Il y a six mois, le ministre ne cachait pas son plaisir de signer avec la plupart des syndicats une « déclaration de principes » qui engageait le chantier de la réforme du lycée. Six mois plus tard, on semble être à des années-lumières de cette lune de miel affichée. Retour sur un texte ambigu…
Qu’y avait-il dans la déclaration de principes ?
Signée par la plupart des organisations, cette déclaration contenait une collection d’intentions :
– arriver à l’objectif fixé par la loi de 2005 : 50% de diplômés de l’enseignement supérieur en aidant les lycéens à se construire un avenir d’étudiant,
– assurer une plus grande réussite au lycée, « réduire le poids des déterminismes sociaux », « aider les élèves les plus fragiles » en organisant l’accompagnement et le suivi des élèves,
– modifier l’orientation pour diminuer les sorties précoces sans qualification
– renforcer les marges d’autonomie des établissements, en assurant à la fois des horaires d’enseignement définis nationalement, des ressources liées aux projets pédagogiques, des moyens permettant « le fonctionnement des équipes enseignantes ».
– organiser une seconde de « détermination » avec des « savoirs structurants », des « différenciations pertinentes », tout en « confortant les acquis disciplinaires du collège »
– renforcer les passerelles entre les filières,
– garantir l’équité entre établissements dans l’offre éducative alors quelle « accroît actuellement les inégalités entre territoires »
– mais aussi installer de nouvelles relations avec les élèves, développer le travail en équipe tout en garantissant à chaque enseignant d’« exerçer pleinement sa liberté pédagogique »…
Avec le recul de six mois, on mesure mieux combien une telle auberge espagnole ne pouvait accoucher que d’un malentendu : comment, dans une conjoncture marquée par une réduction importante des moyens et un dialogue social calamiteux, espérer résoudre en même temps autant d’équations ?
Paradoxes
On sait bien aujourd’hui quels sont les paradoxes du système éducatif français :
– il a des réussites indéniables : on oublie trop souvent que le nombre d’élèves sortant sans diplôme n’a jamais été aussi faible, et que les effectifs du lycée ont été mulipliés par sept entre 1960 et 1995). Même l’UMP écrit, graphique ci-dessous à l’appui, que la France, « qui avait longtemps souffert d’un net retard en matière de scolarisation jusqu’à la fin d’un second cycle du secondaire, a réussi à rattraper la plupart des autres pays industrialisés au cours des cinquante dernières années ».
– mais la démocratisation est en panne depuis une décennie : trop de bacheliers échouent dans les premières années de l’enseignement supérieur (environ deux sur trois pour les sortants des bacs techno, environ un sur quatre des bacs généraux) alors que toutes les études économiques, processus de Lisbonne oblige, insistent sur la nécessité d’emmener la moitié d’une génération à la licence, ce qui serait presque doubler notre nombre de diplômés de l’enseignement supérieur.
On peut tenter un raccourci simple : le système fait largement mieux qu’il y a trente ans, mais cela ne suffit plus, autant pour les exigences d’insertion sociale que pour les besoins de l’économie.
Pour construire en même temps un système plus juste et plus efficace, il serait donc nécessaire de s’atteler à deux chantiers : les dix à quinze pourcents d’élèves qui sont le moins qualifiés (ceux que le lycée ne connaît même pas) et une fraction à peu près équivalente d’élèves dont il faudrait assurer une meilleure réussite après le bac… C’est à ce dernier groupe qu’il faudrait construire un avenir par une réforme du lycée.
Conditions de réforme
On sait aujourd’hui qu’aucune réforme ne peut se faire sans que les enseignants n’en partagent un minimum les objectifs. Or, depuis une dizaine d’année, c’est surtout en tirant à vue sur les insuffisances des enseignants que le pouvoir politique construit ses argumentaires sur les difficultés des élèves. Si chacun peut reconnaître que l’accumulation d’exigences disciplinaires ne suffit pas à donner les clés de la réussite scolaire aux élèves, personne ne pense que les perspectives pour y parvenir ne puissent être réussies à coup de décrets. Il faut de l’ambition politique et des moyens de formation. Le projet UMP pour l’Ecole lui-même écrivait en 2006 :
– Les progrès de l’Ecole ont toujours été la conséquence d’ «une réelle volonté politique de démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur (qui) s’exprima dès 1947 par le plan Langevin-Wallon avant de prendre corps dans les réformes Berthoin (1959), Fouchet (1963) et Haby (1975) » (p. 3)
– «Les futurs enseignants ne reçoivent donc que quelque mois de formation professionnelle (…). Ces lacunes expliquent les transitions parfois brutales que vivent les enseignants entre leur période de stage, où ils sont encore très encadrés, et leur titularisation » (p. 41)
– «l’Etat n’accorde pas les moyens nécessaires à la formation continue des enseignants : deux fois moins bien que la Finlande, les Etats-Unis, la Suède ou le Royaume-uni » (p. 42)
Or, toute réforme d’ampleur demande du temps, des négociations, des ambitions partagées pour résoudre un problème social. La réussite des élèves commence en maternelle, à l’élémentaire, au collège avant l’étape charnière du lycée. La tempête qui souffle actuellement sur le primaire, la « disparition » du collège et du socle commun de tous les textes officiels montre bien qu’on ne peut pas être dans un temps de construction pour l’avenir. Un syndicat (minoritaire) des inspecteurs l’exprime à sa manière dans un récent communiqué : « nous notons de plus en plus fréquemment chez les enseignants un désarroi qui va croissant, notamment par le ressenti d’un mépris de la part de la représentation nationale et de l’exécutif politique. Ce mépris s’exprime parfois ouvertement, parfois de manière biaisée. Il remet hélas profondément en cause leurs efforts et les valeurs citoyennes et professionnelles qui les animent. Ce désarroi se nourrit aussi de l’incohérence manifeste entre les réalités des réformes engagées et leur motivation officielle”.
Des solutions sont-elles possibles ?
Manifestement, les organisations syndicales et pédagogiques oscillent sur un arc, entre deux positions extrêmes : défendre l’existant ou s’engager dans une “transformation imposée” des conditions de travail dans l’hypothèse qu’elle transforme les pratiques.
Dans les deux cas, c’est un pari risqué : on ne décrète pas plus l’innovation qu’on invente la démocratisation attendue en s’arc-boutant sur la défense de ce qu’on sait insuffisant. Parce que tous les profs ne sont pas des héros, changer l’enseignement, dans le second degré comme dans le premier, ne peut que s’accompagner.
Même dans les modèles militaires, on organise l’appui de hiérarchies intermédiaires. Mais le ministre les ignore, voire les méprise. Chaque recteur organise la contractualisation avec les établissements, mais n’a même plus un kopeck pour assurer un minimum de soutien ou de formation des équipes.
C’est le paradoxe des grands libéraux : ils prônent l’autonomie, mais rêvent de ne voir qu’une tête…