Etonnantes files d’attentes au Salon de l’Education ?
C’est un stand ? Non, c’est un espace. Un salon à soi-seul, précisent les milliers de petits dépliants proposés dans de grands corbeilles transluscides. Sur un fond cossu de moquette bleue, une vingtaine d’hommes et de femmes sont installés dans des petits guichets orange. Face à chacun d’eux, toute la journée, une file ininterompue va défiler, de l’ouverture à la fermeture. Certains sont un peu turbulents, marqués des attributs de la banlieue dont ils sont souvent venus par classe entière. D’autres, plus nombreux encore, sont là avec leurs parents. Et ils patientent, parfois pendant de longs quarts d’heures, stoïques et patients.
Sont-ils venus récupérer un bien précieux, un nouveau jeu à la mode ou consulter des oracles ? Pas tout à fait : ils sont venus consulter un conseiller d’orientation. « Psychologue ! » complète un des hommes assis derrière son guichet.
Pour Mme R., venue avec sa fille cadette, l’exercice est vaguement inquiétant. Si la plus grande semble être sur orbite dans son université, la trajectoire de la seconde semble être plus floue. Elle est aux côtés de sa mère, pas stressée, mais vaguement tendue, comme avant un oral important.
Pourquoi sont-elles venues aujourd’hui ? Parce qu’elles ne savent pas où s’adresser. Le CIO de leur établissement ? Elles ne sont pas sûres de savoir exactement ce que c’est. Et de toutes façons, « je travaille jusqu’à 19 heures tous les jours, alors me déplacer… ». Ont-elles un objectif, un dessein ? « Moi, c’est plutôt médecine ou avocate » s’empresse de répondre la grande adolescente. « Plutôt des études pas trop longues » complète la mère, dans les yeux desquels on sent quelques non-dits. « Plutôt à l’université. On ne choisira une école que si on est sûre qu’il y aurait un « plus » du côté de l’emploi. Avec la crise qui s’annonce, ça ne va pas être facile de s’en tirer »… L’Université, elle y a elle-même goûté, il y a une petite vingtaine d’année. Avec un sentiment un peu amer : « je m’y suis un peu noyée, je n’avais pas l’autonomie nécessaire pour me retrouver livrée à moi-même dans le grand bain. Si pour ma fille, on pouvait trouver une prépa… Mais j’ai peur qu’elle n’ait pas le niveau… ». La file d’attente avance. Plus que cinq.
A quelques mètres, M. P. fait aussi la queue. Ils se sont partagés dans trois files, avec son épouse et ses deux filles, histoire de jouer la meilleure chance. Lui, la prépa, il en a eu une mauvaise expérience avec son grand fils : « ils l’ont cassé et il a eu du mal à se remettre de l’excès de pression ».
Pour sa dernière, il n’a vraiment aucune idée. Pourquoi est-il là ? « Parce que je pense trouver quelque chose dans ce concentré d’informations. » Connaît-il, lui, l’existence du CIO dans son établissement ? Il esquisse un sourire retenu. « Oui. Mais je n’avais pas été totalement convaincu. Peut-être une histoire de personnes, je ne veux pas en tirer de conséquences ». Ce qu’il cherche pour sa fille ? Pas vraiment d’idée. « Elle est plutôt timide, réservée. Je ne sais pas du tout. Elle n’a pas de projet professionnel particulier, ne s’imagine ni dans le commerce ni dans l’industrie. Les services, peut-être. » Prof ? « Sûrement pas. Sa soeur, peut-être… ». D’ailleurs, là voilà qui arrive. Elle finit un BTS dans les carrières sociales. « On a plein de cours sur l’enfant, tout ça, ça devrait m’aider pour le concours de professeur d’Ecole que j’espère pouvoir passer ». Justement, le concours change. Elle en a entendu parler vaguement. On lui parle de mastère.. Mais quel mastère ? Comment recoller en venant de sa filière ? Quels choix faire maintenant pour plus tard ? Et sur quels savoirs va-t-on faire les tris ? Son père l’observe du coin de l’oeil. Si elle en veut, elle s’en sortira peut-être, pense-t-il. Mais quel jeu de piste… La file d’attente avance d’un cran. Espérons que le CO-Psy sera bon. On ne voudrait pas être à sa place pour répondre à tant de questions, tant d’angoisses, tant d’inconnues qui se croisent et s’enchevêtrent…
Dans la file d’à-côté, un paquet d’ados n’en peuvent plus. Trop long, trop d’incertitudes, trop de sollicitations extérieures, trop d’injonction du groupe à « bouger de là ». Après dix minutes houleuses dans la file d’attente à échanger des textos ou à visionner le dernier clip de leur lecteur vidéo portable, ils abandonnent. « Pédagogique, ils disaient, pédagogique, la sortie… Ah les profs… Ils croient qu’on a le temps… »
C’est par où, la sortie ?