par Florence MOTTOTSoutenir les parents des enfants romsPatricia Olivares
Professeur détaché à la ville de Besançon. Coordinatrice du Pré de la ville de Besançon
En tant qu’ancienne institutrice, Patricia Olivares se remémore sa première rencontre en classe avec les enfants d’origine rom : « Il faut d’abord instaurer la confiance, explique t-elle. Souvent, c’est déjà une violence que de mettre à l’école ce genre d’enfant, car l’institution ne répond pas à ses attentes. » Face aux difficultés rencontrées avec les élèves roms, Patricia Olivares a premièrement cherché au sein de la communauté tzigane un individu capable d’assurer la coordination entre les roms et l’ institution. « Un jeune homme de 18 ans, d’origine macédonienne a été recruté. L’expérience, positive au début, s’est très vite détériorée : ce garçon a mis progressivement en place une forme de domination.» Marche arrière. Depuis 2006, Patricia Olivares occupe le poste de coordinatrice à Besançon. Elle met particulièrement l’accent sur le soutien aux parents des élèves tziganes : estime de soi, confiance dans son rôle éducatif… D’autre part, elle aide ces migrants à comprendre le système scolaire français tout en les sensibilisant aux questions d’hygiène. Un travail à plusieurs dimensions.
Un bilan en demi-teinte
La négociation gagnants/ gagnants voulue par Patricia Olivares a « ses limites ». Pour la coordinatrice, les réponses des familles sont souvent décourageantes au regard des enjeux de la scolarisation des enfants. « J’observe souvent un repli des familles, voire une agressivité. Au sein des communautés roms, les hommes imposent la loi. Ils n’hésitent pas à taper du poing sur la table. Les femmes sont maintenues dans l’ignorance, non-associées aux décisions. Quant aux jeunes filles, elles restent tiraillées entre leurs envies d’émancipation et leurs devoirs vis à vis de leurs parents». Patricia Olivares évoque aussi les difficultés qu’elle rencontre pour pénétrer dans les familles tziganes : « Chez eux, l’intimité familiale doit être tue ». Au final, estime-t-elle, travailler avec les roms, c’est « entrer en romanitude », en un mot, accepter un mode de « pensée collective » et « familiale ».
Pauvreté, violence, et incompréhensions : scolariser les roms en HongrieMaria Szabo
Assistante sociale, Budapest
Maria Szabo accompagne les familles roms d’une école d’un quartier défavorisé de Budapest. Traditionnellement occupé par des ouvriers, l’arrondissement de Köbânya draine, depuis le changement de régime, des couches sociales chassées d’arrondissements en réhabilitation. Le public de l’école du quartier est issu de cette couche pauvre et connait des conditions de vie dégradées. La majeure partie des élèves vit dans des logements à pièce unique, où plusieurs personnes, souvent sans emploi, cohabitent. Cette situation socio-économique retentit sur la qualité de vie à l’école.
Un désintérêt pour la scolarité.
Tout d’abord, Souligne Maria Szabo, l’établissement est le lieu de «conflits de valeurs ». « Les élèves et les enseignants considèrent l’école différemment, en particulier parce que les enfants n’ont pas sous leurs yeux de modèle de réussite dans lequel l’institution jouerait un rôle prépondérant. Les parents ne sont bien souvent jamais rentrés sur le marché du travail ou l’ont quitté très tôt. La réussite est essentiellement due à l’économie parallèle, semi-illégale. » Pour un enfant, le fait d’avoir une mauvaise note ou de redoubler est anecdotique, regrette l’assistante sociale.
Second écueil : l’absentéisme. Il s’explique par des événements familiaux (mariage, décès, fêtes etc…) ou par la sur-habitation. De manière générale, l’intérêt des individus roms est soumis à ceux de la famille, véritable « noyau structurant » dans ce contexte d’extrême pauvreté.
Faire face à l’agressivité des familles.
L’école est confrontée à des comportements violents ou agressifs de la part des enfants, mais aussi de leurs parents. D’une part, le prestige des enseignants est bas. D’autre part, les élèves vivent eux-mêmes dans des milieux très émotifs. Ils considèrent la violence comme la façon de résoudre les conflits.
Comment faire face à ces débordements ? Les professeurs, pour la plupart issus de classes moyennes, sont souvent mal sensibilisés aux problèmes d’extrême pauvreté qui touchent ces populations. Pour Maria Szabo, la condition d’un bon travail social, « c’est d’abord d’être conscient de l’origine des problèmes ». Enseignants comme assistants sociaux y travaillent. Pas une mince affaire. « Un des principaux travaux est d’intensifier les contacts entre l’école et les familles, explique Maria Szabo. Plus l’école s’ouvre, et plus les deux milieux peuvent faire entendre leurs propres principes et valeurs. » Ce qui ne se fait pas sans tâtonnements : l’an dernier, l’école de Köbânya invitait les parents roms à partager un thé. Résultat: un échec cuisant. Pas un parent présent. « Pour cause, sourit Maria. Chez les roms, le rituel du thé n’existe pas. La boisson chaude est réservée aux malades. »
Bons résultats pour le Réseau de scolarisation des enfants du voyage, en Haute SaôneJ.P Pheulpin
Professeur spécialisé, coordinateur départemental, membre du CASNAV de Besançon, président de l’ASET Franche-Comté
Jean-Pierre Pheulpin dresse les grandes lignes du travail effectué par le réseau de scolarisation des enfants du voyage, en Haute Saône. Quelle population est touchée? Dans le département, 300 enfants du voyage, issus de familles tziganes et foraines, sont recensés. Ces familles sont essentiellement semi-sédentaires, une partie est fréquemment absente. Elle migre de façon saisonnière vers le sud ou à Paris. Dans le département, une trentaine d’écoles et 3 collèges accueillent ces populations.
J. P Pheulpin estime que dans le département, l’évolution de la prise en charge des enfants du voyage est positive. En 2002 , « sur 300 familles, une soixantaine d’enfants seulement étaient scolarisés. Ni fiche de suivi, ni livret scolaire pour identifier leurs points forts et leurs faiblesses en classe. » Depuis, le réseau de scolarisation des enfants du voyage a doté les élèves de livrets scolaires pour repérer les connaissances et lacunes des enfants et assurer la continuité de l’enseignement délivré, malgré les déplacements fréquents des familles.
Autre progression : en 2002, le niveau des enfants du voyage était alarmant. 60% ne savaient ni lire ni écrire, ni compter. Depuis, des initiatives ont été prises. En particulier, un coordinateur départemental a été placé sur le terrain des aires d’accueil. Son rôle est triple : assurer les relations entre les collectivités locales, les institutions, les écoles et les gens du voyage ; assurer le suivi des enfants ; former les professeurs. Un rôle de médiateur fondamental pour faciliter la bonne prise en charge des élèves et le travail de concert des organismes divers.
« Par ailleurs, se félicite J. P Pheulpin, un camion école se déplace directement sur l’aire de voyage pour scolariser des enfants de 2 à 5 ans. Des livres de lecture spécialement destinés à ces enfants, à leur vécu et à leurs capacités, ont été mis à disposition. »
Travail de proximité, outils pédagogiques adaptés… Les résultats semblent là : en 2007, 307 enfants du voyage sont scolarisés contre 60 en 2002. Dans le premier degré, 100% d’enfants roms vont à l’école. Dans le second degré, 6% se rendent au collège, mais 90% prennent des cours grâce au CNED.
Pour J. P Pheulpin, le nouveau défi est celui du « vivre ensemble ». « Le but est atteint quand les enfants roms nouent des rapports amicaux avec des gadjé », estime t-il.
Mettre les enfants roms dans une situation de réussite
Régis Guyon
Professeur d’Histoire et géographie, formateur CASNAV de ReimsRégis Guyon livre un aperçu sur la scolarisation des enfants roms à Troyes (Aube).
Entre 1999 et 2000, plus de 200 personnes sont arrivées dans la ville, chassées du Kosovo à la suite de la guerre de 1999. « Depuis, explique le formateur, le flux migratoire reste continu et difficilement quantifiable. Mais une donnée est explicite : un second centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) a du être crée, le premier n’ayant plus la capacité d’accueil suffisante. »
Certaines familles déjà présentes à Troyes ont accueilli des membres de leur famille. Parfois se sont organisés dans des immeubles de quartiers populaires des « îlots roms ». Du fait des sectorisations, les enfants se retrouvent dans les collèges et écoles classés Zep. Non francophones à leur arrivée, ils sont intégrés dans des classes dites « ouvertes » : leur prise en charge ne dépasse pas 12 heures par semaine, le but premier étant de les initier à la langue française. « Leur identité rom n’a pas été identifiée, déplore Régis Guyon, ils ont été désignés par leur nationalité : kosovars, albanais… ce qui a pu entraîner chez les enseignants une réponse pédagogique peu adaptée au véritable vécu de ces jeunes. »
Une culture familiale prédominante.
« Il faut souligner, précise Régis Guyon, l’influence de la culture familiale chez les enfants. Elle peut entrer en compétition avec celle de l’institution scolaire. » Apprendre à aller à l’école, respecter les adultes et les autres enfants non-roms, intégrer « le métier d’élève », autant de défis. « Apprendre, c’est aussi accueillir ce qui n’est pas soi, se mettre en danger. Bien souvent, le premier réflexe des roms a été le repli identitaire, la mise en place d’une grande solidarité interne à laquelle répondait une hostilité pour l’extérieur », analyse le formateur.
Absentéisme, faible suivi scolaire, faible investissement dans les devoirs à la maison… Les professeurs sont confrontés à de multiples difficultés. L’une est particulièrement concernante : le dialogue décousu et parfois teinté de violence avec les familles. L’arrêt de la scolarité de ces enfants à 16 ans rend aussi les équipes enseignantes amères sur le bilan d’un investissement pédagogique. « Aux dires des professeurs que j’ai rencontrés, continue Régis Guyon, les élèves sont dans une dynamique positive à l’école élémentaire. En revanche, le passage au collège s’avère plus compliqué : l’enfant perd son instituteur, unique référent connu, pour découvrir de nouveaux professeurs, avec lesquels il faudra renouer plusieurs relations de confiance ». L’encadrement est moins suivi qu’à l’école élémentaire. Le décrochage arrive assez vite. Cependant, l’évolution de la scolarisation au collège laisse entrevoir des raisons d’espérer une intégration porteuse de résultats. « Au collège Marie-Curie de Troyes, les sorties par le haut sont nombreuses, ce qui mène aussi à souligner l’effet d’établissement », précise le formateur.
Un effet de génération.
Il faut savoir cependant distinguer trois générations successives : celle des enfants nés au Kosovo, la première vague immigrante, arrivée en France dans les années 90. Selon Régis Guyon, ces enfants, immigrants à 7 ou 8 ans, marqués par la guerre, n’ont que très faiblement tiré profit de la scolarisation. En revanche, chez la troisième génération née en France, les résultats laissent entrevoir de meilleures possibilité d’intégration. « Cette génération a moins de 10 ans, n’est donc pas encore entrée au collège, mais obtient au primaire des notes dans la moyenne des évaluations nationales ». Il faut aussi préciser, ajoute R. Guyon, que l’avenir repose en partie sur les filles. « Elles réussissent globalement bien à l’école et en tous cas mieux que les garçons…. et ce sont de futures mères. » Se pose pour les filles la question de la loyauté à l’égard du groupe : importance du mariage, de la famille, difficulté à s’imaginer travaillant à l’extérieur du foyer. « Il est primordial que l’école sache accompagner ces jeunes filles en réussite, en les confortant dans leurs possibilités » estime Régis Guyon. Le formateur juge également nécessaire de favoriser les liaisons entre les écoles, les centres de loisirs et les associations d’aides au devoir. « Mettre les enfants dans une situation de réussite est la façon la plus directe pour qu’ils transmettent ce goût de l’école à leur tour », conclut-il, solennel.
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