Par François Jarraud
Une récente circulaire du ministre de l’Education Nationale , cosignée de Fadela Amara, tente de relancer, dans le cadre du Plan « Espoir banlieues », une politique de lutte contre le décrochage scolaire.
Transcrivant les décisions du comité interministériel des villes de juin 2008, et faisant aussi écho au travaux du Comité Interministériel de Prévention de la délinquance , cette circulaire semble traduire un consensus institutionnel sur la priorité à donner à la prise en charge des jeunes « décrochés », en rupture de formation à la fin de la scolarité obligatoire, prioritairement issus des quartiers populaires (dont précisément les 215 quartiers labellisés « Espoir banlieues ») dans une logique de qualification et d’accès à l’emploi.
Pour autant, par delà l’approche de « bon sens », cette politique appelle des réserves, voire des alertes, tant sur le fond que sur la forme.
Sur la forme d’abord, elle prétend s’appuyer sur un vaste diagnostic partagé par l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs locaux, tant sur les publics ciblés que sur les nombreux dispositifs existants. Comment envisager pour autant qu’un diagnostic lancé pendant les vacances de Noël avec obligation de retour pour le 30 janvier puisse réellement donner une place à la nécessaire concertation lié au caractère partenarial de la question ?
Comment comprendre que des financements prioritaires seront essentiellement attribués à des dispositifs « innovants », comme s’il fallait constamment réinventer ce qui existe sans regard pour les évaluations positives pourtant disponibles ?
N’est-il pas légitime pour nombre d’acteurs locaux de se demander si la réorientation des priorités institutionnelles sur 215 quartiers (contre environ 2200 quartiers relevant de la politique de la ville) ne va pas se traduire, dans un contexte de forte rigueur budgétaire, par un transfert et un recentrement des moyens sur quelques territoires et quelques dispositifs jugés « innovants » au détriment de nombreux autres ? Cela risque hélas de se traduire par une précarisation ou une démobilisation de nombreux partenariats locaux, toujours longs à formaliser et stabiliser.
Sur le fond par ailleurs, la « priorisation » des publics dans la circulaire amène à s’interroger sur les interprétations implicites de la question du « décrochage ».
Il est en effet question de retenir les « décrocheurs au sens strict », soit les seules ruptures visibles, identifiées dans les politiques publiques depuis plus de 20 ans (absentéisme, déscolarisation, exclusion) : celles-ci postulent toujours l’urgence d’une approche curative, postérieure à la rupture, comme priorité à l’action. A l’inverse, la Ligue de l’enseignement, à l’instar de nombreux acteurs locaux, a toujours insisté sur l’importance d’une approche préventive des risques de décrochage, bien avant la fin de la scolarité obligatoire, et surtout une approche globale des problématiques sociales, familiales et scolaires qui supposent des réponses qui ne sauraient se résoudre à l’inscription rapide dans des dispositifs de lien aux entreprises et d’accès à l’emploi des jeunes de 16 ans et plus.
Or la présente circulaire risque d’induire la conviction pour les pilotes locaux de l’Education Nationale que ce qui peut être tenté préventivement dans le fonctionnement habituel de l’institution dès le primaire ou le début du collège est au mieux inefficace, au pire inutile, surtout s’il s’agit d’affecter des moyens limités par la conjoncture budgétaire.
Pourtant il s’agirait plutôt d’explorer en quoi l’organisation de la scolarité peine depuis 20 ans à accueillir de nouvelles populations issues de la massification scolaire, et en quoi l’Ecole ne pourra seule régler les problématiques de discrimination/ségrégation sociale, culturelle, territoriale qui surdéterminent le rapport des milieux populaires à la scolarité.
Plus fondamentalement, il est à craindre que cette politique particulière soit le symptôme d’un renoncement inquiétant : que l’on accepte, au nom du pragmatisme, de considérer que le destin social d’une partie de la population (les milieux populaires les plus fragilisés en l’occurrence), ne puisse être au mieux que l’accès aux emplois de basse qualification, dont on sait qu’ils laissent peu de chance pour une ascension sociale, et obèrent, en l’état actuel des institutions, les perspectives de formation tout au long de la vie, incluant une ambition de citoyenneté, d’ouverture culturelle et d’épanouissement personnel.
N’y a-t-il pas risque que la fameuse « égalité des chances » ne se résume à la distribution de lots de consolation aux plus démunis ?
Arnaud Tiercelin
Responsable du secteur Education
Ligue de l’enseignement