Interview de Rémi Boyer
Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de votre parcours professionnel, depuis la fin de vos études, jusqu’à vos responsabilités actuelles ?
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan (1978-1982), Paul Quénet réussit son agrégation de mécanique en 1981 puis devient assistant formateur à l’Ecole Navale de Brest durant l’année de son service militaire, avant d’effectuer son année de stage au CPR de Rouen (1983-84).
Durant les quinze années qui suivirent, il enseigne en lycée à Vernon (Eure) avec des classes de BTS, et met en œuvre une lourde démarche de projet, en section Mécanique Automatisme Industriel (MAI). En 1999, il évolue naturellement durant deux ans sur la fonction de chef de travaux dans le même établissement. Son rôle est alors de s’occuper de toutes les classes des sections industrielles de l’établissement, en coordonnant des actions, en réalisant l’interface avec ses collègues enseignants. En 2001, il se présente au concours interne d’Inspecteur Pédagogique Régional en STI et est affecté dans l’académie de Caen. Cette fonction motivante et prenante le conduit en 2005 à accéder à l’emploi de Délégué Académique à la Formation Continue (DAFCO) de l’Académie de Caen. Il est également Directeur du Groupement d’Intérêt Public de Formation Continue et d’Insertion Professionnelle (GIP FCIP).
Quelles sont les responsabilités d’un Délégué à la Formation Continue dans une académie ?
Le DAFCO est l’un des conseillers du Recteur. Son action vise à préparer les décisions sur la politique de formation des adultes au sein de l’académie et à en programmer et en animer la mise en œuvre avec les Conseillers en Formation Continue (CFC) qu’il dirige. Les GRoupements d’ETAblissements (GRETA) constituent en effet des entités autonomes, ce qui suppose un animateur pour les coordonner, afin que la démarche mise en œuvre soit collective et mutualisée.
Ses missions se répartissent ainsi :
– management des équipes de CFC,
– travail avec les chefs d’établissements impliqués dans la formation continue,
– travail relationnel avec les partenaires locaux financeurs (ANPE, Conseil régional, entreprises, etc.),
– encadrement administratif d’une équipe : sa fonction est aussi d’être chef d’un service (20 personnes en équivalent temps plein, plus 33 CFC en GRETA).
Le GIP qu’il dirige (16 personnes à temps plein au rectorat plus 14 ETP en EPLE) constitue une structure administrative et financière destinée à favoriser la mise en œuvre de la formation continue par le rectorat. Directeur, il ordonne les dépenses et les recettes. A la mission du GIP FCIP en formation continue s’adjoint une mission de mise en œuvre de la politique générale du recteur, comme la lutte contre le décrochage scolaire dans le cadre d’un financement européen.
Comment se déroule l’une de vos « journées-types » ?
« Il n’y a pas de journée-type » précise Paul Quénet, ajoutant : « c’est l’intérêt et la charge de ce métier ».
« Encadrement, relationnel, notes de synthèse, diaporamas pour des interventions font partie de mon quotidien. Parfois, je suis à mon bureau pour rencontrer des collaborateurs et passer des appels téléphoniques. Un autre jour, je me rendrais dans un GRETA, ou je réaliserais une intervention dans un groupe de travail ».
« Sur la durée, j’ai peu de temps pour moi, je dois être joignable à tout moment, dès qu’un de mes contacts en a besoin. C’est un métier enthousiasmant, fait de construction de réseaux et de partenariats. Je dois être disponible, et je suis souvent obligé de travailler le soir et le week-end pour avancer dans mes dossiers. Ma journée débute vers 7h30-7h45 et se poursuit jusqu’à 19h en moyenne, sauf lorsqu’il y a des réunions plus tardives. Au niveau de mes congés, c’est la règle des 45 jours ouvrables qui s’applique – soit 9 semaines de congés environ – et je décide de les prendre en fonction des contraintes qui incombent à mes fonctions. Je repousse rarement la date de mes congés, mais il m’arrive de revenir un ou deux jours plus tôt, pour reprendre en main certains dossiers urgents ».
Paul Quénet insiste sur le fait que sa fonction administrative doit être déconnectée de la notion de « bureaucratie », qui est à l’opposé de ce qu’il met en œuvre. La bureaucratie est synonyme du respect des règles comme une fin en soi, l’administration est ce qui permet de faire au delà. Paul Quénet, lui, officie dans des fonctions à finalité pédagogique, dont la dimension est importante, et dont les objectifs sont plus difficiles à atteindre, nécessitant une énergie de tous les instants, une capacité à rassembler et à convaincre.
Directeur du GIP, il doit agir avec à cœur ce travail pédagogique en direction des élèves, des professeurs. C’est tout un travail de fond d’animation, d’accompagnement pour mettre en place un programme mutualisé dans les établissements.
Pour Paul Quénet, l’administration agit avec une logique d’objectifs, de résultats. C’est la ligne directrice fixée par la Loi de modernisation de l’Etat de 2000, qui a vu la mise en place progressive de la LOLF (cf. notre interview de Jean-Baptiste Carpentier, ancien Recteur de Rennes, dans la rubrique « seconde carrière » du 17 septembre). La LOLF a introduit une notion de performance et une culture du résultat dans le fonctionnement et les actions de l’administration.
Quelles compétences (savoir-faire et savoir-être), acquises au cours de votre carrière d’enseignant, vous ont été les plus utiles dans les différentes fonctions administratives que vous avez occupées ?
« Lorsque je m’occupais de classes de BTS, j’étais en situation de projet une année sur deux, avec une part de coordination. Un projet en BTS, c’est un calendrier à tenir, avec des objectifs intermédiaires à réaliser, l’animation d’une équipe, une répartition équilibrée des taches pour atteindre des objectifs pédagogiques » souligne Paul Quénet. « J’ai transféré ces savoir-faire et savoir-être vers les fonctions de chef de travaux puis lorsque je suis devenu Inspecteur Pédagogique Régional ».
« L’animation d’une équipe » est incontestablement une compétence transférable dans d’autres contextes professionnels que le quotidien de l’enseignant.
« La mise en œuvre coordonnée d’un travail, en valorisant les personnes, avec la volonté qu’ils s’investissent et progressent », ajoute Paul Quénet, partisan convaincu des bénéfices que chacun peut retirer d’une formation tout au long de la vie, au profit du bon fonctionnement d’une organisation apprenante.
« Les savoir-faire techniques de l’enseignant sont aussi transférables : réaliser des conférences, des réunions d’équipes nombreuses, savoir parler en public, atteindre l’objectif fixé pour la réunion, synthétiser rapidement les informations » : Paul Quénet indique avoir conservé ces compétences de sa vie antérieure d’enseignant.
Pouvez-vous nous exposer la diversité des compétences que vous avez acquises durant votre carrière administrative ?
« J’ai acquis une compétence d’évaluation à travers les inspections des enseignants lorsque j’étais IA-IPR. Actuellement, je réalise les entretiens professionnels annuels des membres des équipes que je dirige. J’ai acquis, à travers les fonctions de chef de travaux, une culture financière, avec à cœur la mise en place d’une stratégie d’utilisation des crédits dont j’ai la responsabilité. Comme les moyens que l’on me confie sont limités, ma responsabilité est de savoir les optimiser. Savoir ordonner les dépenses et les recettes est un nouvel acquis, spécifique aux fonctions administratives de haut niveau. »
Pour Paul, deux compétences principales ressortent :
– la compétence de conseil :
• comme chef de travaux, il conseillait son proviseur,
• comme IA-IPR et comme DAFCO, il conseille le Recteur de son académie.
Ce conseil est factuel, destiné à dresser des constats et à émettre des préconisations argumentées, il ne s’agit pas d’un conseil d’influence. Une grande partie du travail de conseil se réalise à travers la production de notes de synthèse sur diverses thématiques essentielles.
– la compétence managériale : faire travailler les autres est un art, une responsabilité, ça ne s’improvise pas. Il faut faire confiance aux personnes que l’on dirige, leur fixer des objectifs réalistes, les laisser travailler en autonomie.
Comment vos anciens collègues enseignants ont-ils vécu votre départ de l’enseignement ?
« Leur réaction première a été de l’incompréhension : j’étais en pleine maturité professionnelle…et je m’en allais, ils ne comprenaient pas ma démarche. Pour eux, je quittais la stabilité d’un métier que je maîtrisais parfaitement, pour un métier plus difficile, où le quotidien est parfois semé d’embûches, avec des tensions. J’ai conservé le contact avec quelques-uns de mes anciens collègues lorsque je suis devenu IA-IPR, et ils m’ont mieux compris à ce moment là », confie Paul Quénet.
Regrettez-vous de ne plus enseigner ? Quel regard portez-vous sur l’enseignement et sur les professeurs en présentiel aujourd’hui ?
« Non. Quand j’ai arrêté, j’avais un plein temps d’enseignant et je venais de refaire tout le dispositif de formation des BTS dont j’avais la responsabilité. Avec les fonctions de chef de travaux, j’ai quitté progressivement les élèves, en assurant quelques heures de soutien ici et là. Ensuite, en devenant IA-IPR, je rencontrais encore des élèves, mais dans une situation différente. Actuellement, je ne vois plus d’élèves, mais je ne regrette pas mon choix de progression de carrière. Mon savoir-faire à transmettre un savoir se limite maintenant aux conférences que je donne de temps à autre.
« Quel regard je porte sur les enseignants ? Ils ont la volonté de faire réussir leurs élèves de leur mieux, et dans leur ensemble. Cependant, les enseignants manquent de recul par rapport à leur outillage pédagogique et didactique. Beaucoup de professeurs ont une vision unique de la méthode pédagogique à employer face à leurs publics hétérogènes, alors qu’ils pourraient à profit utiliser d’autres méthodes. » Paul Quénet cite à cette occasion l’opération « 200 lycées », où des petits groupes de soutien de 5 à 8 élèves ont été constitués. Malgré les moyens mis en œuvre, certains enseignants pratiquaient ce soutien comme s’ils faisaient encore cours, en étant au tableau… « L’avance des GRETA du point de vue pédagogique et organisationnel par rapport aux EPLE a été l’une de mes motivations à devenir DAFCO ».
« Le collège et le lycée sont des mondes clos, bien qu’il y ait des partenariats dans le cadre des projets pédagogiques qui y sont menés. Les enseignants n’ont pas toujours le sens des réalités financières », regrette Paul Quénet.
Que conseilleriez-vous à une personne qui souhaite enseigner, que ce soit en première ou en seconde carrière ?
« Professeur est un métier. Ce n’est pas seulement quelque chose de construit autour d’une discipline. Enseigner, c’est maîtriser les savoirs d’une discipline et l’enseigner avec des outils pédagogiques adaptés à son public, avec une maîtrise de sa pédagogie, en s’adressant à des élèves dont les niveaux sont hétérogènes, les facultés d’apprentissage diverses. » Paul souligne l’importance de cette dimension éducative dans la classe, mais aussi au sein de l’établissement.
« Professeur, c’est un métier d’éducateur, de formateur. C’est aussi un état d’esprit : avant de choisir ce métier, il est indispensable de bien se renseigner sur ce qu’est enseigner, en demandant à assister à des cours. Il est tout-à-fait possible de prendre contact avec un chef d’établissement pour obtenir cette possibilité. » L’opinion de Paul Quénet rejoint ici celle de Jean-Baptiste Carpentier, qui fut un temps son Recteur d’académie. C’est aussi l’opinion d’Aidoprofs : pour enseigner, il faut être motivé, avoir à cœur de faire progresser des enfants, des adolescents, de les accompagner vers la réussite.
Beaucoup de conseillers en formation travaillent pour une DAFCO et pour les GRETA : quelles sont les compétences et les qualités attendues chez les enseignants qui souhaitent postuler à ce type d’emplois ? Quelles sont par la suite les possibilités d’évolution, de promotion ?
Paul Quénet connaît très bien cette fonction, puisqu’il dirige 41 CFC dans le cadre de ses fonctions de DAFCO : « pour passer de professeur à CFC, il faut faire preuve :
– d’ouverture d’esprit : avoir été un enseignant dynamique en termes par exemple d’organisation de voyages pédagogiques, de gestion d’un laboratoire, d’un cabinet de cartes, etc. C’est un vrai cap à passer, un vrai saut à faire en matière de méthodes pédagogiques, car celles du CFC sont plus construites, plus formalisées. Lorsque l’on recrute un CFC, le jury ne va pas exiger de la personne qu’elle connaisse tout sur la formation continue des adultes. Nous recherchons des personnes qui savent sortir de leur discipline pour aller vers l’entreprise, vers des partenaires. Etre CFC n’est pas un long fleuve tranquille : on rencontre parfois des moments d’échec, par exemple une proposition que l’on a faite à un chef d’entreprise qui la refuse, ou un enseignant qui refuse de concevoir une formation que l’on pourrait vendre à une entreprise intéressée. Les fonctions de CFC sont émaillées de déceptions.
– Savoir s’organiser est une autre compétence attendue : savoir s’occuper de plusieurs dossiers en même temps est indispensable, car le métier contraint à des sollicitations multiples, dans toutes les directions.
– Savoir gérer son temps, savoir prendre rapidement de micro-décisions, dans l’immédiateté.
– Savoir s’adapter rapidement à une nouvelle situation.
– Faire preuve de polyvalence, avoir une culture générale très large. Un enseignant en anglais ne deviendra pas forcément CFC responsable des langues. J’ai en mémoire un enseignant de lettres classiques devenu CFC dans le secteur industriel : cela demande une capacité rapide d’adaptation à de nouveaux savoirs.
– Il faut aussi disposer de compétences généralistes, pas disciplinaires. Le CFC s’appuie sur des équipes de formateurs, mais il ne dispense pas de formations par lui-même. »
Nous sommes heureux de la précision des propos de Paul Quénet, qui, au travers de son parcours professionnel, nous apporte un éclairage fort intéressant sur de nombreux métiers internes à l’enseignement : chef de travaux, IA-IPR, DAFCO, CFC, nous permettant de gagner un temps précieux en matière de recueil de témoignages…
Quelles sont par la suite les possibilités d’évolution, de promotion ?
Paul Quénet ne crée pas d’illusions : « les possibilités d’évolution en interne sont limitées. Un CFC peut devenir coordonnateur d’une équipe de CFC au sein d’un GRETA, certains GRETA disposant de huit CFC. Il peut aussi aller travailler dans le Centre Académique de Formation Continue (CAFOC), et devenir directeur des études de ce centre. Pour beaucoup de CFC, le parcours de carrière se poursuit par une candidature au concours interne des personnels de direction, tandis que d’autres évoluent vers des emplois proposés par les collectivités territoriales. Nous avons connu des départs d’enseignants devenus CFC vers le Conseil Général, le Conseil Régional, et le Secrétariat Général aux Affaires Régionales (SGAR) missionné auprès du Préfet. »
Quelles sont les modalités d’emploi du CFC ?
Paul Quénet poursuit dans la précision, à notre grande satisfaction : « la première année, le poste de l’enseignant titulaire est bloqué, afin de lui assurer une possibilité de retour dans son établissement. Les postes de CFC ne sont pas des emplois en détachement, mais des postes d’emploi pour personnels du 2nd degré. Les CFC évoluent dans leur corps d’origine, avec une inspection par un IA-IPR. S’ils ne souhaitent plus être CFC, ils retourneront enseigner, mais auront perdu leur poste à partir de leur deuxième année. »
«Etre CFC, c’est pénétrer dans un métier d’encadrement, d’animation d’équipe et de formation. C’est un métier axé sur le contact, le relationnel, un métier qui requière une grande disponibilité –on ne compte pas son temps – et nous fonctionnons avec les CFC dans une logique de lettres de mission, ce qui est d’ailleurs inscrit dans leur statut. Un CFC travaille en moyenne de 7h30 à 19h, et gère son emploi du temps en toute autonomie – en étant présent néanmoins à toutes les réunions de travail de l’équipe -, et son évaluation s’effectue en fonction de ses résultats. Le CFC se déplace souvent sur le territoire qui lui est attribué avec son propre véhicule et est indemnisé de ses frais de déplacement. Ses frais de repas et d’hébergement, quand c’est indispensable, sont pris en charge. Il bénéficie d’une prime de sujétion, en regard de son engagement au service du GRETA, qui est de l’ordre de 570 euros nets par mois en moyenne actuellement. Ses congés sont de 9 semaines environ, à prendre en concertation avec le reste de l’équipe, et pas lorsque l’activité du GRETA bat son plein. »
« La moyenne de passage dans la fonction de CFC est de 5 années, ils y demeurent rarement plus de 10 ans d’affilée. Il faut considérer le métier de CFC comme un tremplin professionnel, une étape intermédiaire, puisque l’on y acquière de nombreuses compétences, transférables vers d’autres fonctions d’encadrement tout aussi passionnantes. Avant, la fonction de CFC était envisagée comme une 2nd carrière définitive. Actuellement, nous recrutons des enseignants de moins de 40 ans en moyenne, qui deviennent CFC dans une logique de projet professionnel à long terme. Ce métier requière une grande disponibilité intellectuelle, et les déplacements peuvent varier de 10 000 km par an s’il on rayonne sur l’agglomération de Caen à 50 000 km par an si l’on rayonne sur le département de l’Orne. Si le professeur est déjà engagé dans des activités prenantes dans sa vie personnelle –engagement associatif ou engagement politique par exemple – il lui sera difficile de conjuguer les deux, même si dans la gestion des agendas des ajustements sont possibles ».
La loi Woerth sur le droit à la mobilité professionnelle dans la Fonction Publique a prévu que « les promotions obtenues lors d’un détachement seront désormais reconnues par les administrations d’origine » : comment, concrètement, cela va-t-il être mis en œuvre pour les professeurs qui décident de réintégrer dans l’enseignement ?
« Si le professeur veut réintégrer l’enseignement comme professeur, pour l’Education nationale, il revient tout simplement enseigner. Il aura probablement un échelon supérieur à celui qu’il aurait eu s’il était resté professeur, ce qui est déjà une valorisation de son parcours différencié en détachement ».
Comment le système éducatif valorise-t-il les compétences acquises ?
« Si l’enseignant décide de réintégrer, il est sûr de retrouver un emploi, et d’être payé, ce qui est une garantie non négligeable, un sacré parachute. Cependant, actuellement, le système de Gestion des Ressources Humaines (GRH) n’est pas encore assez optimisé pour toujours gérer intelligemment les retours et proposer systématiquement un poste correspondant aux nouvelles compétences acquises en détachement. »
Paul Quénet confirme ici l’opinion de Jacky Simon, Inspecteur Général honoraire et ancien Médiateur de l’Education nationale : dans le n°602 de La Lettre de l’Education, en effet, Jacky Simon indique en effet que « parler de GRH dans le système éducatif aujourd’hui est un leurre », ce qui est aussi la position de notre association, en nous appuyant sur les retours d’expériences diverses et variées de ces quelques 850 enseignants qui nous contactés depuis début 2006 de tous les départements français, DOM inclus. Le récent Rapport Pochard, sur lequel nous avions donné notre opinion sur le Café pédagogique (http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2008/91_metier_aidoprofs.aspx) évoque la nécessité de rénover la GRH, qui a fait l’objet de nombreux rapports à l’Assemblée Nationale et au Sénat depuis 1998 et d’études comme celle, très récente, de l’Association Française Association et Education (AFAE : http://afae.france.free.fr/) dans son trimestriel n°2 de l’année 2008 et dont nous vous conseillons la lecture (« La GRH à l’Education nationale entre contraintes et possibles »).
Paul Quénet tient à nous évoquer ce qui est pratiqué dans son académie : « nous identifions les parcours particuliers avec un traitement au coup par coup. Par exemple, si un professeur a été très impliqué dans une fonction nécessitant des compétences de manager, nous lui proposons un emploi d’adjoint détaché dans un grand lycée, si un professeur a été attaché culturel à l’étranger, nous pouvons lui proposer de valoriser les compétences acquises sur un emploi de CFC au sein de la DAFCO. Nous réalisons ainsi une veille sur les compétences détenues par les personnels qui réintègrent, mais qui n’est pas formalisée. Un enseignant qui réintègre a tout-à-fait le droit –et on ne peut que l’y encourager – d’écrire à la Direction des Personnels Enseignants (DPE) de son Académie, avec un CV décrivant son parcours professionnel et ses compétences (savoir-faire, savoir-être), ou à la DAFCO. C’est une formule de candidature spontanée courante, qui nous permet de gagner du temps dans le repérage des compétences dont nous pouvons avoir besoin sans pour autant déboucher immédiatement sur un emploi en conséquence : encore faut-il qu’il soit vacant.
D’après ce que nous dit Paul Quénet, nous pensons que l’académie de Caen, dans son fonctionnement, a été marquée par le passage de Jean-Baptiste Carpentier, devenu recteur de Rennes, qui a appliqué la même politique avec la valorisation des compétences des professeurs au retour de leur détachement. Tout simplement parce que pour accroître ses compétences à l’interne, une organisation apprenante comme l’est l’Education nationale a besoin de ces richesses nouvelles, encourageant ainsi les personnes à poursuivre leur engagement personnel et professionnel.
Que conseilleriez-vous à un professeur qui souhaite réaliser une seconde carrière en « quittant la classe » ?
Paul Quénet est totalement de notre avis : « une seconde carrière en dehors de la classe doit être une démarche positive, réfléchie, pas une position de fuite. C’est un projet d’avenir. Fuir la classe, c’est entrer dans une situation difficile à gérer, avec le grand risque de ne pas aboutir dans son projet, et d’être déçu, découragé. Se précipiter n’est pas conseillé. Il faut prendre le temps de réfléchir à cette nouvelle étape, car l’on peut avoir une vision très faussée du métier que l’on envisage. Par exemple, pour le métier d’IA-IPR : on imagine à tort qu’il ne fait qu’inspecter des professeurs…en fait, cette partie de la mission n’occupe que 20 à 30% du temps de travail. C’est un métier nettement plus diversifié que cela. Pour comprendre un métier dans toute sa dimension, pour en saisir les atouts et les contraintes, il faut aller à la rencontre de ceux qui le pratiquent, ne pas hésiter à aller en discuter avec eux. » Paul ajoute que la dimension financière est importante : « le professeur, comme tout fonctionnaire, est habitué à recevoir un salaire régulièrement, chaque mois. Il ne mesure pas la dimension financière prégnante de l’argent qui n’entre que par à-coups, comme pour le cas d’une profession libérale ou d’une entreprise. C’est une dimension souvent méconnue. »
Que pensez-vous de l’action de l’association AIDOPROFS, qui accompagne dans chaque étape à distance des enseignants dans leur mobilité professionnelle, en les aidant à choisir une formation en fonction de leur projet, et en les informant sur toutes les pistes de seconde carrière au sein de la sphère éducative ?
Paul Quénet est très positif et direct, confortant la position prise par Jean-Baptiste Carpentier, son ancien Recteur : « j’en pense du bien pour deux raisons :
– c’est une bonne chose que cela existe en dehors des dispositifs de l’Etat employeur, car celui-ci n’a pas d’intérêt, comme tout employeur, à favoriser le départ de personnels compétents, auxquels il consacre des crédits de formation conséquents chaque année. Au-delà du recrutement, il y a la formation des professeurs : cet investissement s’effectue dans l’optique d’une évolution de carrière au sein de l’Education nationale. Si l’individu souhaite une autre voie, c’est à lui de se prendre en charge. L’association Aidoprofs apporte une réponse qu’aucun employeur ne peut apporter dans son mode de fonctionnement tourné vers une évolution de carrière en interne de ses personnels.
– Aidoprofs apporte aussi une méthodologie pour la mise en œuvre du projet de mobilité, et cela me paraît important pour l’individu qui se situe dans ce schéma ».
L’association, au travers des témoignages comme le vôtre, s’intéresse aux compétences détenues par les enseignants et à leurs compétences transférables : pourquoi, à votre avis, n’existe-t-il toujours pas de référentiel du métier de professeur aussi détaillé que l’est celui de CFC, ce qui permettrait à de nombreuses structures de mieux identifier ce que « sait faire » un professeur ?
Paul Quénet nous apprend «qu’un cahier des charges de la formation initiale des IUFM » (rédigée par la Commission PIETRYK en Février 2006) a défini quelles compétences les enseignants devaient détenir et mettre en œuvre dans le cadre de leur métier. Ce document, qui de fait concerne tous les enseignants, gagnerait à être mieux connu et utilisé plus souvent en formation continue des professeurs, par les jurys de concours et pour les inspections. Internet nous a orientés rapidement vers ce trésor que nous ne manquerons pas d’utiliser lors de nos prochaines interviews : http://www.snesup.fr/docs/ministere/min06-0202-pietryk-cahier_des_charges_formation_iufm.pdf
Nous sommes très reconnaissants à Paul Quénet de nous avoir accordé ces 100 minutes d’entretien par téléphone un samedi matin, preuve de son intérêt pour notre action, et d’une vision partagée sur l’importance de la transférabilité des compétences des professeurs dans d’autres contextes, facteurs d’évolutions professionnelles réussies.
Paul Quénet, intéressé par l’action d’Aidoprofs, a aussi répondu favorablement à notre invitation pour venir animer avec nos adhérents, à l’issue de notre 3e Assemblée Générale en octobre, un débat sur la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) – dispositif peu utilisé par les enseignants dans le cadre de leur reconversion actuellement – et sur la diversité des secondes carrières au sein du système éducatif. Nous comptons dans les années à venir approfondir ce contact, car il nous semble important, au niveau du pilotage de ce dispositif associatif innovant et passionnant, que nos travaux et le fruit de cette expérience à distance puissent nourrir la réflexion d’une GRH en pleine évolution dans l’Education nationale.