Par Françoise Solliec
Sur la thématique obligée de l’orientation, dans le cadre de la présidence française de l’union européenne, le CNDP avait choisi d’organiser les 16 et 17 octobre un colloque européen focalisé sur les 16-18 ans et notamment sur ceux qui quittent le système scolaire sans qualification. Comment l’action publique, en France et en Europe, traite-t-elle cette question cruciale, alors que la réduction de ces sorties est inscrite dans les objectifs de Lisbonne à l’horizon 2010 ?
Les constats en France et en Europe
Ce sont, chaque année, dans l’espace européen, environ 6 millions de jeunes de 16 à 24 ans qui quittent le système scolaire sans qulification, soit près d’1 sur 6. « C’est un gaspillage pour les jeunes et pour la société » déclare Jan Figel, commissaire européen en charge de l’éducation, dans son intervention video. Les objectifs fixés à Lisbonne prévoyaient de réduire ce nombre de 2 millions, « mais ils ne seront pas atteints ». Pourtant, les travaux de la commission européenne ont permis de dégager quelques principes et de publier récemment un document sur les bonnes pratiques. La commission recommande de traiter le problème du décrochage le plus tôt possible, de travailler av ec les familles et de mettre en place des chemins de formation personnalisée.
Pour Laura Cassio, responsable du programme « Access and social inclusion » de la commission européenne, le repérage des bonnes pratiques effectué à l’intérieur d’un groupe de travail mêlant chercheurs et institutionnels a mis en valeur la nécessité d’élaborer, avec des acteurs très différents, des stratégies au niveau local. Il s’agit, selon elle, de faire récupérer du sens à l’école. « Le discours sur l’équité est obligatoirement lié à un discours sur la qualité ». Cela suppose de porter attention à la qualité de la formation des enseignants et d’affecter les meilleurs d’entre eux là où on a le plus besoin d’eux. Selon Laura Cassio, le bien-être des élèves à l’école est aussi une donnée essentielle, qui implique l’amélioration de la relation avec les parents et la garantie de donner accès à des activités favorisant la créativité et l’expression.
Parce que la « présence de grands nombres d’enfants de migrants a des répercussions non négligeables sur les systèmes éducatifs européens », un livre vert sur éducation et migration a été ouvert depuis le 3 juillet pour « savoir comment prévenir la création de milieux scolaires ségrégués, de manière à améliorer l’équité dans l’éducation ».
Pour donner une image des performances du système éducatif français, le sociologue Roger Establet commenta quelques-unes des statistiques d’insertion, au travers de la série de mesures continue, fournie par la publication l’état de l’école, des enquêtes Céreq et des enquêtes Pisa. En France, le poids de l’élite scolaire (maîtrisant des compétences élevées) est très moyen par rapport aux autres pays européens, et le poids des élèves très faibles, qui ne maîtrisent pas les compétences de base, a tendance à augmenter. Selon Roger Establet, l’équité et l’efficacité sont les deux grandeurs qui doivent diriger toute réflexion sur l’école et l’exemple finlandais montre que c’est possible. Il estime que « le redoublement est une catastrophe » et que la volonté de sélection précoce augmente les taux d’échec : « l’élitisme joue contre l’élite ». Les économistes montrent pourtant que la démocratisation de l’école et la montée des effectifs ont eu des conséquences positives sur le salaire moyen et la baisse du chômage, notamment à mi-carrière. De même, en Pologne, l’introduction d collège unique a conduit à une nette amélioration des performances scolaires. Mais pour Roger Establet, il faut vouloir le collège unique et il n’est pas du tout sûr que les Français le veuillent, ils ont tendance à préférer « que leurs enfants soient dans la bonne école ».
En France, même si l’on éprouve quelques difficultés à les recenser, ce sont un peu plus de 130 000 jeunes qui quittent chaque année l’école sans diplôme. Brigitte Larguèze, chargée d’études, présenta l’étude qui leur est consacrée, réalisée à l’initiative de la DIV, « Les jeunes rencontrant des difficultés en matière d’éducation et d’insertion socioprofessionnelle, de la fin de la scolarité obligatoire à la majorité civile en France ». Cette étude, publiée dans le numéro 154 de la revue Diversité, montre que « la grande difficulté scolaire devient un phénomène très concentré socialement » et que son traitement est souvent le fait de structures externes à l’école, qui s’efforcent de remotiver les élèves en alternant périodes de formation et périodes de travail en entreprise.
Les actions entreprises et pistes de travail
De nombreux intervenants ont souligné que la tranche d’âge 16-18 ans correspond à un âge charnière. C’est à ce moment que se déterminent, « parfois très violemment » selon Elisabeth Gourévitch, vice-présidente en charge de l’éducation au conseil régional d’Ile-de-France rejoignant les réflexions du sociologue François Dubet, « les vainqueurs et les vaincus du système social ». Cependant, la formation tout au long de la vie apparait pour beaucoup porteuse d’espoir et de nature à offrir des chances supplémentaires à ceux qui n’ont pas connu un parcours scolaire immédiatement réussi.
La lutte contre les relégations est un axe majeur de la politique en Ile-de-France et de nomb reuses actions ont été mises en place pour offrir une seconde chance aux exclus du système scolaire. Mais il s’agit aussi de ne pas négliger la 1ère chance. Pour Elisabeth Gourévitch, l’école de la République reste un formidable outil face à l’échec, mais seule l’alliance entre des partenaires très différents peut permettre de le réduire considérablement.
Comment travailler sur le noyau dur des jeunes sortant sans qualification ? Pour Michel Dollé, du CERC, rapporteur principal sur « l’insertion des jeunes sans diplômes », il ne s’agit pa seulement d’aménager la pédagogie ou de donner des moyens supplémentaires mais de changer radicalmeent le système. Comme en Finlande, il préconise de sdéceler précocement les difficultés des élèves et de les traiter au plus vite, à l’intérieur de l’école.
Les jeunes en échec scolaire et leurs familles expriment un fort sentiment d’injustice, voire de discrimination. Pour la chercheuse Françoise Lorcerie, les données chiffrées, peu nombreuses par ailleurs, ne justifient pas ce sentiment. Elle estime que les jeunes sont rejoints par des représentations forgées en dehors de l’école et que ce sentiment d’injustice reflète une dégradation, ou un dysfonctionnement, du rôle de promotion sociale du systéme éducatif.
Plusieurs intervenants, dont les sociologues François Dubet, Gérard Mauger et Andrea Rea, ont souligné ce rôle social de l’école. Pour eux le système éducatif a pour fonction de distribuer les jeunes sur des emplois et donc sur des positions sociales. Or, même si le niveau de formation est globalement plus élevé aujourd’hui, le système éducatif conserve, voire aggrave, la structure inégalitaire de la société.
Pour Catherine Witold de Wanden, directeur au CNRS, la plupart des jeunes en exclusion sociale ont démarré avec un fort handicap et cumulent les inégalités liées au logement, à l’environnement scolaire et au bassin d’emploi. Le monde associatif, très présent dans les quartiers défavorisés, ne profite en fait qu’à une petite partie de ces jeunes, souvent issus de l’immigration. L’armée qui représente aussi pour eux une seconde chance, ne joue pas non plus complétement ce rôle et les jeunes sont souvent choqués de voir que les valeurs républicaines d’égalité et de fraternité ne sont que partiellement appliquées au quotidien par les institutions.
Ne demande-t-on pas à l’Ecole d’en faire trop ? s’interroge François Dubet qui plaide pour une déscolarisation de la société et estime que l’on parle d’égalité des chances avec beaucoup trop de légèreté. Pour lui, au nom de ce principe, les classes moyennes développent des stratégies qui prédisposent le plus leurs enfants à la réussite, tandis que les autres n’ont que ce qu’ils méritent : les conséquences sont terribles pour les vaincus. Il es tdonc nécessaire, pour lui, de combiner l’égalité des chances et des dispositifs qui atténuent la cruauté de ses conséquences.
La mise en place du socle commun, la détente du rapport diplôme emploi, la transformation du rapport école société seraient de nature à venir en aide à ceux qui restent en dehors des parcours réservés aux élites. Il serait bon d’aménager des itinéraires de formation et de protéger socialement le travail des jeunes, notamment « leurs petits boulots ».
« On a dans la société un rapport quasi religieux à l’école », conclut François Dubet, qui recommande de devenir laïc et de se contenter d’avoir une bonne école, qui permette à une majorité de jeunes de tirer bénéfice de cette période de formation.
Le numéro 154 de Diversité, septembre 2008, élaboré en appui au colloque, comporte de nombreux articles écrits par les intervenants. On y trouvera notamment une interview de Jan Figel, la synthèse détaillée de l’étude sur les jeunes de 16-18 ans en difficulté scolaire, des points de vue sur le décrochage scolaire de Maryse Hedibel et Françoise Lorcerie et des contributions comparatives des membres du groupe « Access and social inclusion » de la commission européenne.