Par Françoise Solliec
Autonomie pédagogique ou pilotage centralisé ? Evaluation locale des élèves ou évaluation standardisée ? Comment les politiques publiques d’éducation sont-elles construites ? Autant de questions posées dans la conférence « Quelle école voulons-nous en Europe ? » au salon de l’éducation le 27 novembre, qui firent apparaître une diversité desréponses selon les pays interrogés.
Pour donner quelques éléments comparatifs et points de vue sur l’école en Europe, les organisateurs des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche avaient fait appel à David Greger, directeur du Centre de recherche sur la scolarisation à Prague, Petra Packalen du Finnish National Board of Education, José A. Rodriguez Lasa, chargé de mission pour la France au ministère de l’Education à Madrid, Andreas Schleicher, chef de la division des indicateurs et analyses à la direction de l’éducation de l’OCDE et à Nathalie Mons, universitaire, spécialiste de l’étude comparée des systèmes éducatifs.
La présentation de l’école finlandaise reprenait des éléments désormais bien connus : pas d’évaluations nationales pour les plus jeunes, peu d’heures de travail à la maison (pas du tout pour les élèves en début de scolarité), quasiment pas de redoublement, même s’il est théoriquement possible, une grande autonomie des élèves et une forte participation de ceux-ci dans leurs apprentissages (« ils s’en considèrent responsables »). En regard, la profession d’enseignant est particulièrement attractive, non pas pour le salaire (pas particulièrement élevé), mais certainement en raison d’une forte valorisation sociale, qui s’accompagne d’une exigence de niveau de formation élevé et d’une grande autonomie dans le travail.
Le système éducatif est encore en pleine évolution en République Tchèque et l’objectif d’une réforme très récente est d’allèger des programmes très stricts, les élèves présentant de bonnes connaissances en sciences, mais se montrant difficilement capables de les transposer d’une situation à une autre. Chaque école devrait désormais définir ses programmes. Mais les enseignants se plaignent d’un manque de support et d’encadrement. Bien qu’une réforme soit en cours de discussion pour introduire une évaluation nationale des élèves, les enseignants ne s’y sentent pas réellement prêts. Au niveau des établissements, des modalités d’évaluation existent mais le résultat n’est pas rendu public.
Le système espagnol a également beaucoup changé au cours des 30 dernières années pour aller vers une forme démocratique et décentralisée. La loi sur l’éducation de 1980 introduisait la notion de compétences, celle de 2006 met l’accent sur les 8 compétences définies au niveau européen. Si le travail sur ce socle commun est désormais institué dans toutes les disciplines, les enseignants du second degré ont plus de difficultés à travailler de manière transversale. Les conditions matérielles sont cependant favorables au travail collaboratif : des bureaux existent pour que les enseignants puissent se réunir. Tout en restant assez centralisé, le système espagnol évolue néanmoins vers un développement de l’autonomie des établissements.
Comment faire fonctionner des milliers d’écoles et des dizaines ou des centaines de milliers d’enseignants en cohérence, se demande Andreas Schleicher. Les divers pays d’Europe présentent des différences très marquées dans les modes de recrutement des enseignants, leur formation initiale et continue, les modalités d’évaluation des élèves. Sur toutes ces questions de performances des systèmes éducatifs, il existe partout de nombreuses innovations, mais il y a peu de moyens de les analyser et de les capitaliser.
Pour Nathalie Mons, les différents pays, chacun à leur manière, recherchent un équilibre entre, d’une part, des modalités de traitement respectant l’autonomie pédagogique des enseignants et la progression individuelle des élèves et, d’autre part, des modalités de gestion centralisée permettant un pilotage et des évaluations globales du système éducatif.
Ainsi l’évaluation standardisée des élèves, grande caractéristique du système anglais, suscite aujourd’hui beaucoup d’interrogations. La relation à l’outil semble mieux perçue si les enseignants peuvent participer à sa création et gardent une certaine initiative quant à son utilisation.
De même un nombre de plus en plus important de pays sont favorables à une grande autonomie pédagogique. Mais la Hongrie, qui fut un exemple d’extrême libéralisation, revient désormais vers des programmes plus détaillés et plus incitatifs. La Suède, qui était allée très loin dans la construction de cursus par objectifs, fait marche arrière car elle estime que ce système engendre trop d’inégalités dans les écoles et que les enseignants se sentent mal à l’aise dans une définition des contenus qui leur paraît trop floue.
La définition du métier n’est pas non plus exempte d’interrogations et de contradictions. Si la plupart des pays d’Europe sont fa vorables à un temps de service globalisé, comprenant des tâches d’orientation et de suivi, les responsabilités administratives et financières des enseignants anglais se sont trouvées beaucoup allégées ces dernières années, avec l’introduction d’un minimum de service consacré aux tâches strictes d’enseignement et le recrutement d’assistants pour les aider dans nombre de tâches, y compris le traitement des élèves en difficulté.
En fait, souligne Nathalie Mons, les études menées sur le sujet sont relativement contradictoires et il n’y a pas de consensus des chercheurs. Il convient donc de développer la recherche et d’avoir une vision plus politique de ce que doit être l’autonomie pédagogique. Celle-ci devrait se développer dans un cadre bien défini, sans exclure une forme de pilotage centralisé. Cependant, actuellement, dans la genèse des politiques publiques d’éducation, l’administration centrale a plutôt tendance à se dessaisir des problèmes, alors que les acteurs locaux, tout en étant relativement prêts à prendre leur part d’initiative ont aussi grand besoin de cadre et de ressources.