Si la salle était glaciale, saison oblige, l’esprit de la maternelle avait rempli la solennelle grande salle de la Bourse du travail de la place de la République, qui résonnait encore des assemblées générales du jeudi précédent. Deux cents participants avaient répondu à l’invitation du GFEN, Groupe Français pour l’Education Nouvelle, de prendre un moment de réflexion et de mobilisation « pour que la maternelle fasse école ». Initiée au coeur de la polémique lancée durant l’été par le ministre, suite à ses déclarations au Sénat sur les « couches », l’initiative visait à rassembler les acteurs concernés par la défense et la transformation de la maternelle, mais aussi à prendre un moment de réflexion en croisant deux entrées : des apports de conférenciers reconnus, et des ateliers de pratiques animés par des responsables du GFEN, destinés à faire connaître des démarches d’apprentissage, des problématiques, des initatives de terrain.
Ouvrant la séance comme grand témoin, Gaston Mialaret, successeur d’Henri Wallon à la tête du GFEN de 1962 à 1969 et précurseur de la pédagogie, rappela l’époque des « salles d’asile » qu’il fréquenta dans les années vingt, et évoqua le chemin qu’il a fallu parcourir, depuis l’époque où le petit enfant n’était guère plus qu’un tube digestif, pour arriver petit à petit à reconnaître ses capacités extraodinaires d’appentissage. « Je suis de ceux qui ont toujours pensé que la pédagogie de l’école primaire devait se nourrir de celle de la maternelle, et non l’inverse »… Précisant l’importance pour les enseignants d’avoir une solide formation en psychologie, il prit le temps de raconter à la salle qu’il avait pu mesurer, lors de ces nombreux voyages dans le monde, combien la référence à l’école maternelle française, « plus beau fleuron de la pédagogie de notre pays », était forte pour les interlocuteurs qu’il avait pu rencontrer. Concluant sa brève introduction, il rappela l’importance pour les enseignants de toujours se rappeler que « rien n’était joué d’avance »…
Le buste de Jaurès, qui trône à la tribune de la salle de la Bourse du travail, n’aurait sans doute pas renié ces propos, lui qui écrivait cent ans plus tôt qu’il avait l’ambition de « donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde »…
Enchaînant sur les propos du pédagogue, Bruno Suchaut, directeur de l’IREDU, s’en tint à rappeler quelques faits : la baisse continue de la scolarisation des petits, le coût relativement faible de l’Ecole maternelle, comparativement à d’autres modes d’accueil, l’effet positif de la scolarisation en maternelle sur les apprentissages, l’importance des compétences en compréhension sur les résultats des élèves.
Commentant ses recherches sur les évaluations des élèves du cycle I et cycle II, il expliqua comment plusieurs facteurs semblent se compléter pour prédire la reussite scolaire : l’importance de la conscience du temps, les capacités cognitives (mémoire de travail et raisonnement), les progrès scolaires ou la catégorie sociale d’origine..
« Si le rôle positif de la maternelle dans la réduction des inégalités sociales ne lui semble pas discutable », Bruno Suchaut appella cependant à développer les travaux de recherche « pour mieux comprendre ce qui s’y joue », tant il constate des écarts importantes selon les classes et les pratiques des maîtres. Il lui semble aussi nécessaire de maintenir l’exigence de scolarisation précoce, dont on sait aujourd’hui qu’elle ne touche pas assez ceux qui seraient les premiers à pouvoir en profiter, les élès des catégories les plus populaires. « Les discours politiques actuels, à l’inverse de cette double exigence, semblent se complaire dans une approche qui va plutôt dans le sens inverse »…
Après ces deux brèves entrées en matière, l’heure des ateliers était venue, histoire de confronter les grands principes aux situations quotidiennes…