Les dix nouveaux commandements
La réforme (ce mot a-t-il encore un sens ?) de la formation des enseignants, qui fait actuellement l’objet de vives critiques, n’est-elle qu’un moyen de faire des économies, ou vise-t-elle à transformer en profondeur la culture et les ambitions de l’école de la République ? Nombre de points de vue exprimés dans les colonnes du Café le pensent.
Mais s’il fallait un signe de plus, un indice, le projet de texte régissant l’organisation de la formation, que le Café s’est procuré, l’indique dans d’un bref paragraphe, définissant le « métier d’enseignant » d’une manière radicalement différente de ce qui était énoncé dans les « dix compétences fondamentales pour le métier d’enseignant », publiées en 2006 par un ministère dont l’orientation politique était pourtant proche…
Qu’on en juge :
– « maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale », « agir en fonctionnaire éthique et responsable », « se former et innover » ne sont plus cités.
– « faire cours et faire apprendre » remplace « organiser le travail de la classe »,
– « individualiser son enseignement » remplace « prendre en compte la diversité des élèves »
– « évaluer les aptitudes » remplace « évaluer les élèves »
– « exiger des efforts et donner confiance », « percevoir les talents », « aider l’élève dans son projet d’orientation » viennent remplacer « travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’Ecole ».
Derrière les mots, toute une idéologie : celle de l’individualisme, des dons, du mérite. Le gouvernement pousse sa logique à l’extrême : le social n’existe plus, le collectif non plus.
Ce texte est évidemment un épiphénomène, mais il en dit long sur ce qu’on veut faire à l’Ecole. C’est bien d’une révolution libérale qu’il est question. Rien d’étonnant, dans une telle perspective, que le ministre refuse d’entendre la question essentielle de l’articulation entre les phases de prise en main de la classe et le retour réflexif indispensable pour apprendre à faire son métier, comme le font les médecins ou les plombiers.
Pourtant, la question essentielle devrait être de construire une formation initiale permettant d’armer des jeunes enseignants à entrer dans un métier de plus en plus difficile :
– maîtriser les savoirs à enseigner, évidemment, mais aussi pouvoir commencer à comprendre les difficultés d’apprentissage des élèves, leurs différentes manières de vivre l’Ecole, l’irruption des difficultés sociales dans l’Ecole…
– apprendre à « faire classe » pour ne pas en rester à « faire cours », enchaîner les multiples micro-décisions qu’il faut prendre à chaud à tout moment de la journée, gérer sa propre activité sans trop s’user prématurément, gagner en sécurité personnelle…
– travailler collectivement pour pouvoir ensemble s’attaquer aux difficultés du métier et à sa pénibilité, mesurer l’importance du travail d’équipe pour faire vivre l’école, assumer les relations avec les familles et les « partenaires » avec le recul nécessaire…
On en est loin. Et une chose semble certaine : si dans les prochaines semaines ce projet reste en place, les élèves et les enseignants n’ont pas fini d’en payer le prix.
M. Sapiès.
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