Qui ne connait pas (encore) Serge Boimare ?
Jusqu’ici, on ne pouvait pas encore vous en faire grief, mais il va falloir cesser de chercher des excuses.
Avec la publication de ce nouvel ouvrage, l’ex-instituteur ouvre une nouvelle porte.
Son best-seller, « L’enfant et la peur d’apprendre », avait notamment exploré l’intérêt, pour l’enseignant, de recourir à des mythes culturels pour métaphoriser les craintes et les peurs des enfants et les réconcilier avec le savoir. Il faut dire qu’il aime à raconter l’histoire selon laquelle, jeune enseignant désespéré de ne pouvoir installer dans sa classe cette si mystérieuse « autorité », il avait eu recours, en désespoir de cause, à Hercule et à toute la mythologie pour constater, vaguement étonné, l’étrange pouvoir que ces oeuvres pouvaient avoir sur les hordes indisciplinées qu’il avait en charge d’instruire, ou plus précisément d’éduquer.
Ce nouvel ouvrage centre son regard sur les mécanismes que mettent en place certains enfants pour « s’empêcher de penser ». Dormir, bouger, faire du bruit, se fabriquer une « carapace de certitudes », refuser la règle, aller trop vite, autant de « techniques » utilisées malgré lui par l’enfant qui ne peut entrer dans le cadre scolaire.
Exemples à l’appui -il est directeur du centre Claude Bernard et rencontre dans ses consultations des jeunes de toutes sortes-, Serge Boimare montre comment ces mécanismes de « protection de l’estime de soi », comme diraient les psychologues sociaux, conduisent à la lutte, au malaise, à la fuite de l’apprentissage par tous les moyens.
Plutôt que de penser qu’il « manque de bases » ou qu’il est « démotivé », il souhaite que les enseignants comprennent mieux pourquoi cette « insécurité du monde interne » provoque progressivement la « peur d’apprendre » et l’incapacité d’utiliser les quatre leviers qu’il identifie comme moteurs de l’apprentissage : curiosité, stratégies cognitives, comportement social et langage.
Comme cet enfant qui s’écrie en classe que « le verbe est bien con d’obéir au sujet », ou celui pour qui « la vie, c’est naze », beaucoup de jeunes peinent à « devenir élève », à organiser ce « temps de supsension » nécessaire à toute entrée dans l’apprentissage, ce moment où on ose, même en une fraction de seconde, choisir une procédure, soutenir une démarche, et donc gérer ses craintes de ne pas y arriver… « C’est pas pour moi, j’peux pas » ou « ce prof est nul » entend alors l’enseignant. L’échange avec ces élèves se transforme en rapport de force : élève ou prof risquent d’entrer en conflit de pouvoir pour être « celui qui a raison », d’une manière ou une autre.
Une autre manière de concevoir la réponse pédagogiqueLa seconde partie de l’ouvrage cherche donc à proposer des pistes pédagogiques aux enseignants, autour de trois axes : écouter, parler, écrire. Le « rattrapage par des entraînements supplémentaires » lui semble être un chemin très risqué. Il propose plutôt de les aider à mettre des « mots et des images sur leurs inquiétudes ». On retrouve ici l’idée qui lui est chère, de recourir aux grands textes culturels : contes, mythes, épopées, fables… d’abord, à partir de lectures faites par l’adulte, avant de construire un temps d’échange collectif, lui-même préalable à la mise en écrit de quelques lignes, non pas sur le seul sens du texte, mais sur une des idées qui a surgi du débat.
Prenant appui sur sa propre expérience, il décrit longuement ce type de séance (p. 52 à 59) avant d’insister sur le fait que ce type de pratique est tout à fait transposable en classe. Il en juge par les nombreux témoignages des lecteurs de son premier ouvrage qui le mettent en œuvre dans leur classe, et qui constatent que leurs élèves font des progrès dans leurs capacités psychiques : celles qui leur permettent de continuer à être engagés dans une tâche, de « faire des images dans leur tête » pour se représenter les situations, ou à disposer de la sérénité suffisante pour supporter l’inquiétude de ne pas réussir…
Ainsi, intéresser, nourrir les esprits en raccrochant sa propre histoire à celles de ceux qui ont vécu avant soi, faire parler pour resituer et mettre en forme la pensée, relier le savoir aux questions fondamentales de la vie, pour oser aborder l’idée concrète de contrainte, sans laquelle aucun apprentissage n’est possible, lui semblent les questions à aborder pour les « pédagogues ».
La coréflexion, une arme pour agir ensemble« Jamais une formation, aussi brillante soit-elle, ne remplaceral es bienfaits de la co-réflexion entre professeurs pour améliorer l’efficacité de leurs actions ». Voilà une phrase qui, pour une fois, devrait être lue par les enseignants comme un bel hommage à leur compétence professionnelle. Il précise cependant ce qui vient immédiatement à l’esprit d’un lecteur enseignant : « il est souhaitable que cette co-réflexion soit animée par une personne extérieure au groupe, afin d’atténuer les rivalités et les positions excessives »… Pas si commun…
Lutter contre l’isolement, profiter de l’expérience des autres, mieux repérer ses stratégies personnelles, oser expérimenter, prendre de la distance avec les conflits ordinaires semblent les bénéfices cités par les enseignants qui ont pu bénéficier de ce type d’échanges.
L’ouvrage se termine par un appel vibrant : « En ces temps de crise, ne gaspillons par l’argent public en poussant les professeurs vers des impasses qui pervertissent leur mission et les démoralisent. Aidons-les plutôt à croire au rôle de la culture, soutenue par un véritable travail d’équipe. C’est ainsi qu’ils retrouveront le plaisir de transmettre, même à ceux qui sont empêchés de penser ».
Au denières nouvelles, Serge Boimare n’a toujours pas été appelé rue de Grenelle pour conseiller le ministre…
Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 17 €.
SERGE BOIMARE
est directeur pédagogique du Centre Claude Bernard à Paris.