Sabine Vanhulle, Université de Genève : « Vygostki, derrière les poupées russes »Savoir, pensée et développement identitaire : comment l’enseignant s’approprie-t-il les savoirs de métier ?En devenant enseignant, le sujet est soumis à des tensions. Pour Sabine Vanhulle, il doit passer par des « expériences cruciales, vécues à l’intérieur de sa zone proche de développement, dans des situations d’apprentissages vécues comme perturbantes, et qui enclenchent une réorganisation des manières de faire, des émotions, des manières de penser et d’agir ».
Dans une première recherche sur le développement du rapport à l’écrit des instituteurs belges, S. Vanhulle met en place pour chaque enseignant en formation un portfolio qui rassemble leurs lectures, leurs comptes-rendus, leurs expériences formatives sur la question.
Elle cherche à recueillir des résultats qui vérifient ses thèses : la formation doit permettre de mettre les savoirs en jeu pour les discuter, les mettre en tension, mais aussi les mettre en « je », de manière subjective, pour en faire personnellement quelque chose dans les tensions quotidiennes du travail). Vygotski est pour elle comme une poupée russe : à la fois ce qui permet de penser un dispositif de formation, et fournit des grilles d’analyse des résultats.
Ses résultats de recherche montrent plusieurs catégories de « changement de représentation » des étudiants, qui prouvent que son dispositif a été source de développement, malgré de grandes disparités de point de vue exprimé sur leur ressenti de la formation. Elle en conclut que le modèle vygotskien s’applique également aux adultes en formation, contrairement à ce que son collègue canadien a dit avant elle.
Que disent les jeunes enseignants sur leurs « compétences de métier » ?Or, elle se pose des questions au vu des conditions actuelles de formation des enseignants : avec le peu de temps qu’on a à sa disposition, le manque de stages en responsabilité, quelles priorités doivent se donner les instituts de formation pour permettre du développement ?
Elle regarde alors de près un second corpus d’écrits professionnels d’enseignants, qui lui permettent de comprendre comment les jeunes enseignants réélaborent leurs savoirs professionnels acquis, eux qui sont si prompts à dire que c’est «sur le terrain » que se fait leur véritable apprentissage professionnel.
Certains textes semblent en rester aux « savoirs professionnels » quand d’autres témoignent d’un réel « développement » : certains discours centrent leurs propos sur la « technique » du professeur (comment les « motiver », comment utiliser le tableau, comment se placer dans la classe…), d’autres sur le ressenti (« ça se passe bien, ça se passe mal »), d’autres au contraire semblent avoir intégré des savoirs théoriques, des concepts pour les « habiter » dans la classe, dans une posture singulière, dans un « agir professionnel », comme le dit Clot, dans un « pouvoir d’être affecté ».
Enfin, elle se montre critique sur la tendance actuelle de la formation à individualiser les parcours, à « revenir sur ses pratiques ». On fait revenir les stagiaires sur leur expérience, comme si c’était ça qui allait susciter le développement. Encore faut-il qu’on en fasse l’occasion d’attraper les savoirs professionnels, et permettre ainsi un véritable développement : il ne suffit pas de demander aux étudiants de faire eux-mêmes les liens entre la théorie et la pratique, il faut des médiations organisées pour faire surgir des débats, des controverses, des concepts.
Maria-Luisa Schubauer-Leoni, Université de GenèveL’accès aux savoirs scolaires à 5 ans : « sans l’action de l’enseignant, le jeu ne peut que s’ensabler… » Quelle est la place du « collectif didactique » dans la production individuelle ? Dans la classe, c’est tout à la fois la construction collective des objets, le temps et les places des uns et des autres qui influent sur la situation. Entre « enseignement » et « apprentissage », un exemple…
A une classe d’élève de quatre et cinq ans, on présente, jour après jour, pendant 15 séances, une collection de plusieurs dizaines d’objets présentant des similitudes (billes, boutons, oranges…) en les faisant caractériser par les élèves : on donne à chacun un nom, une description, une caractéristique qui le différencie des autres.
Ensuite, dans une première phase, on cache deux objets en demandant aux élèves de les retrouver. Devant les difficultés rencontrées par les élèves, l’enseignante propose de « dépasser la difficulté » en cachant, non pas deux objets, mais douze ! Elle entend ainsi « faire faire un saut » qui va obliger le recours à une mémoire externe : chacun va « faire ses traces », pour soi, pour se rappeler des caractéristiques des objets. Certains dessinent, font des signes qui vont les aider à se débrouiller.
Mais c’est l’étape suivant qui constitue un saut décisif : l’enseignante demande de réaliser un « aide-mémoire » non pas pour soi, mais qui sera utilisé par un autre. ». Il faut donc construire progressivement un code commun, sur lequel on va devoir se mettre d’accord comme système de signes efficaces pour se souvenir ou communiquer. Différents systèmes cohabitent, évoluent, se décantent, utilisant des écritures « chiffrées » et les écritures lettrées.
En organisant cette situation de manière réitérée, en s’inscrivant dans le temps du développement, l’enseignante a le rôle non pas d’enseigner, mais de « constituer les conditions d’apprentissage ». La prise en considération dans le collectif est la condition de la prise en charge de la production de chacun ; le dispositif fait « rétroaction » : sans l’action de l’enseignante qui l’organise de manière exigeante, il ne peut pas vivre. C’est elle qui le fait tenir, qui fait changer de milieu, qui interrompt le jeu pour faire un point de discussion. Sans son action, le jeu ne peut que s’enliser.
« C’est un bel exemple de deux formes d’expériences : une dans laquelle l’élève est obligé de s’assujettir dans la situation, grâce à laquelle il acquiert une expérience qui va lui permettre ensuite de revenir en position d’acteur revendiqué, prêt à s’inscrire dans un développement sur le long terme » conclut Maria-Luisa Schubauer-Leoni.
Pour l’enseignant, dans le contexte scolaire, le dispositif est l’occasion d’organiser un ensemble structuré de questions pour «mettre au travail» des élèves avec un objectif de savoir visé. « Ca implique pour l’enseignant de savoir à l’avance quel est le savoir qu’il veut que les élèves apprennent ». A défaut, lorsqu’il ne sait pas exactement ce que les élèves doivent apprendre, l’enseignant risque d’être réduit à « animer une situation socio-culturelle ».
« Or, se demande-t-elle tout haut, je me demande si la formation professionnelle permet d’identifier précisément les « classes de questions » sensées aboutir à des « classes de réponses » qui seraient les savoirs du métier d’enseignant. »
A leur manière, P. Meirieu et G. Baillat ne disaient pas des choses très différentes, quelques jours plus tôt, aux Etats Généraux de la formation à Créteil…
|
||||
|