Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Quel est le bilan affiché par le dispositif ministériel de seconde carrière après deux années d’existence ?
Nous remarquons actuellement qu’au lieu de créer des postes de « seconde carrière », contraintes budgétaires obligent, nous en sommes conscients, les différentes académies se contentent en fait d’orienter les enseignants vers des postes déjà existants : ceux en détachement, en mise à disposition (même si leur suppression progressive est annoncée), ceux proposés par les collectivités locales… et certains emplois proposés dans le cadre de la « seconde carrière » sont fort éloignés des compétences développées par un enseignant : « gestionnaire de ressources humaines », « inspecteur du travail »… Comme la mise en conccurence est de mise avec les agents d’autres ministères, bien plus qualifiés que les profs pour occuper ce type de fonction, quel enseignant de musique ou de mathématiques a une chance de les occuper ? Et l’enseignant d’arts plastiques, que lui propose-t-on au juste ? Un enseignant d’histoire-géographie a-t-il plus de chances ?
Le travail de corrélation des compétences disciplinaires avec les profils d’emplois ne semble pas avoir été réalisé, nous le regrettons. C’est ce que nous tentons de faire au sein de l’association : mener cette réflexion ô combien essentielle de l’adéquation des profils d’emplois à la discipline de formation de l’enseignant.
Le dispositif de seconde carrière actuel nous paraît avoir oublié de s’appuyer sur un outil essentiel que nos travaux de témoignages sur le Café tentent d’esquisser : un référentiel des compétences transférables (ou transposables) du professeur.
Nous réalisons une veille documentaire régulière sur les pages « secondes carrières » des différents sites académiques. Alors qu’en 2006-2007 tout était uniforme, relié à la mission de pilotage pour la diffusion d’une cinquantaine d’emplois en fin d’année scolaire, chaque académie semble peu à peu livrée à elle-même en 2007-2008 puisque, si certaines cellules indiquent toujours les postes diffusés par l’administration centrale, d’autres ne les mettent pas à jour (il est fréquent de tomber sur des listes de postes déjà pourvus, ce qui crée l’illusion qu’il y en a encore), et d’autres encore se contentent d’orienter les candidats vers tous les sites qui proposent depuis belle lurette des offres d’emploi, au sein des différents ministères ou des collectivités locales.
Il n’ y a donc pas de création de postes.
Peu de résultats circulent sur le web sur l’action et les résultats concrets enregistrés par ce dispositif depuis sa création. Il n’est pas possible de savoir, au niveau national, combien de professeurs au total ont candidaté à ce dispositif et combien y ont été effectivement sélectionnés. Nous n’avons trouvé sur le web, après de nombreuses recherches sur tous les sites académiques, que le résultat de cette expérience :
http://www.ac-rouen.fr/rectorat/profession_enseignants/pdf/pro[…]
Quelle part le budget de 2009 de l’Education nationale consacre-t-il réellement à la « seconde carrière » ? Quelle est la professionnalisation des personnes chargées dans les rectorats d’accueillir les professeurs simplement désireux de « quitter la classe » ? Quelle formation leur a-t-on donnée ? Pourquoi si peu de résultats, en deux ans, pour 26 académies ?
Puisque le ministère crée prochainement une « agence nationale de remplacement de professeurs », nous préconisons de créer aussi une agence nationale d’accompagnement des parcours de carrière, puisque le dispositif informatique « I-Prof » le permettrait.
Faut-il attendre que le papy-boom batte son plein et que les jeunes préfèrent d’autres métiers mieux payés que celui d’enseignant, puisque la barre d’admission sera désormais fixée au Master, pour se préoccuper d’un problème que les études récentes de la MGEN en 2006 et du SGEN-CFDT cette année mettent en exergue : la démotivation au fil de la carrière, avec ce besoin, même temporaire, de faire autre chose ?
L’ouvrage publié récemment par Françoise Lantheaume et Christophe Hélou, « la souffrance des enseignants », devrait interpeller le ministère et qui plus est le Gouvernement.
Au fil de nos entretiens sur le Café Pédagogique, et de nos multiples contacts au niveau de notre dispositif à distance, nous découvrons qu’un enseignant ayant évolué vers un détachement ne s’y limite pas : ce départ vers un poste à responsabilités administratives lui donne souvent envie « d’aller au-delà ». Un détachement n’est en effet pas synonyme d’une « mise au placard », ni « d’un départ définitif » et encore moins « d’un abandon de la pédagogie ». Tous les postes en détachement ou en mise à disposition sont utiles, voire indispensables, au fonctionnement des différents EPLE, et même les rectorats ont parfois besoin de créer, ponctuellement, des emplois occupés par des enseignants dont ils apprécient les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être.
Au fil des pré-bilans que nous réalisons, nous constatons que l’accueil d’une partie des cellules d’aide aux enseignants ne satisfait pas les attentes de ceux qui nous contactent ensuite. Beaucoup de professeurs éprouvent le sentiment de ne pas avoir été compris dans leur démarche, certains ont le sentiment d’avoir été méprisés dans leur besoin de faire autre chose. Ce constat nous alarme, car il est le reflet de pratiques que nous souhaiterions voir changer, pour que l’accueil des projets de mobilité hors enseignement des enseignants soit traité de manière plus compréhensive, plus positive, plus motivante pour chaque personne concernée, avec un véritable accompagnement personnalisé tel que nous le pratiquons. Peut-être faudrait-il former ces acteurs à la méthode que nous avons développée ?
Face à une logique budgétaire d’économies de postes, face à des parlementaires qui résument depuis 1998 les emplois en détachement et en mise à disposition par l’expression « ces enseignants qui n’enseignent pas », il y a des hommes et des femmes qui continuent à œuvrer dans l’esprit d’une mission de service public, en pratiquant la pédagogie autrement, en développant de nouvelles compétences.
Puisque l’un des objectifs de la LOLF dans ses BOP est de moderniser la GRH en introduisant une nouvelle GPEEC, voilà un chantier à la mesure des ambitions affichées par le Ministère de l’Education nationale pour le XXIe siècle : créer un véritable dispositif de « secondes carrières » pour les enseignants au niveau national, en intégrant toutes les possibilités existantes sans les supprimer petit à petit (détachement, mise à disposition, concours interne et externe, postes de contractuels) au lieu d’aller les chercher là où les enseignants n’ont quasiment aucune chance d’y être acceptés, engendrant pour bon nombre de candidats démotivation et frustration.
Notre association, courant 2008, a adressé à Monsieur Xavier Darcos un argumentaire de neuf pages de méthodologie et de propositions chiffrées de notre association pour favoriser au plan national le développement de ce dispositif de seconde carrière, grâce à la réflexion que nous avons menée depuis 1999, bien en amont de la conception de notre dispositif associatif. Il semble que nous n’ayons pas été compris (puisque notre demande a été assimilée à une demande de subvention), et que notre action associative en faveur des secondes carrières n’ait pas été non plus bien accueillie, alors qu’on ne peut actuellement en ignorer l’utilité, près d’un millier de personnes de toutes les académies ayant préféré nous contacter plutôt que de s’adresser à l’une des cellules d’aide aux enseignants existantes, et ce mouvement ne faiblit pas, bien au contraire : cinq à dix nouvelles personnes nous contactent tous les soirs, comme un appel, comme une souffrance, comme un besoin ultime : être compris dans leur désir de mobilité professionnelle.
Notre association –que des bénévoles passionnés par leur action- a accueilli près de 950 demandes depuis deux années de son existence, réalisé plus de 330 pré-bilans de carrière à ce jour, et accompagné la mobilité professionnelle effective de 18 professeurs. C’est très peu, mais beaucoup trop pour une petite structure comme la nôtre, disposant d’aussi peu de moyens.
Aide aux profs n’a pas eu, dès le départ, la même approche que le Ministère de l’Education nationale au niveau de cette « seconde carrière » : celle-ci ne doit pas prendre la forme d’une « fuite des cerveaux », mais d’étapes temporaires, signes d’un parcours professionnel dynamique, diversifié, qui peut se poursuivre aisément au sein de la sphère éducative, destinée à remotiver des professeurs pour « autre chose », plutôt que d’accepter leur découragement avec tout le cortège des congés de maladie qui peut en découler.
Aide aux Profs sera présent au Salon européen de l’Education du 27 au 30 novembre : nous vous attendons nombreux, et espérons que le ministre de l’Education nationale choisira cette opportunité unique dans l’année de nous rencontrer pour mieux comprendre les raisons de notre engagement associatif d’intérêt public, nous le ressentons jour après jour depuis le début de cette aventure motivante.
Enseigner en RASED, une seconde carrière ?
Récemment, le Ministre de l’Education nationale a annoncé la suppression des postes RASED : pour notre association, ces emplois sont aussi synonyme de secondes carrières temporaires : ils se différencient des emplois « habituels » d’enseignants, et permettent ainsi de changer de rythme, de pratiques, de professionnalisation, alors que leur suppression pure et simple aboutira à une homogénéisation et donc un appauvrissement de la diversité des fonctions que l’on peut exercer jusqu’ici au sein de la sphère éducative.
Prochainement, nous apporterons notre contribution à la pétition de plus de 130 000 signatures en faveur des RASED en recueillant des témoignages de personnes exerçant ces fonctions, sous-estimées apparemment de ceux qui les suppriment :
http://www.sauvonslesrased.org/index.php?p=4
|
||||
|