaire national de la Ligue de l’Enseignement, l’Ecole doit s’intéresser aux acquisitions des élèves en dehors de son champ propre, pour les aider à construire « une boussole pour se retrouver dans le flot d’information ». Il recommande de s’intéresser aux blogs des élèves leur apprendre la responsabilité, comme le demandent les lycéens dans la consultation des CVL. Enfin, il appelle à des collaborations entre enseignants et autres professionnels de l’éducation.