Le mot peut paraître
excessif, mais c’est bien celui qu’ont retenu
Françoise Lantheaume et Christophe Hélou pour
leur dernier ouvrage : «
La souffrance des enseignants ».
Après avoir passé à la loupe les
conditions d’exercice du métier dans les lycées
professionnels, la sociologue avait pour hypothèse
que les enseignants sont largement marqués par le contexte
spécifique de leur établissement.
Mais au fur et à mesure de ses nouvelles investigations,
elle a pris conscience que les difficultés des enseignants
étaient liées aux doutes qu’ils avaient
sur les finalités
et le contenu
de leur travail. C’est manifestement le signe, comme le dit
Marcel Gauchet, d’un changement profond du sens de
l’institution.
Les enseignants « en difficultés » rencontrés par
les deux sociologues renssentent n’avoir ni le soutien de leurs cadres et
supérieurs, ni même pouvoir penser et agir collectivement pour
se protéger. Ils se vivent sous la pression des familles et
dans une demande sociale impossible : «à chaque
demande de rendez-vous, je me demande ce qu’on va me
reprocher »…
C’est dans ce
contexte que leurs « difficultés » se
transformant en « souffrance » : « J’ai
l’impression de ne jamais finir mon travail »
; « Je pense
toujours que je ne sers à rien ». Se
vivant comme «
dévalorisés », «
dépossédés de leur métier
», ils deviennent incapables de le
défendre. Les échecs se vivent de plus en plus
dans la solitude, comme si chaque individu culpabilisait de ne pas
réussir à habiter le « métier
idéal » prescrit par la
société, par les inspecteurs et parfois par la
formation («
L’IUFM essaie de donner d’autres habitudes, mais
ces habitudes d’atténuent très vite
dans le quotidien du métier ; je vois bien que les jeunes
finissent par fonctionner comme nous »).
Conséquence directe,
le renforcement de la protection dans la sphère
privée ne suffit pas forcément à
régler les problèmes, même dans les
établissements plus favorisés : sous la tension
de l’intensification du travail, certains chefs
d’établissement renvoient sur « leurs
» enseignants la responsabilité du «
changement » à conduire, « comme si
l’institution elle-même contribuait au
mépris social du métier ».
Selon F. Lantheaume et C. Hélou, un des enjeux pour
l’avenir est donc bien, pour les enseignants, de pouvoir
collectivement «
définir les règles de métier
» en osant entrer dans les controverses, pas au
sens défensif, mais au sens d’un savoir
accumulé qui a « de la valeur »
pour la société.
En ce sens, ils rejoignent manifestement, eux aussi, les pistes
actuellement défrichées par plusieurs équipes
avec qui ils sont en contact dans le travail mené sous la
houlette de l’INRP.