Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Quel a été le parcours de carrière d’Isabelle ?
Après avoir terminé ses études d’italien dans une Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), et décroché un DUT de techniques de Commercialisation, Isabelle devient réceptionniste en hôtellerie, puis connaît le chômage. Un emploi CES (Contrat Emploi Solidarité) à la DDASS et à la Direction du Travail lui permet de renouer avec une vie active. En parallèle, elle reprend ses études pour valider une licence d’italien, puis préparer le concours de CRPE. Après un premier échec au concours, elle entre quand même au Ministère de l’Education nationale comme agent administratif (catégorie C) et retente cinq années de suite le concours de CRPE avant d’en être lauréate. Tout au long de ce marathon, Isabelle n’a bénéficié d’aucune aide financière, donnant des cours particuliers tous les jours de 17h à 20h en sus de son activité professionnelle et préparant son concours tous les soirs de 20h à 23h et les week-end. Sa volonté a fini par lui permettre de réaliser son rêve : devenir professeur des écoles. Durant ses quatre premières tentatives, l’épreuve qui lui posait le plus de difficultés était les mathématiques, notamment le volet géométrie, alors que ses notes en français étaient très bonnes. En 2001, elle est inscrite sur la liste complémentaire et obtient un poste dans une classe unique, avec des élèves de la section maternelle au CM2, sans formation préalable pour savoir s’en occuper.
La formation qu’on lui dispense à l’IUFM est postérieure à sa rentrée. Lors de son premier poste après l’IUFM, elle s’occupe des maternelles et des CP, puis dans son second poste des CE1 et des CE2 pendant deux ans. Depuis, elle est devenue institutrice en maternelle, une fonction qu’elle a rapidement considérée comme sclérosante intellectuellement. Le travail quotidien en maternelle est en effet trop routinier, trop monotone, même si l’action du maître structure les enfants : « cela devenait frustrant pour moi, et j’ai cherché ailleurs, là où je pouvais stimuler mes neurones. »
Isabelle a toujours eu une grande facilité à écrire… Elle était régulièrement sollicitée par des amis pour ses talents d’écriture, et un jour, a dit à son entourage : « je vais me mettre à mon compte ». Dans les huit premiers jours qui ont suivi, le site web était créé afin de lancer cette activité d’écrivain-public. Au total, entre l’idée et sa réalisation, sur le plan administratif, il s’est déroulé un mois et demi, comme un turbo : « les choses s’enchaînaient naturellement » confie-t-elle. Sur le plan du statut, Isabelle a opté pour la micro-entreprise, donc en profession libérale.
L’enseignant peut en effet exercer une profession libérale découlant de sa discipline. Un enseignant de Lettres peut devenir éditeur ou être écrivain-public, un enseignant de mathématiques créer son activité de cours de soutien dans cette discipline, un formateur pour adultes créer ses propres formations, etc. Depuis 2006, plusieurs décrets (cf. ci-dessus) ont assoupli les possibilités d’une part de cumul d’emplois, d’autre part de seconde carrière pour les fonctionnaires, leur permettant ainsi de se réaliser autrement.
En s’appuyant sur un décret de 2007, tout en exerçant un plein temps, Isabelle crée son activité le 1er décembre 2007, sans avoir besoin de demander d’autorisation particulière auprès de son ministère pour ce type de cumul. Après s’être inscrite auprès de l’URSSAF (elle bénéficie alors de charges sociales diminuées puisqu’elle est salariée à plein temps) et des impôts, elle a pu démarrer son activité. Sur son site web www.redac-express.com elle propose des prestations rédactionnelles et des stages de techniques rédactionnelles. Comme son activité démarre peu à peu, elle envisage de se déclarer comme organisme de formation, afin de proposer ses services à des entreprises. Ce développement d’activité la conduira, pense-t-elle, à demander une disponibilité l’an prochain, ou à solliciter un mi-temps.
Isabelle réalise ainsi sa seconde carrière peu à peu, d’une manière méthodique, en prenant son temps : c’est ce que, au sein de l’association, pour ceux tentés par l’exercice d’une profession libérale, nous conseillons. Il est important de ne pas se couper de ses bases brutalement, afin de disposer des finances nécessaires à la réalisation de cette nouvelle étape, et pour bien mûrir son projet, et le pérenniser.
Quelles compétences acquises dans l’enseignement ont permis à Isabelle de réussir dans sa seconde carrière ? Quelles compétences complémentaires y a-t-elle acquises ?
Isabelle indique qu’elle a réalisé de nombreux petits métiers avant de devenir professeur des écoles : « plongeuse dans un restaurant, assistante chez un opticien…j’ai ainsi développé une forte capacité d’adaptation à différents environnements professionnels, ce qui est important. Lorsque j’ai été réceptionniste, je devais gérer différentes actions en permanence. Le point commun de toutes les fonctions que j’ai occupées est cette polyvalence, utile dans le métier d’enseignant. »
« Dans mon activité de professeur des écoles, le relationnel avec les parents et les collègues prenait une place importante, il fallait user de beaucoup de diplomatie afin de ne pas froisser les gens, en ayant « une main de fer dans un gant de velours ». J’étais à la fois l’assistante sociale, la psychologue, et une pédagogue. Cette pluralité de fonctions est difficile, on nous en demande de plus en plus, même de devenir gestionnaire…Le métier de professeur des écoles nécessite de savoir s’adapter, d’être très polyvalent. Il faut toujours s’y remettre en question, et le travail est intensif. »
Dans le cadre de ses compétences actuelles, Isabelle souligne : « grâce au DUT de Techniques de commercialisation, qui était ma formation initiale, j’ai des compétences en marketing, et je sais comment fonctionne une entreprise, tandis que j’ai une bonne aisance en public et un sens du relationnel. Durant mes années d’enseignement devant mes élèves, j’étais en permanence en représentation, avec un talent d’improvisation à l’oral, et je devais savoir gérer mon stress en de nombreuses situations. »
Quand Isabelle a entrepris sa nouvelle carrière, comment a-t-elle vécu ce « grand saut » ?
« Je l’ai vécu très mal », dit Isabelle en riant. « L’enseignement, c’était une vocation, et je me suis battue, j’ai souffert moralement chaque année à chacun de mes échecs au concours. J’ai sacrifié cinq ans de ma vie, cinq années de mon temps libre, de ma vie personnelle, pour y arriver à tout prix. Aujourd’hui, je ne conçois ce métier que comme une activité parallèle, puisque ma passion pour ce métier d’écrivain-public prend de plus en plus de place. Souvent, je me remets en question, je ressens de la tristesse : comment en suis-je arrivée là ? Je l’ai vécu au départ comme un échec, mais maintenant plus du tout, et je ne me mets pas la pression, cette nouvelle carrière me tient à cœur, mais je n’ai pas pris de décision trop tranchée. Je suis sereine. »
Quelle a été la réaction de ses collègues face à cette nouvelle carrière ?
« Je n’en ai pas parlé, je n’ai pas osé, j’évite… J’ai le sentiment que cela dérange pas mal de gens : ceux qui sont jaloux sur le plan financier, ceux pour lesquels je perds peu à peu mon identité de professeur. En général, réaliser une activité en-dehors de la classe est mal vu des collègues et des parents, car l’école est un monde fermé. »
Que pense-t-elle de ses conditions de travail actuelles ?
« C’est très bien, je l’exerce à domicile et à distance, j’organise mon temps de travail. Les stages de techniques rédactionnelles ont lieu à mon domicile et au total j’y consacre 15h à 20h par semaine. Si je devais lâcher l’école maintenant, cela ne m’effraierait pas du tout. »
Quels conseils Isabelle tient-elle à prodiguer à une personne qui souhaite enseigner ?
«C’est dur ! » dit-elle en riant. « Comment dire les choses ? Il ne faut pas se faire manger par le boulot dès le départ, il est important de conserver des activités distinctes de l’activité professionnelle. Même si l’on se sent une vocation pour ce métier, il peut vous dévorer rapidement, puisqu’il n’existe pas de frontière entre le travail et la vie privée. Le danger, c’est de ne vivre que pour cela. En effet, si l’on vit à un moment son métier difficilement, on le prend de plein fouet, ça fait très mal. En Primaire, il y a le problème des parents inquiets pour leur progéniture, des parents hargneux, des collègues acariâtres, jaloux… L’institution est quelque chose de lourd à supporter, les réformes sont souvent difficiles à gérer, et chaque professeur n’est qu’un pion dans cette grosse machine. Il faut vraiment avoir une autre activité, du temps libre pour soi à côté, afin de se préserver de la détente. »
Que conseille-t-elle, grâce à sa riche expérience, aux professeurs tentés par une mobilité professionnelle en-dehors de la classe ?
« J’ai pratiqué énormément les cours particuliers pendant 15 ans. Le rapport avec l’élève est super. Si quelqu’un en a assez d’être prof, c’est une bonne option, même si certaines sociétés de cours particuliers paient les professeurs qu’ils emploient au lance-pierres… ». « Quand on a un projet qui sommeille ou qui tient la route, il faut foncer, mais pas sans filet, je crois beaucoup à l’intuition. Il ne faut pas faire n’importe quoi, « prendre la température », aller voir les gens qui pratiquent l’activité que l’on envisage, avant de réaliser la formation adéquate, le cas échéant. Il faut créer un cadre pour la mise en place de cette seconde carrière, et commencer par un mi-temps. On ne réalise pas sa mobilité du jour au lendemain. Si on lâche d’un seul coup sa première activité, il y a la précarité qui pèse au-dessus de soi comme une épée de Damoclès, cela n’aide pas à être créatif. Il faut vraiment assurer ses arrières… Si l’on vit en couple, c’est plus facile, il y a le soutien et le salaire du conjoint, c’est plus sécurisant. »
Que pense Isabelle de la création d’une association comme Aidoprofs ?
« Les professeurs ont bien besoin d’être aidés » (rires). « C’est dur à de nombreux niveaux. Il faut penser à eux en leur donnant des informations, des conseils, du soutien, car leur métier devient de plus en plus difficile, on nous en demande de plus en plus, c’est très important de penser aux professeurs. Votre association est un « plus » sur le web. »
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