Historiquement, la compétence, c’était l’espace public sur lequel on avait un pouvoir : le maire a compétence à régler la police municipale, le tribunal administratif à régler un litige entre un fonctionnaire et sa tutelle. Par glissement sémantique, c’est devenu la capacité de quelqu’un à agir dans une situation professionnelle ou personnelle : un médecin, un garagiste, une enseignante peuvent être reconnus comme compétents (notons au passage qu’on ne s’autoproclame pas compétent, on vous reconnaît comme tel, par la doxa ou par le diplôme. Dans ce cas, vous êtes « présumé compétent », puisqu’on vous a formé à…).
Donc, être compétent, c’est être capable de faire quelque chose qui contribue à régler un problème, dans une situation complexe (une situation où plusieurs choses sont entremêlées). Que la société ait besoin de personnes « compétentes » ne se discute pas : pour l’image de soi des individus comme pour les collectifs de travail, c’est mieux.
Mais là où les choses se corsent, c’est quand on cherche à comprendre ce qui fait qu’une personne, généralement en situation professionnelle, est reconnue comme compétente. Prenons un exemple simple ( !) : un enseignant. A quoi reconnaît-on qu’il est compétent ? Parce qu’il se fait respecter dans sa classe ? Qu’il a les meilleures évaluations CM2 du canton ? Qu’il sort chaque année trois élèves pour la Prépa ?
Au-delà de ces caricatures, on pourrait définir un enseignant compétent comme un professionnel capable de faire apprendre ses élèves ? Tout de suite, on mesure qu’il est difficile de mettre une barre séparant les « compétents » des « incompétents » : celui qui fait réussir tous les élèves à avoir la moyenne ? celui qui fait que les élèves font un peu mieux qu’ailleurs, étant donné ce qu’ils vivent par ailleurs (ou étant donné leurs talents individuels, selon sa religion…) ?
Mais cette question n’est rien au regard de la suivante : quels sont les savoirs, savoir-faire, savoir-être (pour parler comme les adeptes des compétences) qui y contribuent ? A moins qu’il ne faille aussi tenir compte de ses savoir-travailler, savoir-se préserver, savoir-comprendre, savoir-sourire ou savoir-ne-pas-renoncer ?
Un enseignant qui répond aux dix compétences du « référentiel de métier » publié fin 2006 a-t-il dû travailler opiniâtrement, une par une et dans quel ordre, la compétence « agir en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable » (ça va bientôt devenir contradictoire…), « se former et innover », « organiser le travail de la classe » ? Il serait évidemment stupide de penser qu’être compétent serait la somme des compétences qu’on a détaillées dans le référentiel.
Par contre, on comprend bien que le référentiel permet de penser une image du métier : en décortiquant les dix compétences de l’enseignant, on se donne un cadre pour concevoir (mettre en mots ?) une certaine idée de l’activité à mener pour être reconnu comme compétent. Au passage, notons que cette liste se discute nécessairement : pourquoi faut-il être « innovant » ? Que serait une enseignant qui ne serait pas fonctionnaire de l’Etat agissant avec éthique ?
Les compétences ne s’usent que si on ne s’en sert pas ?Mais c’est justement ce qui peut faire l’intérêt d’un tel référentiel : se dire que chacune des compétences va être une dimension du métier, de l’activité, avec laquelle on va devoir se frotter, faire des choix, être soumis à des tensions, devoir arbitrer entre des exigences contradictoires. Ce n’est donc pas un catalogue behaviouriste qu’on pourrait cocher au fur et à mesure de sa formation. « Le professeur est capable de prendre en charge un groupe ou une classe, de faire face aux conflits, de développer la participation et la coopération entre élèves » réclame le référentiel officiel. Sacré programme. Tous incompétents ?
Par contre, la précision des items et sous-items déclinés devrait permettre d’exercer une vigoureuse controverse profesionnelle, lorsqu’elle est organisée dans la formation : « pour être capable de faire face aux conflits, comment tu fais, toi ? ».
A travers ce petit détour sur ce qui peut tourner autour de la « compétence » d’un enseignant, c’est sans doute le mérite essentiel de la notion : nous permettre de nous décoller du « noir ou blanc », qui renvoie toujours la compétence à une sorte de don immanent aux personnes : on l’a ou pas…
La compétence, au sens propre (pas au sens de ses mille usages contradictoires dans les écrits qui en font l’avenir de l’Ecole) est un produit de mille choses qui contribuent à la construire : on peut donc agir, en se méfiant des démiurges et des dogmes, mais en refusant de s’enfermer dans les fatalités.
Voici au moins une règle d’action, éthique et responsable, que tous les enseignants peuvent tenter de reprendre à leur compte… dans leur classe.