Par François Jarraud
Inversion de tendance ? Après des mois d’acceptation morose, les profs relèvent la tête. Deux mouvements puissants ont secoué l’Ecole le 20 novembre et le 10 décembre. La vieille question est de retour : le ministre veut-il / peut-il entendre ?
20 novembre : Grève et surdité massives dans l’éducation
Trois mots résument la journée : pour le Se-Unsa c’est « un tournant »,pour la Cgt « un raz de marée », pour le ministre c’est « démodé ».
Les cortèges étaient impressionnants. De 10 000 (police) à 40 000 personnes à Paris, de 5 à 20 000 à Bordeaux, de 5 à 10 000 à Marseille, Lyon, Toulouse, Nantes, Grenoble. La police reconnaît 160 000 manifestants, soit le double du cortège du 19 octibre. Les syndicats les estiment à plus de 200 000. Dans le primaire le nombre de grévistes le 20 novembre était impressionnant : le ministère annonce 48%, les syndicats 69%. Dans tous les cas c’est la grève la plus importante depuis des années. Dans le secondaire le ministère revendique 21% de grévistes, le Snes plus de 50% : la mobilisation est forte mais pas exceptionnelle. L’ambiguïté du mouvement, qui réunissait pro et anti réforme du lycée, a du jouer. Globalement la grève a la valeur d’un désaveu : la majorité des enseignants n’a pas confiance en son ministre.
Et maintenant ? Forts de cette exceptionnelle mobilisation,les syndicats du primaire (Sgen Cfdt, Se-Unsa, Snuipp FSU) adressent au ministre « un « préavis de négociations» lui donnant, à l’image des préavis de grève, 5 jours pour ouvrir ces négociations…. Sans réponse de sa part, l’intersyndicale… proposera aux personnels de nouvelles actions pour contraindre le ministre à prendre en compte leurs revendications ». Dans le secondaire la Cgt a déposé un préavis de grève allant du 24 au 28 novembre, mais il a peu de chances d’être repris par les grandes centrales syndicales.
Xavier Darcos sourd, mais pas muet. « Le dialogue social et la négociation sont désormais les seules réponses possibles » affirme l’intersyndicale du primaire. Ce n’est pas l’avis de Xavier Darcos . Par définition, depuis que nous organisons le travail à l’éducation nationale, Sur RTL il a déclaré que « organiser de manière systématique est démodé… Il y a une résistance des appareils qui n’est pas celle des professeurs. Les professeurs méritent mieux que d’avoir des syndicats dont la fonction principale est d’organiser la résistance au changement ». Même attitude face au SMA. Le refus d’organiser le service minimum d’accueil est pour lui « une pure question politique ». Même les arguments de l’Association des maires de France le laissent de marbre.
Communiqué intersydical
http://www.snuipp.fr/spip.php?article5981
Darcos
http://www.liberation.fr/societe/0101267517-profs-darcos-denonce[…]
Les statistiques officielles
http://www.education.gouv.fr/cid23005/greve-du-jeudi-20-novem[…]
10 décembre : Des manifestations partout
Selon l’AFP, c’est peut-être à Clermont-Ferrand que le plus gros cortège a eu lieu mercredi 10 décembre avec 3 000 manifestants, enseignants et lycéens,. Rappelons que 25 organisations (syndicats, mouvements pédagogiques, associations e parents d’élèves) appelaient à manifester contre les suppressions de postes, le budget et la réforme du lycée. A Bordeaux ils étaient 2 000, plus de 1 000 à Marseille, Toulouse, Rennes, Nantes. A Paris plusieurs centaines de personnes participaient à un rassemblement encadré par des Pères Noël.
Le mouvement continue à se radicaliser. Jacques Auxiette, président de la région Pays de la Loire constate que « le mouvement lycéen part sur des bases très dures » et demande la fermeture des établissements quand ils sont occupés. Des enseignants sont menacés parce qu’ils refusent l’aide individualisée. La pétition demandant la démission du ministre enregistre près de 14 000 signataires. Des parents continuent à se mobiliser pour des occupations. Ce sera le cas à Bonneuil-sur-Marne ou en Charente où 50 écoles participent à une soirée des écoles. A Bordeaux un lycéen a été condamné à trois mois de prison ferme pour avoir frappé un policier.
Xavier Darcos a minimisé le mouvement. « Il y a une petite concentration de mécontentements » a déclaré le ministre sur Europe 1. « Je ne confonds pas les lycéens qui se posent des questions sur leur avenir, comme il est normal lorsqu’on a 16 à 18 ans, avec des bandes radicalisées qui viennent casser », allusion à des incidents violents survenus dans l’ouest. « Je ne suis pas le ministre de l’hésitation nationale » a-t-il ajouté , promettant de poursuivre les réformes.
Dépêche AFP
http://fr.news.yahoo.com/2/20081210/tfr-mobilisations-partout-en[…]
Article Libé Bordeaux
http://www.libebordeaux.fr/libe/2008/12/lycens-facebook.html
La pétition
http://www.darcos-demission.org/dem/?petition=1
Et ce n’est pas fini : Les confédérations organisent un hiver chaud
« Les salariés, les retraités, les demandeurs d’emploi sont les premiers à payer une crise dont ils ne sont pas responsables. Dans de nombreuses entreprises, les salariés sont contraints d’utiliser leurs jours RTT pour faire face aux baisses d’activité, d’autres subissent du chômage technique, les plans sociaux se multiplient ». Les confédérations CFDT / CFE-CGC / CFTC / CGT / FO / FSU / SOLIDAIRES / UNSA « retiennent le principe d’une mobilisation massive des salariés au début de l’année 2009 pour faire aboutir leurs revendications sur l’emploi, le pouvoir d’achat, les garanties collectives, les protections sociales, les conditions d’une relance économique… » Elles fixeront les modalités précises le 15 décembre.
Communiqué
http://www.snuipp.fr/spip.php?article5988
Vers des négociations ?
De véritables négociations vont-elles s’ouvrir entre le ministre et les organisations syndicales ? Le succès de la grève du 20 novembre et pousse les syndicats à négocier en situation de force. Tous l’ont demandé à Xavier Darcos, certaines fixant un délai de 5 jours (le Snuipp par exemple). Ainsi les 4 fédérations FSU, SGEN-CFDT, UNSA-Education, FERC-CGT ont signé un communiqué commun demandant « des réponses rapides et concrètes ». Les points en question concernent le budget, mais aussi l’avenir de la maternelle, les Epep, les Rased, la réforme du lycée etc.
Xavier Darcos se veut conciliant. » J’entends évidemment la grève…Et je vois bien qu’il faut que nous retrouvions des moyens de nous parler différemment, puisque les protocoles que nous signons ne suffisent pas » a-t-il déclaré selon l’AFP. « Je vais continuer à rencontrer (les syndicats) et leur demande d’être entendus sera évidemment reçue ». Le ministre a promis que l’affectation des Rased en poste fixe serait évaluée. Mais comment arriver à une conciliation alors que le budget est adopté ?
Des rencontres pour rien ? « Il y a bien un changement de ton », souligne Gilles Moindrot, secrétaire général du Snuipp Fsu à l’issue de sa visite à X. Darcos. « Mais sur les mesures concrètes, on reste sur notre faim ». Jeudi 4 décembre, le ministre de l’éducation nationale recevait les représentants de la FSU. Cette rencontre répond aux exigences posées par les syndicats à l’iissue du mouvement du 20 novembre.
Interrogé par le Café, Gilles Moindrot estime qu’au terme d’une longue réunion, « il n’y a pas grand-chose qui bouge ». Sur les Rased, le ministre maintient les 3 000 suppressions de postes mais promet le maintien du dispositif. Il ne revient pas sur les fermetures. Sur la maternelle « il renouvelle ses excuses. Il a concédé que le jardin d’éveil c’état fini » précise G. Moindrot. « On a tout intérêt à ce que la mobilisation le 10 décembre soit forte » conclue-t-il.
Dépêche AFP
http://fr.news.yahoo.com/2/20081121/tfr-en-primaire-les-syndicat[…]
La pétition pour les Rased (près de 200 000 signatures)
http://www.sauvonslesrased.org/index.php?p=4
La pétition pour la maternelle dépasse 50 000 signatures
http://marnesia.free.fr/phpPetitions/index.php?petition=2
L’école est-elle impossible à réformer ?
« Il y a dans ce ministère une culture de la grève qui nous empêche de parler des choses réelles, des questions qui concernent les élèves ». En accusant les syndicats enseignants d’immobilisme et de résistance au changement, Xavier Darcos pense minimiser, voire enrayer, la vague de mécontentement qui s’est exprimée le 20 novembre. Il entame un air bien connu mais qui mérite qu’on aille y voir de plus près.
Il est sans doute paradoxal pour Xavier Darcos d’accuser les enseignants d’immobilisme alors qu’il a lui-même bombardé l’Ecole de réformes à un rythme qui ne s’était jamais vu. En quelques mois on a vu se succéder la réforme du primaire, celle du lycée professionnel, des programmes du collège et maintenant du lycée. Il a finalement fait accepter la réforme du bac pro alors même qu’elle est lancée sans curriculum, avec des instructions discordantes, ce qui met les enseignants tout à fait mal à l’aise.
Certes ses réformes rencontrent des résistances. C’est le cas par exemple de la réforme du lycée ou des nouveaux programmes de primaire. Une des raisons de ces oppositions c’est sans doute le brouillage introduit par le ministre lui-même. Comment les enseignants peuvent-ils s’y retrouver dans des réformes qui reposent sur des visions totalement opposées de l’Ecole ? Aux enseignants du primaire soucieux d’éduquer les enfants, le ministre leur ordonne d’instruire, y compris dans les formes les plus ringardes. Aux professeurs des lycées, il vante le lycée finlandais et l’accompagnement personnel. L’autonomie des élèves devient la valeur suprème du nouveau lycée alors que son initiation est bannie de l’école. Comment les enseignants pourraient-ils interpréter cette valse idéologique autrement que par l’arbitraire ou la dissimulation ?
Xavier Darcos connaît ses classiques et il a sans doute lu Antoine Prost. Pour lui « les changements qui ne se font pas sont ceux qui mettent en cause l’identité professionnelle des enseignants ». C’est elle qui est évidemment niée et mise en péril dans le cas des Rased. Elle est aussi attaquée de face dans la réforme du primaire. C’est pourquoi la stigmatisation des syndicats est sans effet. Le ministre peut-il penser changer l’Ecole dans la méfiance des enseignants ?
La réforme du lycée et la division syndicale
La division syndicale aggravée ? Alors que les syndicats du primaire sont unis face aux mesures Darcos, les organisations du secondaire ont pris des positions opposées sur la réforme du lycée. Alors que, le 6 novembre, certaines organisations ont lancé un « appel pour un autre lycée » et que, le 21, le Sgen publie une lettre ouverte à X. Darcos lui demandant de revenir à l’esprit des « points de convergence », le Snes annonce le 23 novembre des « Etats généraux des lycées » le 29 novembre.
« Nous étions pleinement conscient des difficultés pratiques de mises en œuvre d’une réforme de telle ampleur surtout dans le calendrier contraint que vous vous étiez vous même imposé… Nous regrettons vivement que vous ayez préféré amoindrir les ambitions de la réforme pour en sauver le calendrier ». Le Sgen Cfdt a adressé le 21 novembre une lettre ouverte au ministre de l’éducation nationale. Le syndicat, signataire également de « l’Appel pour un autre lycée », estime que X. Darcos est revenu sur les ambitions du projet initial. Il lui demande de respecter un certain nombre de points : « le choix des modules du bloc 2 que nous souhaitons voir encadré afin de ne pas permettre la constitution de filières et la fin de la seconde de détermination, la place des SES que nous souhaitons voir intégrer le tronc commun…, la possibilité offerte aux établissements de mise en place d’enseignements pluridisciplinaires par exemple dans le domaine de l’éducation au développement durable. En particulier il nous paraît fondamental que les heures d’accompagnement prévues dans le bloc 3 soient intégrées dans le temps de service des enseignants ». Autant de points où le Sgen se démarque d’autres organisations, par exemple à propos de la reconstitution des filières.
Le 23 novembre, les syndicats de la Fsu, le SNES, le SNEP, le SNUEP et le SNUPDEN, ont annoncé leur intention « d’engager une vraie réflexion à plus long terme pour dresser les contours d’une autre réforme ». Ils annoncent l’organisation samedi 29 novembre des « états généraux des lycées » à Saint-Ouen. Au programme trois ateliers sur les contenus, les parcours et le temps scolaire.
Les deux projets, de « l’appel pour un autre lycée » et du Snes, vont-ils aboutir à un projet unique ou vont-ils s’entrechoquer ? Dans l’immédiat, si Xavier Darcos avait l’intention de revenir aux « points de convergence », l’en voici dissuadé. L’initiative de la FSU devrait raffermir Xavier Darcos dans les décisions déjà annoncées.
Lettre du Sgen
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article1833.html
L’Appel pour un autre lycée
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Documents/docsjoint[…]
Communiqué Snes
http://www.snes.edu/spip.php?article16057
Notre dossier Réforme du lycée .
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2008/2008_Lyc[…]
Grévistes : L’arithmétique de la rue de Grenelle
Les taux officiels de grévistes sont-ils faux ? Le Snes et la Cgt donnent des informations sur les modes de calcul qui mettent en doute le sérieux des chiffres officiels. Selon le Snes, « alors que le taux de grévistes pour chaque établissement doit être calculé en rapportant le nombre de grévistes au nombre d’enseignants attendus ce jour là, c’est-à-dire devant, selon leur emploi du temps, effectivement travailler, le ministère demande à chaque chef d’établissement de diviser le nombre de grévistes recensés par le nombre total d’enseignants de l’établissement ». Ainsi un lycée de Seine-et-Marne avec 75% de grévistes aurait eu un taux officiel de 35%. A noter que le calcul officiel se tient :les enseignants qui n’ont pas cours peuvent se déclarer grévistes.
Plus nouveau est la déclaration de la CGT, que nous n’avons pu vérifier ce week-end. Le syndicat de l’académie de Créteil publie une circulaire rectorale qui demande aux chefs d’établissement (primaire et secondaire) de renseigner le taux avant 9 heures du matin. Evidemment en ne prenant que les grévistes de 8 à 9 h et en les rapportant à la totalité des enseignants, le taux ne doit pas être très élevé.
Communiqué Snes
http://www.snes.edu/spip.php?article16045
Communiqué Cgt
http://cgteduccreteil.org/spip.php?article1598
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