La formation n’est pas une marchandise comme les autres
Les relations entre les financeurs, et en premier lieu les financeurs publics, et les organismes de formation ; sont aussi des points sensibles. L’achat de formation relève du code des marchés publics or, la formation en période de crise participe du traitement social du chômage. C’est de ce paradoxe que les Régions, principaux acheteurs de formation, tentent de faire sortir la formation. Durant deux jours, les 19 et 20 février, les acteurs de la formation de Poitou Charentes étaient réunis pour réfléchir autour de « la formation entre marché et service public ». Deux jours de conférences et d’échanges pour dessiner un nouveau modèle, souhaité par l’Assemblée des Régions de France et bientôt étrenné par les picto-charentais, quelque part entre la logique de marché et le cadre institutionnel public.
La formation, côté marché
Dans le cadre de la réglementation européenne, l’achat de formation par les administrations publiques, Etat et régions entre autres, est soumis aux règles des appels d’offre et de la mise en concurrence des réponses. Ces réponses peuvent provenir aussi bien d’organismes de formation locaux qu’extra-territoriaux. Elles sont analysées au travers de critères définis à l’avance et ne peuvent être sélectionnées sous d’autres conditions que celles énoncées dans l’appel d’offres. Ce principe, qui, côté positif, favorise à priori la transparence et l’équité, génère des effets négatifs sur la survie des organismes de formation en particulier publics ou associatifs dont l’activité dépend en grande partie de la commande publique.
En effet, les marchés sont conclu pour une durée de un à trois ans sans certitude qu’elles seront reconduites. Les organismes de formation ont donc une visibilité très faible sur leur avenir et leur possibilité de financer les salaires des personnels. La tentation est forte de recourir à des vacataires, à des formateurs indépendants en sous-traitance ou à des CDD de courte durée pour calquer au plus juste la gestion des personnels aux activités effectives de l’organisme. « On fait pour des précaires par des précaires» remarquait une formatrice présente au forum de Poitiers. Cette précarité a un impact très fort sur la relation avec les apprenants et freine les initiatives d’innovation pédagogique sui pourraient être menées dans la durée au sein des organismes de formation. Or, pour Paul Santelman, « il faut sortir de la formation pour adultes car on est dans un environnement complexe ». Les organismes de formation doivent offrir un environnement de service et plus uniquement de la formation, une transformation qui ne peut s’opérer sans une certaine sérénité.
Pour Vincent Merle l’idée d’un « individu libre et solvable dans un marché libre de la formation » est une utopie libérale. Les individus décident et financent rarement seuls leur formation. S’ils sont salariés, et selon le dispositif, ils se conformeront ou au mieux participeront à la décision de l’employeur. S’ils sont demandeurs d’emploi, l’entrée en formation dépendra d’une validation par un conseiller de Pôle Emploi. De même l’offre de formation est la plupart du temps soumise aux politiques d’achat qu’elles soient publiques ou privées, limitant la liberté de choix aux dispositifs agréés par les financeurs. D’autre part, certains segments sont difficiles à inclure dans la logique de marché par le besoin fort en accompagnement individuel qu’ils induisent. C’est le cas notamment pour tout ce qui ressort de l’insertion des jeunes, qui implique une prise en compte globale de la situation de la personne débordant le cadre strict de la formation. Pour Vincent Merle, « il existe un besoin d’accompagnement dans la durée, de guidance et d’individualisation des parcours ».
Et puis, explique la vice-présidente du Conseil Régional de Poitou-Charentes, Brigitte Tondusson, « la perspective de sécurisation des parcours professionnels impose la recherche d’une certification monnayable sur le marché du travail ». Or, l’acquisition de cette certification passe souvent par une formation qui doit être accessible à tous, y compris ceux dont le parcours scolaire a amoindri le goût d’apprendre. Le marché public, par ses dimensions techniques, contraint souvent les limites du dispositif de formation au seul impératif de l’acquisition de la certification. Le temps nécessaire aux individus pour reprendre le chemin de l’apprentissage, de la vie sociale parfois, n’est pas pris en compte et les aspects d’accompagnement social ou psychopédagogique encore moins. La dérive du marché est aussi de placer un processus éminemment humain dans une dynamique purement mécanique. Pour Brigitte Tondusson « l’homme s’affirme comme une fin en soi ».
Poitou-Charentes est confrontée à cette limite du marché, à l’instar de l’ensemble des régions de France, pour qui les dépenses en matière de formation ont augmenté de 85,5%. En héritant, dans le cadre de la décentralisation, de l’Afpa, le plus important des organismes publics, les régions sont aussi concernées par la fragilisation des prestataires de formation.
Le retour du service public
L’idée d’organiser un marché public a émergé au sein de l’Association des Régions de France pour garantir une qualité et une permanence de l’offre de formation intégrant les dimensions d’accompagnement individuel. Et c’est de Poitiers qu’est partie la première salve avec un appel à candidatures auprès des organismes picto-charentais pour appartenir au Service d’Intérêt Economique Général de formation (le sieg). Pour des métiers et des qualifications données, de niveau CAP ou inférieur, un nombre de places sera attribué à chaque organisme retenu. En échange, les prestataires de formation devront répondre à un certain nombre de critères : l’individualisation des parcours de formation, l’accueil tout au long de l’année, des moyens et des équipes pédagogiques adéquats, des services complémentaires comme la restauration et l’hébergement. Ils seront financés sur la base des coûts réels engendrés pour l’organisation, la mise en œuvre et l’accompagnement des parcours de formation. La convention aura une durée de cinq ans, ce qui donnera plus de visibilité sur l’avenir.
Ce projet engendre des inquiétudes du côté des organismes de formation, en particulier ceux qui ne seront pas en mesure de rentrer dans le dispositif, soit parce que les contraintes sont trop lourdes, soit parce qu’ils ne proposent pas les certifications ciblées. Pour répondre à ces inquiétudes, le Conseil Régional mentionne la poursuite des appels d’offre pour toutes les certifications au-delà du niveau V ou des besoins ponctuels. Le Sieg concernerait les qualifications dont les besoins sont structurels et le code des marchés publics serait appliqué pour les besoins plus conjoncturels. Il apparaît toutefois que le nouveau système engendrera de nouvelles relations entre la Région et les organismes de formation dont elle est souvent le principal client.
Cette évolution correspond à l’émergence de la notion de flexisécurité et au passage du collectif à l’individuel dans le traitement social du chômage. Daniel Opic, vice-président du Conseil Régional de Poitou-Charentes, le précisait lors du forum « la formation est la seule solution pour les personnes privées d’emploi de s’insérer ou de se réinsérer ». Pour réussir ce pari de l’obtention d’une qualification monnayable sur le marché du travail, le choix a donc été fait de sortir en partie la formation des chemins balisés et restrictifs de la concurrence. La construction de ce nouveau système est une véritable innovation avec une prise de risque juridique non négligeable. Elle constitue aussi un retour au premier plan du facteur humain pour lier dans une même conception l’éducation … et la formation tout au long de la vie.
Monique Royer
4e Forum régional de la formation « la formation entre marché et service public ? » Résumé des interventions
http://www.poitou-charentes.fr/forums-participatifs/formation/4-forum-formation
Actes du colloque « la formation continue, un service social d’intérêt général »
http://www.regionpaca.fr/uploads/media/actes_colloque_ssig.pdf
Des nouvelles de la réforme de la formation professionnelle
La visite de Nicolas Sarkozy du 3 mars 2009 dans la Drôme était consacrée à la formation professionnelle et à l’annonce de la réforme basée sur l’accord national interprofessionnel avec quelques rajouts inspirés par les différents rapports qui ont fleuri ces derniers temps. La loi devrait d’intéresser de près aux fonds de la formation dans un but de clarification et d’efficacité. Les salariés des PME et les personnes peu qualifiées et les jeunes devraient figurer parmi les publics prioritaires. L’information, le conseil et l’orientation feront aussi partie du projet.
Alternatives Economiques a interviewé Michel Théry, chef de département au Cereq, sur ce projet de réforme et l’état d’avancement de la formation tout au long de la vie en France et chez nos voisins. Il retrace un bref historique des réformes avant d’analyser les effets de la dernière en date. Il pointe une des particularités françaises : la dichotomie entre formation initiale et formation continue qui amoindrit l’efficacité du système.
Le discours du Président de la République
http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=03.03_RFF_Drome.pdf
L’analyse du Centre Inffo
http://www.centre-inffo.fr/Pourquoi-reformer-la-formation.html
Article de Libération
http://www.liberation.fr/politiques/0101472563-formation-professionnelle-le-chantier-avance
Entretien avec Michel Théry
Lecture
«L’éducation et la formation tout au long de la vie » sous la direction de Lucette Colin et Jean-Louis Le Grand, éditions Economica, collection Education.
Lucette Colin et Jean-Louis Le Grand, tous les deux responsables du master «Education tout au long de la vie » ont invité leurs collègues du laboratoire EXPERTICE, dépendant de Paris VIII et Paris XII, à explorer les dimensions de l’éducation et de la formation tout au long de la vie dans un ouvrage collectif. Cette notion qui selon la communauté européenne recouvre « les activités d’apprentissage, entreprises, à tout moment de la vie, dans le but d’améliorer les connaissances, les qualifications et les compétences, dans une perspective personnelle, civique, sociale et/ou liée à l’emploi » interroge à la fois le concept d’éducation, les processus d’apprentissage et la reconnaissance de ces apprentissages.
Les auteurs se sont intéressés à la notion d’expérience, à la construction des savoirs informels qu’elle favorise, à travers par exemple, les activités associatives, le voyage, les correspondances ou les histoires de vie. La reconnaissance des savoirs informels au niveau pédagogique mais aussi institutionnelle constitue un enjeu fort pour une véritable éducation et formation tout au long de la vie. L’apport des chercheurs permet de regarder posément les différents chemins de l’apprentissage, là où les savoirs informels se structurent, et d’envisager l’éducation autrement.
Monique Royer
Séminaire en ligne « Education tout au long de la vie, approches critiques »