« Pouvons-nous construire un projet alternatif ? »
Faire progresser la co-éducation et la défense du service public, c’est le cahier des charges que c’est donné le comité de pilotage pour l’année à venir. Clôturant la journée, la tribune est fournie, signe donné de la plusralité des acteurs rassemblés. Mais le bref temps de parole les contraint à cerner surtout leur territoire propre.
Marianne Baby, au nom de la FSU, entend que cette initiative commune renforce la mobilisation contre une politique « désastreuse », mais aussi contibue à fabriquer une alternative crédible. Réforme de l’Université et formation des enseignants, désengagement de l’Etat, inégalités territoriales lui semblent les chantiers les plus chauds. Annie Thomas, pour la CFDT, insiste sur les demandes des partenaires sociaux : formation initiale différée, pour lutter contre les effets désastreux des sorties sans diplôme à l’issue de la scolarité obligatoire ; mise en place d’un « socle commun de connaissances » pour tous les salariés ; implication des conseils régionaux dans les processus d’orientation. « La crise que nous vivons révèle un énorme besoin de formation des salariés. L’Université et l’enseignement professionnel ont un énorme rôle à y jouer ».
Patrick Gonthier, pour l’UNSA–Education, souhaite « élaborer pour le long terme » : l’Etat ne doit pas renoncer à sa mission d’impulsion et de soutien, d’équilibre entre les territoires, pour la réussite de tous. « Il faut dépasser les rivalités de pouvoir pour organiser les cohérences territoriales dans un dialogue social renouvelé ».
Jacques Hazan, de la FCPE, se sent du « syndicat des écoliers ». « L’élitisme républicain ne doit pas se réduire à l’élitisme de la République« , conduisant à la réussite de la moitié d’une classe d’âge sur le dos de l’autre. Au-delà de la réflexion sur les moyens, il demande qu’on repense la question des « équipements indispensables » pour construire une école digne de ce nom, dans chaque commune. Pour celà, il appelle à développer sur le terrain des initiatives qui dépassent les « publics choisis » et permettant aux usagers de se sentir concernés par l’idée de « projet éducatif ».
Les intervenants suivants tentent d’illustrer le propos en citant des initiatives qu’ils organisent pour y contribuer. Monique Delessard, maire de Pontaut-Combault, rend compte de l’initiative « Collège du XXIe siècle » qui a permis à cinq cents personnes de sa commune se se rencontrer sur le terrain, pour penser ensemble le collège de demain : construction, accueil des parents et des partenaires. « Cela débouche immédiatiement sur des investissements et des réalisations concrètes, notamment sur les équipements en TICE ». A Peyssac, dans la communauté urbaine de Bordeaux, on a mobilisé les services municipaux et les acteurs locaux pour construire une vision de la ville à dix ans. Philippe Deplanque, pour les Francas, fait la publicité des 3e Rencontres des Projets Educatifs Locaux, à Brest.
Eric Favey, pour la Ligue de l’Enseignement, évoque le dixième anniversaire des Assises de Rennes, et l’option choisie pour le prochain Salon de l’Education : « dans une société qui traite alternativement ses enfants comme des menaces ou des cibles de communication, les mouvements éducatifs ne sont pas que des sous-traitants assis sur les vides de l’impuissance des projets politiques. Permettons-nous assez les interactions éducatives entre jeuens, familles et institutions ? Nous réemparons-nous à nouveau de la question du sens pour que les jeunes trouvent une place dans cette société si instable ? »
Education, cohérence, intelligence : trois défis pour demain
Philippe Meirieu, rodé à l’exercice, conclut avec la nécessité d’articuler le pessimisme de la raison (y voir clair, ne pas se laisser piéger par nos bonnes intentions, être lucide) et l’optimisme de la volonté (ne se résigner à aucune fatalité des dons ou des catastrophes). « Faire le choix de l’éducation, de la cohérence, de l’intelligence, c’est pouvoir affronter la chute des théocraties » et l’angoisse du tout libéral.
Pour le pédagogue, une démocratie a besoin de gens qui pensent. C’est la mission de l’éducation. Les institutions démocratiques ne suffisent pas à créer le pouvoir des délibérations collectives, pour que le « bien commun » soit plus fort que l’intérêt individuel. Aujourd’hui, le pouvoir s’adresse aux individus. « La démocratie a besoin d’élever le débat au bien commun. Ce n’est pas le choix de la facilité ou des boucs-émissaires. C’est éviter autant les postures compassionnelles que les stigmatisation policiaires ». Aujourd’hui, il appelle la salle à la modestie : personne ne sait vraiment comment le faire. « Mais c’est notre défi ».
Faisant soudain obliquer le propos, il appelle la salle à être particulièrement exigeant contre l’entrée en force, à tous les niveaux des systèmes bureaucratiques, de la logique des indicateurs de performance, qui dans le cadre de la LOLF (Loi Organisque sur les Lois de Finances) et de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) orientent désormais la prévision et la répartition de la dépense publique : « Je voudrais vous alerter sur la dérive des évaluations. Nous ne devons pas accepter qu’on définisse à notre place les indicateurs. Le désaisisment par la technocratie libérale me semble aujourd’hui un grand danger. L’éducation ne se réduit pas à ce qu’on peut en mesurer. Ce serait rabattre nos ambitions quand on doit les élever. »
Pour gagner en cohérence, il invite donc à explorer avec exigence la notion de « partenariat », surtout lorqu’elle ne se concrétise pas sans heurts sur le terrain. « La superposition, la confusion, c’est le contraire de la cohérence éducative. Quand l’Ecole, c’est la même chose que le centre sociale, un enfant ne peut pas savoir ce qu’est l’Ecole. Nous sommes dans une période étrange où on scolarise la société et où on déscolariser l’école. A chacun son espace, sa spécificité. »
Faire enfin le choix de l’intelligence, c’est comprendre que l’éducation peut faire progresser l’homme, quand elle sait associer l’intelligence et le plaisir. « Le plaisir sans l’intelligence, c’est le pulsionnel de la télévision. Et l’intelligence sans le plaisir, c’est le formalisme et l’inefficacité. » C’est pour l’orateur un véritable enjeu de société, dans tous les lieux d’éducation. Meirieu revient avec Gramsci : « aider à y voir clair dans ce que nous fabriquons, nous donner du courage pour mieux faire demain ce que nous aurons à faire, c’est le sens que je veux donner à cette journée ».