Par François Jarraud
En publiant aux éditions Indigènes un court ouvrage qui explique son combat, Bastien Cazals affirme ses convictions sur une destruction de l’école publique. Il répond aux questions du Café.
« En sept années de « réformes de l’enseignement primaire; tout ce en quoi je croyais est mis à mal ». C’est un jugement très dur qui est porté sur les mesures Darcos. Avez vous vraiment l’impression d’une rupture ?
Oui c’est un jugement très dur, mais pas uniquement contre les mesures Darcos puisque, sur sept années, plusieurs ministres se sont succédés.
Il est vrai que, depuis 2 ans, j’ai l’impression d’une rupture : les réformes s’enchaînent dans la précipitation, sans concertation, sans l’adhésion des professionnels et sans véritable information des parents. Des exemples : les nouveaux programmes et les nouvelles évaluations, la nouvelle semaine scolaire et l’aide personnalisée, le SMA et la négociation préalable au droit de grève. A venir : les EPEP, les jardins d’éveil, l’agence nationale du remplacement, la formation initiale (IUFM)…
D’ailleurs, c’est peut-être à cause de cette accélération du rythme et de cette absence de dialogue que la cohérence du projet gouvernemental m’est apparue au grand jour !
Vous dites aussi qu’il y a une « grande cohérence » dans ces mesures. Une cohérence budgétaire ou distinguez vous un complot contre l’Ecole ?
Oui, ces réformes sont d’une très grande cohérence. Le poids des impératifs budgétaires sur la gestion de ce ministère n’est plus discuté par personne. Mais cette logique ne date pas d’aujourd’hui (même si la récente RGPP en accroît la pression). Sauf que, jusqu’à présent, les conséquences en étaient moins visibles (car on diminuait les effectifs en coulisses : administration, santé et social, remplaçants) ; on peut dire que c’était le plus facile. Maintenant il faut réduire encore plus le nombre de postes sans trop toucher au nombre d’enfants par classe… D’où les réformes qui permettront de diminuer les enseignants spécialisés (nouvelle semaine scolaire et aide personnalisée), les enseignants de maternelle (jardins d’éveil et structures multi-accueil) et celles qui feront définitivement disparaître les titulaires remplaçants (agence nationale du remplacement) et les professeurs stagiaires (IUFM) !
Pourtant cette logique budgétaire masque une idéologie anti-républicaine qui semble être le véritable moteur des réformes : abandon des enfants handicapés (mal accompagnés à l’école du quartier et sans places dans les établissements spécialisés), des enfants en difficulté (confrontés à des programmes inadaptés, des journées allongées par l’aide personnalisée et des vacances raccourcies par les stages de remise à niveau), de la petite enfance (l’état se désengage progressivement de ce secteur au profit de structures payantes), de l’égalité des écoles sur le territoire (EPEP et publication des évaluations)…
D’autre part, j’ai la désagréable impression que l’école se voit attribuer un rôle dans le contrôle social généralisé : n’oublions pas que l’application base élèves (suivie de sa base nationale des identifiants élèves) a vu le jour à l’époque où deux rapports prônaient le dépistage de la délinquance dès 3 ans (idées qui ne sont malheureusement pas totalement abandonnées) !
Pour autant, je ne parlerai pas de complot ! Mais bien d’un projet politique, désastreux pour la République…
Dans votre classe, ce refus se marque par quels choix ?
Dans ma classe de petite section, les enfants sont heureux et épanouis, merci ! Ils ne subissent aucun dommage collatéral de mon engagement actuel… Plaisanterie pour dire que ma désobéissance affichée n’a aucune influence sur ma pratique pédagogique.
Ce sentiment d’une forme de lutte finale sur l’Ecole est il partagé autour de vous ?
C’est justement parce que ce sentiment n’est partagé que par les gens bien informés que j’ai accepté d’écrire ce livre ! J’espère qu’à sa lecture, des citoyens comprendront qu’il s’agit bien d’une lutte finale pour l’Ecole publique et laïque, héritée de Jules Ferry, car l’enseignement primaire que l’on nous prépare sera définitivement à plusieurs vitesses et n’offrira pas à tous les enfants, sur tout le territoire, le même enseignement élémentaire et fondamental, permettant une véritable émancipation sociale.
Vous faites partie des « désobéisseurs ». Où en êtes vous personnellement dans ce combat ?
Je poursuis mon engagement dans la désobéissance, avec une détermination plus grande encore. Mais je sais que je m’engage sur un long chemin… Il n’est pas aisé, à la fois, de résister à toutes ces réformes et de faire accepter la voie de la désobéissance civile.
Vous avez eu un parcours un peu atypique avec un passage comme cadre en entreprise . Ce parcours a-t-il joué un rôle dans vos choix actuels ?
Bien évidemment ! Après avoir appris ce qu’on inculque aux « cadres d’entreprise », et pris conscience des « valeurs » que les « techniques de management » véhiculent, je n’ai pas attendu la crise financière pour être persuadé de l’impasse d’une organisation du monde régie par les seuls critères économico-financiers.
Quelle issue voyez-vous à votre combat ?
Je n’en sais rien. Je prends les choses les unes après les autres…
Bastien Cazals
Entretien : François Jarraud
L’ouvrage :
Bastien Cazals, Je suis prof et je désobéis, Editions Indigènes,24 pages.
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