Par François Jarraud
C’est maintenant clair : l’Ecole Darcos sera pilotée par les résultats. « L’accountability » venue d’Angleterre et des Etats-Unis y subit pourtant de fortes critiques. Elle est en passe d’y être sinon abandonnée, du moins modifiée. Aurait-on un métro de retard ? La prochaine réforme débarque avec force en Suisse. Elle pourrait arriver ici plus tôt qu’on le croit : le chèque scolaire.
Peut-on apprendre de ses voisins ? Si oui, la vague de mécontentement qui accompagne la publication des tests de fin de primaire en Angleterre devrait nous être utile au moment où, à notre tour, nous sommes touchés par la tentation du pilotage par l’évaluation. Rappelons que l’Angleterre applique depuis plusieurs années les bases d’un système qui s’annonce en France : tests nationaux, suivis par la publication de leurs résultats pour chaque école, libre choix de l’établissement par les parents sensé sanctionner les « mauvaises écoles » et les pousser à s’améliorer.
Cette année, les tests de fin d’école primaire ne satisfont que le ministre des écoles. Il relève que 81% des élèves ont atteint le niveau attendu en anglais (+1%), 78% en maths (+1% aussi). Pour le ministre c’est 100 000 enfants en plus qui ont atteint un niveau correct en anglais par rapport à 1997, 90 000 en maths.
Mais pour la première fois des voix s’élèvent pour contester les évaluations. C’est le cas des parents qui se plaignent des retards : tous les tests ne sont toujours pas corrigés. Cela jette un doute sur les résultats : les tests manquants sont-ils susceptibles de modifier les scores, et donc le classement des écoles ?
Le syndicat des chefs d’établissement s’inquiète de certains résultats. Si les objectifs fixés par le gouvernement sont bien atteints (81% au niveau 4 en anglais par exemple), les résultats montrent une baisse sensible du nombre d’élèves ayant atteint le niveau supérieur 5 : 29% au lieu de 34% en anglais par exemple. Comment expliquer ces évolutions divergentes ?
Selon le Guardian, 90% des écoles mettraient en doute la valeur des tests. Pire : les chefs d’établissement craignent que les tests aient un effet négatif sur l’enseignement. « Le niveau 4 est le repère pour le gouvernement. Il y met tout son poids. Le niveau 5 est moins important pour les écoles. Tous les efforts vont sur le niveau 4 ». Pressés à obtenir davantage d’élèves au niveau 4, les enseignants s’occuperaient prioritairement des élèves médiocres et s’occuperaient moins des meilleurs et des plus faibles. Ils travailleraient pour les tests.
Ainsi, les tests d’évaluation, dont on nous dit qu’ils vont améliorer le niveau, y compris dans les écoles en difficulté, sont accusés en Angleterre de le baisser. Cet appauvrissement de l’enseignement, également constaté aux Etats-Unis, perturbe nos voisins. Saurons nous renoncer aux idées simples en éducation ?
Article du Guardian
http://www.guardian.co.uk/education/2008/aug/06/sats.primaryschools
Les résultats sur BBC News
http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/education/7542176.stm
Dans le Café, l’Angleterre remet en question l’évaluation
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/laclasse/Pages/2008/Anglet[…]
Le niveau monte-il vraiment avec l’accountability ?
En pleine période électorale, l’information est d’importance. Selon une nouvelle étude du Center on Education Policy, le niveau scolaire des jeunes Américains a augmenté depuis 2002, c’est-à-dire depuis la mise en place de la loi No Child Left Behind (NCLB). Cette loi accorde des fonds fédéraux aux établissements qui remplissent certaines conditions de réussite scolaire. Son moteur est la mise en place de batteries de tests uniformisées qui évaluent de façon précise les élèves. C’est cette évaluation perpétuelle (accountability) qui permet le pilotage du système. Vous avez compris l’intérêt pour nous de cette histoire américaine : c’est le même système qu’on nous promet pour bientôt en France.
Selon l’étude du CEP, le niveau a effectivement monté en lecture. En maths, on assiste à une baisse dans un seul état alors que dans 21 des 27 états étudiés les résultats s’améliorent. Mieux encore, les écarts de niveau entre Afro Américains et « blancs » ont diminué dans 13 états et ceux entre riches et pauvres dans 10 états. A partir de là, plusieurs commentateurs peuvent chanter les louanges du système.
Pourtant le rapport du CEP est plus prudent. S’il y a bien amélioration des résultats dans les tests , cela résulte-il vraiment de la loi NCLB ? Rien n’est moins sûr ! Prudemment, l’étude évoque plusieurs faits qui ont pu influer sur les résultats. Depuis 2002, les écoles ont pu affecter plus de temps aux matières évaluées, comme les maths et l’anglais. Les élèves sont plus familiarisés avec ces textes. Les profs aussi.
Finalement, l’étude met surtout en évidence les difficultés à évaluer la performance scolaire. C’est d’autant plus important à souligner que beaucoup croient pouvoir calculer de façon précise et objective ce que fabriquent les écoles.
L’étude
http://www.cep-dc.org/index.cfm?fuseaction=document_ext.showDoc[…]
Etats-Unis : Le pilotage par l’évaluation survivra-t-il à Bush ?
Est-ce la fin de la loi No Child Left Behind (NCLB) ? Alors que le président Bush prépare ses adieux, une des mesures phares de sa présidence est fortement modifiée. La ministre fédérale de l’éducation, Margaret Spellings vient d’annoncer que 6 états pourront déroger à la loi.
Cette loi impose, en échange de subventions fédérales, une batterie de tests à tous les établissements scolaires de façon à détecter les « bons » et les « mauvais » établissements. Ceux-ci doivent remédier à leurs faiblesses ou disparaître. Cette mesure illustre la nouvelle idée de la droite américaine : piloter le système éducatif grâce à des batteries de tests évaluant en permanence des établissements pris à la gorge. Les questions pédagogiques sont écartées, la pression des tests et la concurrence entre établissements sont sensés améliorer le système c’est-à-dire, selon les initiateurs de la loi, profiter aux écoles des quartiers défavorisés, obligées de progresser ou fermer.
L’étau vient de se desserrer d’un coup. Six états, l’Ohio, la Floride, la Géorgie, l’Indiana, l’Illinois et le Maryland, viennent d’obtenir des dérogations à l’application stricte des mesures de NCLB, jugées trop rigides. Ainsi la Floride pourra envoyer des professeurs expérimentés dans les écoles n’atteignant pas les objectifs fixés (les « failing schools »), au lieu de les fermer. La Maryland pourra remplacer les chefs d’établissement. En Géorgie les écoles à mauvais résultats pourront être transformées en « charter schools », des écoles publiques mais au fonctionnement dérogatoire.
Le pilotage par les tests (l’accountability) avait déjà été contesté sur le fond. Récemment une étude du Center on Education Policy avait mis en doute l’efficacité de ces tests. Si les résultats s’améliorent est-ce parce que les élèves ont vraiment progressé ou parce qu’ils savent mieux faire les tests ?
Les nouvelles mesures critiquent l’application de la loi. Mais ce faisant elles mettent en doute le système d’évaluation tout entier. Déjà 10 autres états demandent également des dérogations. L’Amérique serait-elle en train de tourner la page de l’accountability ?
Article d’Education Week
http://www.edweek.org/ew/articles/2008/07/01/125135education[…]
Sur le Café L’étude du CEP
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/06/26[…]
Sur le Café, une autre étude récente
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/03/050[…]
Obama, Mc Cain garderont-t-ils l’accountability ?
Mc Cain, le candidat républicain à la Maison Blanche, maintiendra-t-il la loi No Child Left Behind ? On se rappelle que cette loi, mise en place par Bush en 2001, impose un pilotage fédéral du système éducatif par une batterie de tests. C’est le pilotage par l’évaluation qui est inscrit dans le programme sarkozien.
Selon Alyson Klein, l’analyste d’Education Week, Mc Cain a pris une position ambiguë sur cette question, assurant qu’il voulait juste « en renforcer les bonnes parties ». Début juillet on apprenait que la ministre américaine de l’éducation accordait à 6 états des dispenses spéciales dans les contraintes liées aux tests.
Article d’Education Week
http://www.edweek.org/ew/articles/2008/09/03/02behavior_ep.h2[…]
Sur le Café, les dispenses
http://cafepedagogique.studio-thil.com/LEXPRESSO/Pages/2008/07/03072[…]
L’Angleterre revient elle aussi sur l’accountability
Selon BBC News, le gouvernement pourrait accepter la suppression d’une partie des batteries de tests rendues obligatoires. PLusieurs groupes d’élèves pourraient sortir des statistiques : tous les asiatiques sauf les Pakistanais, les Anglais blancs , les Chinois. Cette réduction est proposée alors que de vives critiques sont apparues après l’annonce de mesures contre plus de 600 écoles.
Article BBC News
http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/education/7597989.stm
Sur le Café, les tests mis en cause
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/06/090620[…]
Le chèque scolaire ne paye pas
« Les espoirs en la capacité des chèques scolaires à améliorer significativement le niveau des étudiants… doivent être modérés par les résultats des études disponibles et les arguments en faveur des chèques scolaires comme une alternative sans coût supplémentaire devraient faire l’objet d’analyses plus prudentes ». L’étude de Lisa Barrow et Cecilia Elena Rouse pour la Federal Reserve Bank of Chicago, reprend la littérature existante sur les « vouchers », ces programmes de chèques scolaires qui concernent plus de 50 000 élèves dans trois états américains. Ils permettent aux familles de dépenser un crédit éducation dans l’école de leur choix, en fait des écoles privées.
Les études montrent que les élèves qui ont bénéficié de ces chèques ont eu des résultats similaires à ceux qui n’en ont pas bénéficié. Les différences sont proches de zéro et non significatives aussi bien en math qu’en anglais.
Mais le voucher a-t-il permis d’améliorer le système éducatif dans son ensemble ? Car la philosophie qui sous-tend le chèque scolaire c’est que mettre en concurrence de cette façon les écoles profite d’abord aux écoles publiques faibles, obligées de s’améliorer pour garder leurs élèves. Et bien là aussi, les réusltats sont peu significatifs. Pour les auteurs de l’étude la théorie est faussée par le fait que les écoles publiques sont déjà souvent en concurrence et que les parents n’ont pas forcément les informations nécessaires.
Pourquoi s’intéresser ainsi aux vouchers ? Parce que la mise en concurrence des écoles publiques françaises est prévue par le gouvernement. Les résultats des évaluations nationales seront prochainement accessibles école par école. Et aussi parce que la droite suisse, si proche de l’UMP, fait campagne cette année pour le chèque scolaire.
L’étude
http://www.chicagofed.org/publications/economicperspectives/[…]
Vu de Genève : L’Ecole et le chèque scolaire
Alors que la Suisse s’apprête à vivre, à l’initiative de la droite, plusieurs référendums sur le chèque scolaire, dans Le Temps, l’écrivain Jean Romain, s’interrige sur l’opportunité du chèque scolaire. « Un service privé pousse à la dispersion, à la soumission aux intérêts particuliers et immédiats, à l’utilitarisme étroit. Plus grave: le privé raisonne uniquement en termes de société, c’est une conception qui se règle sur les sondages, sur l’arithmétique sociale, sur les diversités de chaque élève à laquelle il faut répondre, et non pas sur le droit. Cela aboutit à deux sortes d’inégalités flagrantes: une inégalité épistémologique: des pans entiers du savoir seraient condamnés sous prétexte d’inutilité; une inégalité juridique: les services dépendent des données locales et des conjonctures économiques ».
Pour J. Romain, « l’argument qui dit que les parents qui entendent mettre leurs enfants dans un tel système privé paient deux fois, une fois l’impôt et une seconde fois l’écolage, est un bon argument. Mais alors, il doit être généralisé: ceux qui n’ont pas eux-mêmes d’enfants, pourquoi dès lors ne demanderaient-ils pas un chèque que l’Etat leur donnerait afin de poursuivre leur formation continue? On peut à l’infini saucissonner cet argument en l’appliquant à d’autres domaines (ceux qui n’ont pas de voiture, etc.) et on ruine le principe même de l’impôt ».
Article du Temps
http://www.letemps.ch/template/opinions.asp?page=6&articl[…]
Sur le Café, le cheque scolaire ne paye pas
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/09/01092[…]