Professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Rouen et responsable du laboratoire CIVIIC, Jean Houssaye explique pourquoi la réforme de la formation des enseignants n’est pas seulement anti-pédagogique. C’est surtout une impasse.
1 – La réforme en cours de la formation des enseignants, qui doit commencer à entrer en vigueur en 2009, est bien une révolution, au moins sur deux points. Le premier réside dans l’incorporation de la formation des enseignants à l’université. Jusqu’ici les enseignants étaient formés à côté de l’université, dans les écoles normales (EN) et les centres pédagogiques régionaux (CPR) d’abord, dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) ensuite. Désormais ils le seront au sein même de l’université. Le second tient au niveau du recrutement. Il faudra maintenant un master (et non plus une licence), soit une formation de cinq ans après le baccalauréat, pour être intégré comme enseignant. On ne pourra pas aller plus loin. C’est une révolution.
2 – Cette révolution se fait au prix de quatre dissolutions. L’IUFM était une structure fédératrice qui réunissait, sur deux ans, l’ensemble des préparations aux concours et des formations professionnelles des enseignants. La formation des enseignants va maintenant être balkanisée selon l’organisation des départements universitaires. Il restera, au mieux, à l’IUFM, à retrouver la surface des écoles normales. Dissoute, la structure fédératrice visait (sans y parvenir) à se fonder sur un dispositif de formation qui tentait d’entrer dans une logique de compétences, soit dans une logique qui mettait les connaissances au service des capacités professionnelles. Maintenant l’habillage des compétences reste, mais elle est dissoute dans la logique des connaissances. De plus, auparavant, dans le processus de formation, la pratique était reconnue comme évaluatrice et comme formatrice de la capacité d’enseigner (c’était la deuxième année à l’IUFM). Elle disparaît au profit de la seule logique des savoirs. Enfin le nouveau dispositif réduit de manière dramatique la possibilité d’organiser une formation continue des enseignants.
3 – Si cette révolution passe bien par l’affirmation de la logique des savoirs, en même temps elle signe la prédominance des savoirs scolaires sur les savoirs universitaires dans la formation des enseignants. A première vue, l’université balkanisée s’affirme institutionnellement dans la formation des enseignants, mais c’est sans compter sur le fait que, désormais, dans les masters eux-mêmes, ce sont les savoirs des concours, donc les savoirs du premier et du second degrés, qui vont servir à délivrer les diplômes du supérieur. Quant au concours en tant que tel, il tourne autour de trois types de savoirs : la connaissance des programmes du premier ou du second degré, l’adaptation théorique d’un savoir à une classe à travers une leçon modèle, la connaissance de l’institution scolaire. De la maîtrise de ces savoirs dépend le droit d’enseigner.
4 – Cette révolution signe enfin un refus, celui de la pédagogie ; c’est en ce sens qu’elle est conservatrice. On sera déclaré capable d’enseigner et mis en demeure de le faire quand on aura fait la preuve qu’on maîtrise les programmes du primaire ou du secondaire, qu’on sait théoriquement les adapter à un niveau de classe et qu’on connaît les règles de l’institution scolaire. On est alors prêt à faire la classe… Faire la preuve des savoirs tient lieu de mise à l’épreuve dans la classe. Nous sommes là dans une logique d’enseignement qui omet la logique de l’apprentissage, celle des élèves et celle des enseignants. Et on ne peut croire que le master enseignement qui sera délivré aux futurs enseignants les rendra « professionnels ». En matière de professionnalisation, il ne sera qu’une couverture : les stages sont réduits, juxtaposés et centrés sur une observation modélisante ; les concours sont prédominants ; l’ouverture sur la recherche est limitée. Il n’y a donc pas de formation pédagogique des enseignants, car la formation pédagogique, en tant que formation à un savoir faire et à un savoir être, suppose que le formé puisse construire son savoir faire et son savoir être à partir de sa propre expérience en s’appuyant sur des savoirs théoriques et pratiques mobilisables et adaptés. Nous aurons donc des enseignants diplômés et lauréats de concours à qui il restera à apprendre à faire la classe, une fois qu’ils y seront.
L’université, qui hérite donc pleinement de la formation des enseignants, va se trouver dans une impasse. Elle va préparer aux concours et diplômer les enseignants, mais elle sera rapidement accusée de ne pas réellement former les enseignants à leur métier. Ceci, c’est pour ceux qui seront reçus aux concours. Pour ceux qui vont échouer, et ils seront nombreux, elle va les diplômer d’un master enseignement, étrange lot de consolation pour des diplômés qui justement ne pourront pas enseigner. Quant à ré-orienter ces reçus-collés, on voit la gageure : obtenir un nouveau diplôme alors qu’on a déjà un bac + 5. La révolution conservatrice de la formation des enseignants est grosse de bien des impasses…
Jean Houssaye
Sciences de l’éducation
Université de Rouen
Dernières publications :
Femmes Pédagogues T.1 ; De L’antiquite Au Xx Siecle, Fabert, 2008.
Nouveaux Pédagogues T.2 ; Pédagogues De Demain ?, Fabert 2007.
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