Chargée de la difficile mission de synthétiser en peu de temps les travaux de sept ateliers au cours desquels les points de vue sont loin d’avoir été consensuels, Claire Pontais, du SNEP, montre une pointe d’humour : » On sait que nous sommes d’accord sur le fait que tous les futurs enseignants aient une « bonne formation », mais au-delà, les consensus sont difficiles à trouver…
Elle prend donc le parti de limiter sa synthèse à une problématisation, présentant ce qui, dans chaque atelier, a fait consensus, et relevant un élément qui continue de faire débat…
Dans un atelier, la question de la démocratisation de l’accès au métier d’enseignant était au menu. En effet, nombreux sont ceux qui pensent que l’élevation à cinq ans minimum du cursus de formation nécessaire pour présenter le concours n’éloigne encore les enfants des ouvriers et employés. Un point d’accord a été facile à trouver : plutôt que de prévoir des bourses au mérite, le ministère doit mettre en place des allocations et pré-recrutements.
Un autre groupe, travaillant sur l’unité et la diversité du métier d’enseignant, semble avoir surtout fait entendre les différences : derrière l’ambition « d’égale dignité » entre les catégories, on sait que persistent des hiérachies plus ou moins avouées… Les compétences « transversales » à tous les enseignants restent souvent dans la pochette des bons sentiments, comme en témoigne la grande difficulté que les IUFM ont depuis leur naissance, pour mettre en place des modules de formation communes à plusieurs catégories.
Conséquence directe, il est difficile de « repenser le disciplinaire », ambition du troisième atelier. Si chacun accepte le principe de ne pas prendre le terme dans son sens le plus étroit, les crispations et les guerres de territoires reprennent vite lorsqu’il s’agit d’aller dans le détail des compétences professionnelles qui doivent s’y inscrire pour rendre possible l’enseignement de la discipline, au-délà de la nécessaire maîtrise des contenus par l’enseignant.
Il n’est donc pas totalement aberrant que les questions des contenus de formation et du statut des formateurs porte les traces de ces complexités et de ces débats, comme en témoignent nos comptes-rendus. La formation « progressive » (en d’autres temps on parlait de biseau…) de la première année de licence à la seconde année de titularisation (soit un cursus de sept ans !) est appelée des voeux de tous, incluant un travail collectif pour apprendre à s’emparer à plusieurs des problèmes de métier. Mais une fois de plus, les oppositions de points de vues sur ce qui consitue le « coeur de métier » des enseignants empêche d’aller plus loin sur la manière dont peut se faire la « transmission » d’une génération à l’autre… et en conséquence de préciser les catégories de « formateurs » qui peuvent en avoir la légitimité.
La place de l’articulation avec la « vraie vie » que constitue les terrains professionnels, souvent plébiscités par les stagiaires, pose celle de la survie des structures locales que sont les centres départementaux : scories du passé ou ressources indispensables pour le croisement des expériences professionnelles ? Le débat risque d’être rapidement tranché dans le vif, craignent certains, inquiets également pour les personnels BIATOSS qui y travaillent, à l’avenir plus qu’incertain.
Enfin, la relation entre les contenus de formation et les concours est restée une question à trancher : du contenu des épreuves du concours dépendront largement les contenus des mastères destinés à les préparer. Qu’ils soient surtout centrés sur les connaissances disciplinaires, et on risque de valoriser les formations qui feront l’impasse sur les savoirs professionnels et la préparation professionnelle. A l’inverse, quelle épreuve imaginer pour évaluer ces compétences de métier, souvent citées, rarement précisées autrement que dans des référentiels formels ? Est-il possible de tirer parti du calendrier de la seconde année de mastère (admissibilité en janvier, admission en juin) pour imaginer des épreuves qui permettraient au candidat de montrer à un jury qu’il parvient à décrypter les difficultés des élèves, à organiser un enseignement et une évaluation de nature à avoir des ressources pour y travailler comme un professionnel ?
« Mais, osent les moins optimistes, qui nous dit que les concours perdureront longtemps ? Ce qui ce prépare n’est qu’une vente à la découpe » confie un participant. « On fait passer la pilule, et dans trois ans, les recteurs ou les établissements recruteront directement leurs professeurs, comme dans la plupart des pays de l’OCDE. C’est la fin du service public à la française, l’ouverture du grand marché des professeurs ». Rien ne permet de lui donner tort a priori.
Rédigé au cours des dernières heures, l’appel unitaire appelle à la rupture, « parce qu’enseigner est un métier qui s’apprend ». Il réaffirme l’ambition d’une nouvelle étape de la démocratisation, pour ne pas laisser sur le bord du chemin les élèves les plus fragiles. Il appelle l’Etat à préserver les diplômes nationaux, à cesser de diminuer les recrutements, à renoncer à « des solutions bancales qui portent en elles le danger d’une atomisation et d’une mise en concurrence des formations quand il faudrait un surcroît de solidarité et de cohérence. Elles participent d’une idéologie inacceptable qui laisse entendre que les élèves n’auraient véritablement besoin de pédagogie qu’entre six et onze ans. Elles tiennent pour négligeables des domaines essentiels comme celui de l’enseignement professionnel. Elles nous entraînent vers une régression très grave : car, n’en doutons pas, sans une formation professionnelle de haut niveau de tous les enseignants, c’est la concurrence entre les établissements qui va s’installer et les familles les plus fragiles qui vont pâtir. »
Un débat de spécialistes, ou un enjeu de société ?
C’est bien cette relation avec l’opinion qui est à conquérir, pour ceux qui entendent défendre leurs conceptions de la formation et de la professionalité enseignante : pour beaucoup, ces revendications risquent de passer pour des débats de spécialistes, voire des querelles pour la préservation des acquis.
Si le projet gouvernemental possède sa cohérence dans les valeurs qu’il affiche, ceux qui sont attachés à prouver le contraire vont devoir se montrer très déterminés dans les mois à venir. A la fois dans leur capacité de mobilisation, mais aussi d’invention.
Dans le brouhaha de la fin de la journée, quand montent de la salle tout ce qui n’a pas eu le temps de s’exprimer dans la journée, Dominique Bucheton, responsable de l’IUFM de Montpellier, appelle à se mobiliser das le travail : « Il nous faut changer des posture, pour faire le pari de l’intelligence. Cela passe par un travail exigeant et concret. Osons creuser dès aujourd’hui nos ambitions dans la préparation des maquettes de formation ». Elle appelle ses collègues à fouiller ce qui est difficile, à pousser la réflexion sur la mise en œuvre concrète des grands principes affichés dans les textes.
Le diable est dans les détails…