Interview de Rémi Boyer
1. Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de votre parcours professionnel, depuis la fin de vos études, jusqu’à vos dernières responsabilités?
Reçu au CAPES d’histoire-géographie en 1968 puis stagiaire, Gérard Granier réussit l’année suivante l’agrégation externe de géographie, avant de partir deux ans en Algérie au titre de la coopération militaire comme enseignant en lycée. Son contrat sera prorogé au titre de la coopération civile jusqu’en 1973, qu’il effectue comme enseignant assistant à l’université de Constantine. En 1973, il revient en France, muté au lycée Camille Saint-Saëns de Rouen. Deux ans plus tard, il est nommé professeur en khâgne au lycée Jeanne d’Arc, sans l’avoir demandé. Cependant, ce n’est qu’en 1987 qu’il enseignera à temps complet en classes préparatoires en se voyant confier une hypokhâgne. De 1988 à 1995, il enseigne en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), et poursuit sa carrière en se présentant au concours d’Inspecteur Pédagogique Régional en histoire-géographie en 1995, fonction qu’il exerce jusqu’au 2 septembre 2008, date de son départ à la retraite. De 1996 à 1998, il sera en poste sur l’académie d’Orléans-Tours, avant de rejoindre l’académie de Rouen. Lorsqu’il était enseignant, Gérard Granier réalisait aussi des enseignements comme chargé de cours à l’université de Rouen, puis comme maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, et comme intervenant dans un Greta (groupement d’établissements) pour former des guides touristiques ou dans une école d’ingénieurs.
2. Quelles sont les responsabilités d’un Inspecteur Pédagogique Régional d’une discipline ?
Les textes officiels leur définissent plusieurs missions, la proportion de leur temps de travail étant indiquée entre parenthèses :
* inspection et évaluation des enseignants du Secondaire (70% en début de carrière à 30% en fin de carrière, dans le cas particulier de Gérard Granier),
* travail d’animation pédagogique pour la mise en œuvre des nouveaux programmes ou dispositifs d’enseignement (20 à 30%),
* travail de définition de plans de formation continue des enseignants de l’académie où ils exercent (10 à 20%),
* élaboration des sujets d’examen et participation à des jurys de recrutement dans le cadre de sa discipline (20%),
* en tant qu’inspecteur d’académie, l’IPR est aussi un conseiller technique du recteur, et réalise un travail d’expertise en lien avec la vie des établissements.
3. Qu’aviez-vous comme responsabilités en tant qu’inspecteur d’académie d’histoire-géographie ?
«Actuellement, dans ma discipline, un IA-IPR a la responsabilité de 500 à 1000 professeurs. Auparavant, le nombre était supérieur. A Orléans, c’étaient 1700 professeurs, car je fus seul pendant un an. L’an passé, dans l’académie de Rouen, nous étions trois pour 1400 professeurs. Un IPR réalise en moyenne 80 à 100 inspections chaque année, et s’il n’a pas en même temps d’autres missions en tant qu’inspecteur d’académie, il dépasse la centaine d’inspections. Ainsi, dans l’académie de Rouen, tous les enseignants de notre discipline sont inspectés tous les 6 à 7 ans, cela se rapproche des objectifs ministériels qui sont d’atteindre une périodicité de 5 ans ». Gérard Granier ajoute que « les disciplines comme les mathématiques, le français, l’anglais, sont moins bien loties, car il y a davantage d’enseignants par rapport au nombre d’IA-IPR ».
Un IA-IPR n’a pas de responsabilités budgétaires, et « n’a pas de pouvoir au sens strict ». Certes, il dispose du pouvoir d’attribuer une note pédagogique au professeur, mais « ce pouvoir est encadré par des grilles-types ».
L’IA-IPR ne signe aucun document officiel. Il impulse, conseille, donne des avis, mais ne décide pas véritablement. Il ne signe que les rapports d’inspection.
« Nous sommes considérés comme des personnels d’encadrement, avec une réelle responsabilité pédagogique. L’inspection, c’est une évaluation pédagogique. La gestion administrative est réalisée par des chefs de bureau, des chefs de division ; elle est de nature différente même si elle dépend des avis des inspecteurs concernant nombre d’actes de gestion de la carrière» souligne-t-il. « Etre chef d’établissement correspond à un métier bien différent qui relève de la hiérarchie administrative. Le chef d’établissement dispose d’un réel pouvoir, d’une signature avec un rôle pédagogique auprès des équipes qu’il coordonne. L’IA-IPR, lui, n’a pas de pouvoir opérationnel. »
4. Comment se déroulait l’une de vos « journées-types » ?
« Il n’y a pas de journée-type dans le métier d’IA-IPR, c’est l’un des attraits de ce métier justement. Aucune journée ne ressemble aux précédentes, on organise soi-même son emploi du temps en tenant compte bien sur des contraintes d’agenda liées aux nombreuses réunions auxquelles doit participer un IA-IPR. Les missions que l’on réalise nécessitent de travailler avec un grand nombre d’autres acteurs du système éducatif. Je travaillais peu à mon bureau, étant plus souvent en déplacement ici et là entre les réunions à l’IUFM, les services du Rectorat, de l’Inspection Académique (IA), du Centre régional de documentation pédagogique (CRDP). « J’estime que mon temps de travail devait approcher 50 à 60 heures par semaine en moyenne, car je travaillais aussi très souvent le week-end sur mes dossiers » confie-t-il.
« Les IPR sont sollicités régulièrement par la Direction des relations et des ressources humaines (DRRH) pour les professeurs à besoins particuliers de la discipline. Un IPR est chargé de représenter les autres disciplines au sein de la cellule AISSE, qui aide les enseignants en grande difficulté (dans l’Académie de Rouen), notamment s’ils ont des problèmes de santé qui les conduit à ne plus pouvoir enseigner. Il y a aussi un lien avec la Division des personnels enseignants (DPE), puisque nous avons un avis à donner sur tout acte de gestion et de promotion d’un professeur, comme son accès à la hors-classe par exemple, ou pour l’obtention d’un congé de formation professionnelle (CFP) ». Cependant, Gérard Granier indique que l’avis de l’IPR n’est pas déterminant, puisqu’un groupe de travail arrête les propositions en prenant aussi en compte les avis des organisations syndicales, qui insistent souvent pour que les CFP soient accordés en fonction de « l’ancienneté des demandes », sans qu’il soit fixé formellement « d’âge limite pour en bénéficier ».
A ce propos, nous pouvons signaler – et c’est là l’un des intérêts de notre association, ce retour réalisé par les enseignants sur leur vécu au sein de telle ou telle académie – que le délai d’obtention d’un CFP est très variable selon les académies, puisqu’elles n’ont pas toutes la même taille, donc pas dotées du même budget. Nous avons parfois été contactés par des professeurs qui avaient réalisé jusqu’à huit demandes successives de CFP sans jamais obtenir satisfaction, de quoi les démotiver pour longtemps…
Gérard Granier indique que « les demandes de CFP privilégiées sont celles qui permettent la préparation d’un concours de l’Education nationale : un certifié désireux d’obtenir l’agrégation par exemple. En 2008, il fallait en moyenne 2 à 5 ans pour obtenir un CFP dans l’académie de Rouen ».
Nous tenons à souligner ici, parce que notre association est souvent sollicitée à ce niveau, que si le CFP permet d’obtenir un allègement partiel ou total de l’enseignement statutaire dû par l’individu ; il ne finance pas pour autant la formation souhaitée. Ainsi, un professeur qui souhaite réaliser un Master dont le coût s’élèverait à plusieurs milliers d’euros devra le financer lui-même.
Chaque année, les contingents de CFP sont peu nombreux, ce qui exige de bien préparer son projet, et de rédiger une lettre de motivation solidement argumentée. Il est aussi important de demander à rencontrer la personne qui s’occupe de la réception des dossiers de CFP, et d’informer son IPR disciplinaire de sa démarche, afin de mettre toutes les chances de son côté, sans garantie toutefois d’obtenir le CFP.
5. Quelles compétences (savoir-faire et savoir-être), acquises au cours de votre carrière d’enseignant, vous ont été les plus utiles dans les différentes fonctions administratives que vous avez occupées par la suite ?
« La crédibilité et la légitimité, des compétences scientifiques. Les savoirs que j’ai acquis au travers de mes enseignements en CPGE ont été déterminants pour devenir IA-IPR. Avoir été enseignant m’a apporté des qualités de contact, le sens de la conduite de projets. IPR, c’est un autre métier que celui de professeur, car on doit y développer des compétences nouvelles. »
Gérard Granier indique que la formation dure jusqu’alors 2 ans avec des stages à l’Ecole supérieure de l’éducation nationale (ESEN) à Poitiers, en alternance avec une formation en académie et le début des inspections.
6. Pouvez-vous nous exposer la diversité des compétences que vous avez acquises durant votre carrière administrative ?
« J’ai acquis une meilleure connaissance des textes juridiques. Beaucoup de professeurs les connaissent mal. J’ai aussi développé une capacité à hiérarchiser et choisir entre de multiples sollicitations. Organiser, gérer son travail, définir ses priorités, voilà de nouveaux savoir-faire. Le sens du dialogue et du compromis est aussi une constante essentielle de ce métier. J’ajoute qu’il ne faut pas être persuadé que l’on détient la vérité parce que l’on devient IA-IPR, c’est mon opinion personnelle de cette fonction ». Gérard Granier parle en humaniste.
7. Comment vos anciens collègues enseignants ont-ils vécu votre départ de l’enseignement ?
(rires). «De manière très contrastée au départ : certains se sont réjouis, m’ont encouragé, d’autres ont eu le sentiment que j’allais trahir la catégorie des professeurs, la famille des profs ».
8. Avez-vous regretté, une fois IA-IPR, de ne plus enseigner ? Quel regard portez-vous sur l’enseignement et sur les professeurs en présentiel aujourd’hui ?
« Un peu, mais pas énormément. Je n’ai jamais regretté d’être devenu IA-IPR, puisque j’avais été professeur pendant 27 ans.
Professeur, c’est un métier qui est devenu beaucoup plus difficile à exercer qu’il y a 30 ou 40 ans. Globalement, les enseignants font bien leur métier, du mieux qu’ils le peuvent. J’ai rencontré peu de professeurs dilettantes, c’est-à-dire qui se contentaient de faire leurs cours a minima sans souci de renouvellement et de donner des notes, sans chercher à réaliser de projets ni à s’investir dans la vie de leur établissement d’exercice ». Gérard Granier ajoute que « si le contrat n’est pas rempli par l’enseignant, il est en principe sanctionnable, car si cela se passe mal avec les élèves, on peut parler de carence, et les moyens de sanctionner sont notamment de baisser la note pédagogique, ce qui, toutefois, est rare. » A l’inverse, Gérard Granier indique que l’on peut valoriser un enseignant « en favorisant son accès à la hors-classe, la majorité y accédant autour de leurs 50 ans ».
« Le dispositif I-prof mis en place par le MEN sert notamment à l’occasion du passage à la hors-classe, en fonction des éléments renseignés par le professeur sur son compte. Les IPR consultent les différents profils promouvables avant d’indiquer leur appréciation. »
9. Comment un professeur agrégé qui souhaite devenir IA-IPR de sa discipline d’enseignement doit-il aborder ce concours interne ? Quels conseils lui prodigueriez-vous ?
Un professeur certifié peut devenir Inspecteur de l’éducation nationale du 1er degré (IEN) ou IEN-ET-EG pour les lycées professionnels. Un agrégé, dans son CV, pour devenir IA-IPR, doit disposer d’une solide expérience comme professeur, de travaux de recherche éventuellement, et avoir été conseiller pédagogique, formateur, ou avoir enseigné en CPGE. » Gérard Granier ajoute qu’il est « utile de prendre conseil auprès d’un IPR qui sera en mesure de conseiller, d’accompagner la démarche ».
Le dossier à réaliser pour l’admissibilité met l’accent sur des critères de diversité et de richesse de l’expérience professionnelle antérieure, sur les motivations et les qualités humaines. Il faut avoir le sens du contact, de la communication ». Actuellement, on observe un rajeunissement de l’âge des candidats, avec une moyenne de 45 ans, et un panel de candidats de 35 à 50 ans.
Notons toutefois que sur les statistiques de ces dernières années, le concours d’IPR tend à devenir moins sélectif, car le nombre de candidats décroît régulièrement, ce qui pose un problème de renouvellement des cadres chargés de l’évaluation, au moment même où les classes d’âge à partir à la retraite vont augmenter, du fait du papy-boom.
IPR, c’est le prolongement naturel de la carrière d’un professeur. Je n’ai pas eu le sentiment de faire une double carrière, c’était dans la logique des choses. Initialement, j’étais devenu IPR dans la perspective d’être directeur de CRDP. J’ai beaucoup apprécié la relation avec les enseignants, et j’ai donc renoncé à cette fonction. J’ai eu le sentiment, vraiment, d’amorcer un autre métier mais dans la continuité du premier ».
10. Un professeur agrégé qui souhaite devenir IA-IPR en Administration et Vie Scolaire est-il obligé d’avoir été chef d’établissement au préalable ? Comment peut-il préparer et se donner les moyens de réussir ce type de concours interne ?
« Dans la logique des choses, pour devenir IPR en Administration et Vie scolaire (AVS), il faut avoir été soit IEN du 1er degré, soit chef d’établissement. C’est une voie de promotion professionnelle pour ces deux catégories de cadres. Il est rare qu’un agrégé enseignant devienne immédiatement IPR-AVS ».
11. Que conseilleriez-vous à une personne qui souhaite enseigner, que ce soit en première ou en seconde carrière ?
«Dans le cadre d’une première carrière, je l’encouragerais car professeur est l’un des plus beaux métiers du monde. Cependant, il faut y faire preuve de motivation.
Pour une seconde carrière, il est nécessaire de prendre des garanties. C’est un beau métier, mais avec des aléas en fonction du public auquel on s’adresse. Il est important de préserver au minimum ses arrières. Une seconde carrière, quelle qu’elle soit, est un pari dont la réussite n’est pas garantie ».
12. Que conseilleriez-vous à un professeur qui souhaite réaliser une seconde carrière en « quittant la classe » ?
« C’est au professeur de se prendre en charge et de construire un projet personnel. Je lui conseillerais de mener ce projet. Vers la fin de ma carrière, j’ai été impressionné par le fait qu’un nombre grandissant de jeunes collègues affichaient qu’ils ne voulaient pas être professeurs plus de 10 à 15 ans. »
Cette constatation rejoint ce que nous observons dans notre dispositif associatif : parmi les jeunes enseignants qui nous contactent (3 à 10 ans d’ancienneté), la majorité n’envisage pas de poursuivre dans ce métier. Une étude de la MGEN à l’automne 2006 avait aussi révélé que la moyenne de la démotivation de l’enseignant survenait à 8,3 années, et que le cap des 20 ans d’ancienneté représentait un cap fatidique pour beaucoup d’enseignants.
13. Dans l’académie de Rouen, où vous étiez IA-IPR avant votre départ à la retraite, existe-t-il un dispositif de valorisation des parcours de carrière et des compétences acquises des professeurs qui décident de réintégrer après un détachement plus ou moins long (comme cela de passe dans des académies comme Caen et Rennes) ?
« Non à ma connaissance, cela n’existe pas dans l’académie de Rouen. Au niveau du repérage des compétences des personnes, cela fonctionne avant tout par le bouche-à-oreille. D’ailleurs, les professeurs dont l’on peut valoriser les compétences sont souvent ceux de l’enseignement technique ou professionnel. Personnellement, en histoire-géographie, j’ai connu très peu d’enseignants qui aient réintégré et soient redevenus professeurs après un détachement ou une mise en disponibilité.
14. Que pensez-vous de l’action de l’association AIDOPROFS, qui accompagne dans chaque étape à distance des enseignants dans leur mobilité professionnelle, en les aidant à choisir une formation en fonction de leur projet, et en les informant sur toutes les pistes de seconde carrière au sein de la sphère éducative ?
« Sur le principe, j’estime que c’est une initiative excellente et très utile aux professeurs car ils se sentent souvent plus à l’aise, à tort ou à raison, avec l’accompagnement fourni par une association qu’avec une administration, et je ne suis pas sûr que cette problématique soit prise en charge par les organisations syndicales. Une structure associative peut personnaliser l’information que peut délivrer une structure administrative ».
Nous tenons à remercier chaleureusement Gérard Granier de ce témoignage très enrichissant sur la diversité de ses missions, permettant de connaître bien mieux ce que signifie « être IA-IPR », et lui souhaitons une longue et heureuse retraite.
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