Par Laurent Piau
Droit de grève, droit d’alerte et droit de retrait
Droit de grève, droit d’alerte et droit de retrait ayant parfois tendance à être exercés de manière inappropriée, nous allons leur consacrer la rubrique juridique de ce mois afin de mieux cerner les difficultés que leur exercice présente.
A) Le droit de grève
Le droit de grève est posé par le préambule de la Constitution de 1946 et repris dans celui de la constitution de 1958 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent«
De ce fait, le droit de grève est un droit fondamental et le Juge des référés l’a consacré comme une liberté fondamentale qui, au même titre qu’une atteinte à la liberté syndicale, peut être sanctionnée dans le cadre du référé-liberté.
Pour les agents publics, c’est l’article 10 de la loi n°83-634 portant droits et obligations des fonctionnaires qui leur accorde explicitement ce droit de grève « Les fonctionnaires exercent le droit de grève dans le cadre des lois qui le réglementent. » et ce sont les dispositions de la loi n°63-777 du 31 juillet 1963 qui l’encadrent en fixant les modalités de dépôt du préavis et le principe des retenues sur traitement.
Mais malgré ces textes, il n’existe pas de définition constitutionnelle ou légale de la grève.
C’est pourquoi, la jurisprudence l’a définie comme la cessation concertée du travail pour la défense d’intérêts professionnels.
Et c’est la raison pour laquelle, toute autre action sera considérée comme un exercice illégal du droit de grève.
Les professeurs pourront donc exercer sans crainte ce droit s’ils répondent à un mot d’ordre lancé par une organisation syndicale ayant déposé un préavis de grève dans les délais légaux, soit cinq jours francs avant le début de la grève, et s’ils s’en tiennent à la cessation concertée du travail pour défendre leurs intérêts professionnels.
Toutefois, en application des dispositions de l’article L. 133-4 du code de l’éducation qui dispose « Dans le cas où un préavis de grève a été déposé dans les conditions prévues par l’article L. 2512-2 du code du travail et en vue de la mise en place d’un service d’accueil, toute personne exerçant des fonctions d’enseignement dans une école maternelle ou élémentaire publique déclare à l’autorité administrative, au moins quarante-huit heures, comprenant au moins un jour ouvré, avant de participer à la grève, son intention d’y prendre part« , les professeurs des écoles devront avertir l’administration de leur intention d’user de leur droit de grève au moins quarante-huit heures, comprenant au moins un jour ouvré.
Ceci dit, depuis l’arrêt Dehaene en date du 7 juillet 1950, une jurisprudence abondante a consacré une certaine restriction de ce droit de grève « …en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public« .
Pour les professeurs, l’essentiel du contentieux sur ce droit a trait aux grèves qui se déroulent durant les examens. Et ce, d’autant plus, que la réponse de l’administration a bien souvent été de réquisitionner les enseignants alors que cela est illégal.
En effet, la définition de la « réquisition » est posée par la loi du 11 juillet 1938 qui ne s’applique qu’aux situations de troubles particulièrement graves et qui ne peut intervenir que lorsque la nation est en danger.
En revanche, au fil du temps, la jurisprudence a mis en balance le droit de grève et les nécessités de l’ordre public. Les fondements de cette jurisprudence constante à ce jour ont été posés par l’arrêt Dehaene du Conseil d’Etat en 7 juillet 1950.
Dans l’état actuel de la jurisprudence, il est possible à l’administration de « requérir » un agent gréviste par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre signature en cas de besoin urgent d’ordre ou de sécurité publique. De même, l’autorité administrative peut procéder à des réquisitions de police destinées à s’assurer du concours d’une ou plusieurs personnes pour des besoins impérieux d’intérêt public.
Mais ces mesures reposaient sur une base juridique fragile. C’est pourquoi, la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 a autorisé le représentant de l’Etat à requérir des personnels grévistes, même relevant d’un employeur privé, lorsque l’urgence et une menace de troubles à l’ordre public le justifient mais sous réserve qu’elles soient proportionnées aux nécessités de l’ordre public.
Est-ce le cas pour les examens ? On peut en douter, ce qui explique sans doute pourquoi, jusqu’à présent, l’administration n’a, semble-t-il, formellement requis aucun professeur gréviste durant les examens.
Ceci dit, en application de l’article 28 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, un fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public« .
Dès lors, si vous recevez, de votre Chef de service, une décision de vous requérir adressée en lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre signature, il vous sera difficile de refuser d’y obéir.
Par contre, vous pourrez, par un référé-liberté déposé devant le Tribunal administratif local, contester la légalité de cet ordre et le faire suspendre. Et ce, dans un délai de 48 heures….
Terminons cette analyse du droit de grève par quelques remarques :
• Un fonctionnaire présent pendant la totalité de ses heures de service et qui a exécuté l’essentiel du contenu de son service ne peut être considéré comme gréviste même s’il s’est abstenu de faire une partie des tâches qui lui incombent ou qu’il les a mal exécutées.
• La grève peut être illicite quand, dans les services publics, elle n’est, par exemple, pas précédée d’un préavis syndical ou de la déclaration d’intention prévue par L. 133-4 du code de l’éducation.
• Nul ne peut être sanctionné pour avoir fait grève, ni explicitement ni implicitement dans la notation par exemple.
La retenue sur traitement pour grève s’opère selon la règle du trentième indivisible. Elle signifie que c’est un trentième du traitement qui vous est retenu par journée de grève, et ce, que vous ayez fait grève une heure ou la journée entière.
La retenue sur les heures supplémentaires année (HSA) se fait par 1/270ème du montant annuel brut de l’HSA et la non participation aux conseils de classe ou aux réunions un jour de grève pour lequel vous ne vous êtes pas déclaré gréviste, entraînera une retenue d’un 1/30ème de l’ISOE mais pas du traitement.
Le Chef d’établissement ne peut pas vous déclarer gréviste d‘office mais il peut constater votre absence au service et vous en demander la raison. Pour qu’un trentième de traitement vous soit retenu, il faut donc que vous vous déclariez gréviste, l’absence au service, qui peut découler d’un autre motif, tel que la maladie, ne suffisant pas à la retenue.
L’arrêt Omont du Conseil d’État en date du 7 juillet 1978 a posé le principe suivant du décompte des jours de grève : « En l’absence de service fait pendant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues à opérer sur le traitement mensuel d’un agent public s’élève à autant de trentièmes qu’il y a de journées comprises du premier jour inclus au dernier jour inclus où cette absence de service fait a été constatée, même si, durant certaines de ces journées, cet agent n’avait, pour quelque cause que ce soit, aucun service à accomplir« .
Cette solution a été affinée dix ans plus tard par le Conseil d’Etat qui dans en arrêt en date du 6 mai 1988 (n°69718) a considéré « qu’eu égard aux conditions particulières d’exercice de leurs fonctions les personnels enseignants de l’enseignement secondaire qui, bien que n’ayant aucun cours à assurer devant les élèves le jour de la grève, ont manifesté leur volonté de s’associer au mouvement de cessation concertée du travail organisé dans leur établissement peuvent légalement être regardés comme n’ayant pas accompli leurs obligations de service pendant toute la durée de ladite grève »
En application de ces jurisprudences du Conseil d’État, le calcul de la retenue pour grève peut donc parfaitement porter sur des jours au cours desquels vous n’aviez pas d’obligations de service tels les jours fériés, les congés ou les week-ends.
Ainsi, un emploi du temps qui fixe des heures de cours les lundi, mardi, jeudi et vendredi fait que quatre trentièmes vous seront retenus si vous êtes en grève le vendredi et le lundi suivant mais seulement trois trentièmes si vous êtes en grève le mardi et le jeudi. Dans tous les autres cas, seules les journées de grève effectives seront retenues.
B) Le droit d’alerte
Il est posé par la loi n°82-1097 du 23 décembre 1982 et défini par l’article 5-5 du décret n°82-453 du 28 mai 1982.
Article 5-5 « Dans le cas d’une situation de travail présentant un risque grave pour la santé ou la sécurité des agents lors de l’exercice de leurs fonctions, ou en cas de désaccord sérieux et persistant entre l’Administration et le comité d’hygiène et de sécurité, le Chef de service compétent ainsi que le comité d’hygiène et de sécurité compétent peuvent solliciter l’intervention de l’inspection du travail. Les agents chargés d’assurer une fonction d’inspection en matière d’hygiène et de sécurité, mentionnés aux articles 5 et 5-1 ci-dessus, peuvent également solliciter cette intervention.
Dans le cas d’un désaccord sérieux et persistant, l’inspection du travail n’est saisie que si le recours aux agents mentionnés aux articles 5 et 5-1 ci-dessus n’a pas permis de lever le désaccord.
Peuvent être sollicitées, dans les mêmes conditions, l’intervention d’un membre du corps des vétérinaires inspecteurs ou du corps des médecins inspecteurs de la santé dans leurs domaines d’attribution respectifs ainsi que l’intervention du service de la sécurité civile.
L’intervention faisant suite à la procédure prévue aux alinéas 1, 2 et 3 du présent Article donne lieu à un rapport adressé conjointement au Chef de service concerné, au comité d’hygiène et de sécurité compétent, à l’agent mentionné aux articles 5 ou 5-1 ci-dessus et, pour information, au préfet du département. Ce rapport indique, s’il y a lieu, les manquements en matière d’hygiène et de sécurité et les mesures proposées pour remédier à la situation.
Le Chef de service adresse dans les quinze jours au membre du corps de contrôle à l’origine du rapport une réponse motivée indiquant les mesures immédiates qui ont fait suite au rapport ainsi que les mesures qu’il va prendre accompagnées d’un calendrier.
Le Chef de service communique copie, dans le même délai, de sa réponse au comité d’hygiène et de sécurité compétent ainsi qu’à l’agent mentionné aux articles 5 ou 5-1 du présent décret.
En cas de désaccord du Chef de service sur le rapport prévu à l’alinéa 4 du présent Article ou lorsque les mesures indiquées dans la réponse ne sont exécutées, le membre du corps de contrôle, auteur du rapport, adresse, par la voie hiérarchique, un rapport au Ministre compétent. Celui-ci fait connaître sa réponse dans un délai d’un mois. Le rapport et la réponse du Ministre sont communiquées au comité d’hygiène et de sécurité local et au comité central d’hygiène et de sécurité compétent.«
Le droit d’alerte, préalable indispensable au droit de retrait, consiste donc, pour le fonctionnaire, à signaler l’existence d’un danger grave et imminent à son supérieur hiérarchique (ou à son représentant).
Il implique donc que le fonctionnaire qui entend se prévaloir de ce droit :
• Ne tarde pas à en user. En effet, l’État qui pourra se voir condamner à une indemnisation complémentaire du préjudice, au motif de son inaction ou de son action tardive, si un préjudice a été subit par le fonctionnaire ou un tiers, pourra reprocher à l’agent public son retard à le prévenir, voire se retourner contre lui (action récursoire).
• Le fasse auprès du Chef d’établissement par fax ou par lettre recommandé avec accusé de réception et soit précis dans la description de ce danger et de son caractère imminent.
C) Le droit de retrait
Il est, lui aussi, posé par la loi n°82-1097 du 23 décembre 1982 et défini par les articles 5-6 à 5-9 du décret n°82-453 du 28 mai 1982.
Article 5-6 « Si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé ou s’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection, il en avise immédiatement l’autorité administrative.
Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent ou d’un groupe d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux.
La faculté ouverte au présent Article soit s’exercer de telle manière qu’elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.
L’autorité administrative ne peut demander à l’agent de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent.
La détermination des missions de sécurité des biens et des personnes qui sont incompatibles avec l’exercice du droit de retrait individuel défini ci-dessus en tant que celui-ci compromettrait l’exécution même des missions propres de ce service, notamment dans les domaines de la douane, de la police, de l’Administration pénitentiaire et de la sécurité civile, est effectuée par voie d’arrêté interministériel du Ministre chargé de la fonction publique, du Ministre chargé du travail et du Ministre dont relève le domaine, pris après avis du comité d’hygiène et de sécurité central compétent et de la commission centrale d’hygiène et de sécurité du Conseil supérieur de la fonction publique de l’État. »
Article 5-7 « Si un membre du comité d’hygiène et de sécurité constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un agent qu’il s’est retiré de la situation de travail définie au premier alinéa de l’Article 5-6, il en avise immédiatement le Chef de service ou son représentant et consigne cet avis dans le registre établi dans les conditions fixées à l’Article 5-8. Il est procédé à une enquête immédiate par le Chef de service, en compagnie du membre du comité d’hygiène et de sécurité ayant signalé le danger. Le Chef de service prend les mesures nécessaires pour remédier à la situation et informe le comité des décisions prises.
En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le Chef de service arrête les mesures à prendre, après avis du comité d’hygiène et de sécurité compétent réuni en urgence dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures. L’inspecteur du travail est obligatoirement saisi selon les modalités prévues à l’Article 5-5 ci-dessus et assiste de plein droit à la réunion du comité d’hygiène et de sécurité. Après avoir pris connaissance de l’avis émis par le comité d’hygiène et de sécurité, l’autorité administrative arrête les mesures à prendre.«
Article 5-8 « Les avis mentionnés au premier alinéa de l’Article 5-7 sont consignés dans un registre spécial côté et ouvert au timbre du comté. Il est tenu, sous la responsabilité du Chef de service, à la disposition :
– des membres du comité d’hygiène et de sécurité ;
– de l’inspection du travail ;
– des agents mentionnés aux articles 5 et 5-1 du présent décret.
Tout avis figurant sur le registre doit être daté et signé et comporter l’indication des postes de travail concernés, de la nature du danger et de sa cause, du nom de la ou des personnes exposées, les mesures prises par le Chef de service y sont également consignées. »
Article 5-9 « Le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur définie à l’Article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale est de droit pour les agents non-fonctionnaires qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un membre du comité d’hygiène et de sécurité avaient signalé au Chef du service ou à son représentant le risque qui s’est matérialisé. »
Ainsi donc, le droit de retrait :
• Est un droit individuel lié à un danger visant personnellement l’agent ou des tiers.
• Ne peut être exercé sans utiliser au préalable, ou en même temps, la procédure d’alerte.
C’est pourquoi, son utilisation est plus compliquée.
En effet, le texte dit : »Si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé ou s’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection, il en avise immédiatement l’autorité administrative. Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent ou d’un groupe d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux«
Tout le problème réside donc dans l’appréciation de ce motif raisonnable et du danger grave et immédiat pour sa vie ou sa santé.
Le danger grave et imminent s’analyse comme une menace susceptible de provoquer dans un court délai une atteinte sérieuse à l’intégrité physique ou mentale du fonctionnaire ou à des tiers tels les usagers du service public.
Il peut avoir une cause matérielle mais aussi immatérielle telle une ambiance de travail.
Il doit présenter un certain degré de gravité et doit être distingué du risque inhérent au service et des conditions normales d’exercice du service.
Enfin, l’imminence du danger suppose que le danger ne soit pas encore réalisé mais qu’il sera susceptible de se concrétiser dans un bref délai.
Il est donc indispensable de définir avec précision le danger grave et immédiat pour sa vie ou sa santé afin d’éviter d’user du droit de retrait sans avoir un motif réel et sérieux.
Certes, une erreur du fonctionnaire sur l’existence de ce danger grave et imminent ne constitue pas une faute pouvant être sanctionnée si ce même fonctionnaire démontre qu’il avait un motif raisonnable de croire à un danger grave et imminent.
Mais, si l’exercice du droit de retrait est abusif, une retenue du traitement pour absence de service fait pourra être effectuée.
Bien évidemment, en cas de danger démontré, vous ne reprendrez pas votre service tant que le danger n’aura pas été éliminé.
D’autant que, averti par le fonctionnaire ou par un membre du CHSCT, l’autorité administrative ou son représentant devra prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le risque et ne pourra imposer au fonctionnaire usant de son droit de retrait de reprendre son travail tant que la situation ne sera pas redevenue normale.
Attention : est considéré comme l’exercice du droit de grève et non du droit de retrait, le retrait du service décidé par des fonctionnaires qui, dans le même temps, présentent une revendication professionnelle.
Aussi, faites valoir vos revendications un autre jour que celui de la première utilisation de votre droit de retrait !
Laurent Piau
Laurent Piau, juriste, est l’auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF
Sur cet ouvrage :
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