Interview de Rémi Boyer
Jean-Baptiste Carpentier, Recteur de Rennes, nous décrit son parcours très diversifié au sein de l’Education nationale
1. Pouvez-vous me retracer précisément les étapes de votre parcours professionnel depuis la fin de vos études jusqu’à votre activité actuelle ?
Elève d’une école normale d’instituteurs, Jean-Baptiste Carpentier obtient après son baccalauréat une bourse de continuation d’études, laquelle lui permet de préparer l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud en lettres au lycée Poincaré de Nancy. A la fin de ses études, après avoir obtenu son agrégation, il effectue son service national – très important pour lui, nous verrons pourquoi dans l’interview – puis réalise un passage d’un an en cabinet ministériel, avant d’enseigner sa discipline de compétence en 1975 dans un Lycée de Jeunes Filles durant un semestre, avec deux classes de Première et une classe de Seconde en responsabilité.
L’année suivante, il accède à l’université par un poste d’assistant. Il ne lui faut que cinq ans pour grimper tous les échelons : maître-assistant en 1978, maître de conférences, professeur d’université, vice-président d’université.
Jean-Baptiste Carpentier a opté pour une carrière universitaire car la recherche le passionnait. A la fin des années 70, il prépare une thèse de 3e Cycle au confluent des sciences humaines et sociales, et de la neuropsychologie, avec « l’analyse des parcours oculaires ». Il s’agissait de montrer comment les gens lisent les images fixes, et une grande partie du travail a porté sur la publicité et l’image d’influence. Ensuite, lors de sa thèse d’Etat, Jean-Baptiste Carpentier a étudié la communication politique par l’image.
Devenu professeur d’université, il poursuit ses recherches tout en diversifiant son quotidien avec des responsabilités administratives, avant de mêler l’enseignement, la recherche, et l’administratif. Il fonde à Valenciennes un laboratoire de recherches avec deux collègues, lequel a actuellement un classement de niveau A+, à sa grande satisfaction. Elu dans les instances nationales du Conseil National des Universités –durant 20 ans – et dans les instances de l’université de Valenciennes, il participe activement à la réflexion en ce domaine.
En 1988, il est élu à la Sorbonne et devient directeur adjoint d’une école de communication, le CELSA. En 1995, il accède aux fonctions de direction, où il demeure pendant deux mandats jusqu’en 2004. C’est à ce moment là qu’une nouvelle opportunité se présente : l’institution lui propose de devenir Recteur d’Académie.
Un entretien approfondi permet de cibler l’étendue de ses connaissances du système éducatif, de ses savoirs, savoir-faire et savoir-être, afin d’être sûr qu’il saura rapidement s’adapter à ces fonctions très exigeantes, qui nécessitent de réelles capacités de manager.
Recteur de l’académie de Caen en 2004, il devient Recteur de Rennes en 2006, et c’est à ce titre qu’il a eu la grande gentillesse de nous accorder cette interview, en nous accordant 70 minutes de son temps précieux, en témoigne son emploi du temps chargé, que son témoignage très riche va vous permettre de découvrir.
Notre association regrettait que n’existe pas dans l’Education nationale, comme elle sait le faire pour les élèves, des carrefours des métiers, pour mieux connaître les différentes fonctions administratives. C’est pour cette raison que, durant toute l’année 2008-2009, nos interviews mettront l’accent sur la diversité des métiers au sein de la sphère éducative, afin que les professeurs en aient une meilleure connaissance, puisqu’ils constituent aussi des « secondes carrières ». Cela permettra peut-être, nous l’espérons, de réunir deux univers – enseignants et administratifs – que sépare actuellement un grand fossé.
2. Devenir Recteur a-t-il été un choix, ou une opportunité de carrière, et quelle y est votre activité au quotidien ?
« Ce fut un choix et une opportunité de carrière, après avoir parcouru tous les échelons de l’Education nationale » nous confie Jean-Baptiste Carpentier. « La fonction de Recteur a beaucoup changé depuis 200 ans. Jusqu’à l’époque du Général de Gaulle, c’était un poste très honorifique. Actuellement, c’est réellement un poste de manager, d’économiste, de planificateur, de responsable de l’aménagement du territoire, avec une activité multidimensionnelle, sur un territoire plus ou moins étendu. »
Jean-Baptiste Carpentier effectue de nombreux déplacements dans le cadre de ses fonctions, depuis qu’il est en poste à Rennes. Lorsque nous avons réalisé l’interview, Jean-Baptiste Carpentier revenait de Brest (5h de trajet aller retour) : comme l’arrière de son véhicule est aménagé en espace de travail, lui permettant de travailler avec son ordinateur, d’envoyer des mails ou de téléphoner pendant que son chauffeur conduit, cela lui permet de prendre le temps de lire (documentation articles intéressants, lois et décrets essentiels, etc.) et de répondre à ses multiples sollicitations. Entre la nôtre et l’entretien, il ne s’est déroulé qu’une semaine, et nous le remercions de sa promptitude.
Quel est le quotidien d’un recteur, comment se déroule une journée type ? Un enseignant s’interroge souvent sur le rythme de travail des personnels administratifs, puisqu’il ne connaît, en apparence, que le sien, très flexible, devant élèves.
Jean-Baptiste Carpentier a été très disert sur le sujet :
« Je me lève vers 4h-4h30 pour un départ à 6h lorsque j’effectue un déplacement à l’autre bout de l’académie comme c’était le cas pour Brest, afin d’être sur place vers 8h30-9h. Si c’est en Ille-et-Vilaine, c’est un déplacement plus tranquille. Pour ma part, je suis plutôt « du matin » en terme de rythme biologique de travail. « J’arrive au Rectorat vers 8h 15 pour étudier la revue de presse, prendre connaissance du courrier et signer les parapheurs préparés la veille par mon assistante . »
A 8h30, je fais le point avec mon Directeur de Cabinet sur les choses sensibles qui ont eu lieu la veille dans l’académie. Le Directeur de Cabinet arrive en général tous les matins à 8h pour préparer notre entrevue.
De 9h à 9h30, je réalise avec le Secrétaire Général d’Académie un point général, ainsi qu’avec mon assistante, sur le courrier des élus par exemple, les réunions et commission à venir.
De 9h 30 aux environs de 10h30, avec le directeur de cabinet, je fais le point sur les établissements qui ont connu des problèmes la veille. Le directeur de cabinet est une personne qui occupe un poste clé, car il sert de trait d’union entre le Rectorat et les chefs d’établissements.
Ensuite, il est fréquent que j’effectue des déplacements, l’aménagement du véhicule que j’utilise me permettant de continuer à travailler comme si j’étais – ou presque – dans mon bureau. J’aime à ce moment là m’informer de l’actualité technico-politique, afin de continuer à nourrir ma réflexion.
Lors de mes déplacements, je me rends dans des établissements scolaires, ou je vais à la rencontre d’élus, ou de décideurs économiques. Parfois, je participe à des visites à thème sur la Formation Continue, sur l’apprentissage, ou, comme récemment, sur les relations entre le lycée et l’enseignement supérieur, qui me tiennent particulièrement à cœur, car elles sont d’une grande importance. Il me semble important aussi que les enseignants effectuent des stages en entreprise, pour se frotter aux réalités du terrain.
Lors des visites d’établissements, je regarde ce que l’on a préparé pour que je le voie. Mais je rencontre aussi des élèves, des professeurs dans la salle des profs, et je vais aussi à la rencontre des représentants des différentes catégories de personnels, et j’ai un entretien avec le principal ou le proviseur.
A midi, je déjeune avec un plateau repas. Si j’ai consacré ma matinée à l’enseignement public, je consacre l’après-midi à l’enseignement privé en visitant un autre établissement. Comme plus de la moitié des établissements de l’académie que je dirige sont des établissements du privé, c’est une règle que je m’impose.
Parfois, j’ai une réunion au rectorat, par exemple une visioconférence avec les inspecteurs d’académies DSDEN. Parfois, j’ai des demandes d’audiences de la part d’élus de syndicalistes ou d’autres personnalités qui ont demandé à me rencontrer. Mes journées se terminent vers 19h30-20h ».
Jean-Baptiste Carpentier ajoute : « lorsque je me déplace dans une commune, ma première visite est pour son Maire, avant de me rendre dans l’établissement où je suis attendu, c’est très important pour moi ». « Si un élu, qu’il soit du conseil général ou du conseil régional, demande à me voir, je m’arrange pour lui fixer rapidement un rendez-vous, car eux aussi ont un emploi du temps très contraint. J’ai aussi beaucoup de contacts avec les Préfets, notamment le Préfet de la région Bretagne. »
Jean-Baptiste évoque aussi les imprévus…en général des situations difficiles à résoudre : « un établissement qui brûle », « un accident ». Dans ces cas là, il faut réagir vite, prendre les décisions qui s’imposent très rapidement.
La fonction de Recteur présente ici un point commun avec celle de Préfet : être l’un des plus hauts représentants de l’Etat, c’est être d’une totale disponibilité, d’une grande productivité, avec une grande réactivité et efficacité dans ses décisions. « Les événements prévisibles ou prévus, eux, n’apportent que du positif, comme les bons résultats au baccalauréat, les résultats au concours général etc … »
Globalement, la journée moyenne la plus fréquente d’un Recteur est de 13h de travail, avec une « période de croisière de 12h et une période d’intensité de 14h, ce qui arrive souvent ». Pour cela, Jean-Baptiste Carpentier n’emporte jamais de travail à réaliser en plus chez lui, afin de consacrer le maigre temps qui lui reste à sa famille et à ses rares loisirs personnels.
Le week-end constitue-t-il, comme pour les enseignants, un temps de détente en fin de semaine ?
« Le week-end, j’ai souvent des obligations protocolaires. Les élus sont souvent dans leur circonscription à ce moment là, et je participe à différentes inaugurations. Lorsqu’il y a des manifestations diverses dans les établissements, j’essaie d’y participer si j’y suis invité. Je ne manque jamais les cérémonies à caractère patriotique, comme les commémorations, car c’est très important pour moi, comme ça l’est dans le cadre de l’enseignement qu’un professeur d’histoire dispense à ses élèves par exemple ».
Un recteur prend-il des vacances de temps en temps ?
« Pour prendre des vacances, je dois demander l’autorisation du Ministre de l’Education nationale. Cette année, j’ai obtenu une semaine en juillet et deux semaines en août. Cependant, si une catastrophe a eu lieu dans mon académie, j’interromprais aussitôt mes congés pour me rendre sur place et faire face à cet imprévu. Dans le cadre de l’année scolaire, j’essaie de prévoir quelques jours à la Toussaint, quelques jours à Noël – l’idéal étant de pouvoir m’arrêter entre Noël et le Jour de l’An – quelques jours aux vacances de Printemps, de Pâques…mais c’est surtout fonction de mes collaborateurs, de mes permanences, et surtout des nombreux imprévus qui jalonnent l’année scolaire. Dès que la rentrée est faite, je ne sais jamais si je ne vais pas devoir rentrer en urgence à l’occasion de mes rares congés. »
Quel effectif Jean-Baptiste Carpentier gère-t-il dans l’académie de Rennes ?
« 56 800 personnes, incluant les personnels administratifs du rectorat, les enseignants des différents établissements et leur direction, les inspections académiques (IA), les centres d’information et d’orientation (CIO),. Je préside aussi le conseil d’administration du CROUS. L’académie compte 47 700 enseignants ».
3. Quelles compétences, acquises et mises en oeuvre au début de votre carrière dans l’enseignement, vous sont utiles dans vos fonctions actuelles ?
« Aucune ! ». Jean-Baptiste Carpentier indique néanmoins que « le fait de savoir convenablement écrire la langue française » constitue la seule compétence qu’il ait pu transférer.
Jean-Baptiste Carpentier rejoint notre opinion lorsqu’il précise : « le problème des enseignants aujourd’hui, et c’est un grand drame, c’est d’être enfermés dans leur discipline. Sans généraliser toutefois, il y a deux cas d’enseignants :
– ceux qui ne voient le monde que par leur discipline d’enseignement,
– ceux qui s’ouvrent sur leur établissement, avec une vie sociale, des projets, des partenariats, des actions innovantes… ».
Jean-Baptiste Carpentier insiste sur un aspect très important dans le cadre des secondes carrières auxquelles sont susceptibles de candidater les enseignants : « depuis quelques années, l’administration s’est modernisée avec la Loi organique portant loi de finances– et toute l’administration raisonne désormais avec ce dispositif. Peu d’enseignants connaissent réellement les modalités de leur gestion budgétaire et administrative. Il existe une grande coupure entre l’administratif et le pédagogique dans notre institution. Pour qu’un enseignant évolue vers un poste administratif au sein d’un rectorat, par exemple, mais aussi vers tout poste administratif, il faut absolument qu’il s’informe de ce qu’est la société, ce qu’est le tissu socio-économique, en regardant autour de lui dans quel contexte et à quel rythme les autres travaillent. »
Rappelons ici que la LOLF est déclinée en missions, elles-mêmes découpées en programmes (les BOP ou Budgets Opérationnels de Programme). Pour mieux comprendre ce qu’est la LOLF, nous vous recommandons de consulter les pages du site du Ministère des Finances (MINEFI) : http://www.minefi.gouv.fr/lolf/5_1.htm et http://www.minefi.gouv.fr/lolf/4clics/clic1.htm
4. Pouvez-vous nous exposer la diversité des compétences que vous avez acquises dans chacune des fonctions que vous avez occupées ?
« Au départ, j’ai mené plusieurs activités de front : enseignement, recherche, administration. J’ai ainsi pu élargir mon horizon. Après l’agrégation de Lettres, j’ai suivi des enseignements à Science Po pour étoffer ma culture générale, notamment en économie et finances, et pour rencontrer des gens de différents horizons, qui n’avaient pas la prétention de tout savoir ». Jean-Baptiste Carpentier est d’accord avec nous sur le fait que, comme le dit Einstein : « l’imagination est plus importante que le savoir ». Le savoir est certes important, mais il ne suffit pas, puisque l’imagination permet de le nourrir et de le renouveler, puisque c’est grâce à l’imagination que le savoir des hommes évolue au fil du temps.
Dans ses compétences, Jean-Baptiste Carpentier évoque sa compréhension de la manière dont fonctionne le monde « réel ». Il a approfondi notamment ses connaissances en économie et sur le mode de fonctionnement et de gestion d’une entreprise. Lorsqu’il était vice-président de l’université de Valenciennes, il a monté des cursus mixtes, orientés vers l’emploi, avec à cœur une démarche prospective, afin d’anticiper sur les débouchés, les besoins des entreprises en nouvelles compétences. « Un actif a besoin de compétences pour évoluer dans sa carrière, et son parcours de formation lui apporte différents savoir-faire et savoirs lui permettant d’être employable ailleurs. Par exemple, lorsque au début des années 80 les techniciens des chaînes de télévision de FR3 ont dû passer du montage de films au montage de vidéo, il leur a fallu faire de la formation continue pour se reconvertir et acquérir des capacités nouvelles pour survivre dans leur emploi. Soit on s’adapte, soit on disparaît, c’est la loi dictée par l’économie. Il n’y a pas de place pour les gens qui se refusent à toute transformation, toute évolution. »
Un Rectorat peut-il se comparer à une entreprise ? Jean-Baptiste Carpentier indique que « oui et non : il y a des points communs… Dans le cadre de la LOLF a été introduit le concept de performance, qui, au niveau d’un enseignant, consiste à mener ses élèves vers la réussite. » Jean-Baptiste Carpentier ajoute : « je rencontre des profs qui veulent la réussite de leurs élèves, même si subsiste chez eux un certain conservatisme. J’ai côtoyé des gens qui savent innover, des professeurs extraordinaires. L’Education nationale a besoin de ces compétences multiples pour mener sa révolution culturelle. »
Jean-Baptiste Carpentier insiste sur d’autres compétences qui lui permettent de manager son académie : « la gestion, la Gestion des Ressources Humaines – gérer les moyens matériels et gérer les hommes sont deux domaines bien distincts – l’économie et la finance, fondamentales ».
5. Comment avez-vous vécu votre évolution de carrière, entre des fonctions enseignantes et des responsabilités administratives de plus en plus importantes ?
« Très bien. Mes collègues l’ont moins bien ressentie. Pour ma part, j’ai toujours souffert de voir des profs refuser de prendre des responsabilités administratives. C’est souvent difficile de convaincre des enseignants que les taches administratives nécessitent aussi de la créativité, qu’elles sont utiles au bon développement de l’institution, qu’elles permettent de faire évoluer les établissements dans le bon sens, pour favoriser la réussite des élèves qui nous sont confiés. Administrer, c’est cela, aussi. »
6. Lorsque vous avez quitté l’enseignement, comment vos anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?
« Quand j’ai quitté le lycée en 1976 pour l’université, le regard des collègues n’était pas toujours bienveillant. A l’époque, c’était relativement rare de pouvoir le faire, c’était vécu comme une promotion pour celui qui partait et comme une stagnation pour ceux qui restaient. J’ai ressenti une certaine envie de leur part. »
7. Avez-vous eu des regrets de quitter l’enseignement, et quel regard lui portez-vous aujourd’hui ?
«C’est une question difficile : oui, j’ai eu des regrets. Quand on enseigne, on n’est pas toujours bon. Quand je faisais cours face à un amphi, quand je sentais que mon cours était très bon, que le courant passait, que les étudiants notaient tout ce que je disais, j’avais le sentiment de leur avoir été utile. Même si je ne n’ai pas vécu cette situation à chacun de mes cours, je regrette l’enseignement pour cela. Depuis 5 ans, à l’exception d’un seul cours à Saint-Cyr Coëtquidan, j’ai arrêté l’enseignement ».
« J’ai un regard de tristesse pour les collègues qui n’ont pas compris qu’ils ne disposent plus du monopole du savoir. Aujourd’hui, avec les TICE, Internet, il faut adapter les enseignements, utiliser les outils et les techniques d’aujourd’hui ; en réalisant des synthèses pour ses élèves, face au débordement d’informations que nous connaissons en les guidant dans l’analyse, on leur est utile et ils le savent».
8. Que pensez-vous de vos conditions de travail actuelles, par rapport à celles de votre début de carrière ?
« Ce n’est pas comparable. J’étais au début de ma carrière en vacances mais je ne le savais pas. Je menais mes recherches, je faisais des stages à l’usine, j’avais beaucoup de temps. Aujourd’hui, j’ai peu de temps libre. Mon métier est exaltant, en raison de la responsabilité immense, de tout ce qu’il y a à gérer. Je gère mes Budgets opérationnels de programmes (BOP) : enseignement scolaire, vie de l’élève, soutien, enseignement privé, enseignement supérieur. Il n’y a pas de salut pour un enseignant qui souhaite travailler dans l’administration, sur un poste de non enseignant, s’il ne connaît pas la LOLF ou l’esprit dans lequel elle a été conçue ».
Jean-Baptiste Carpentier insiste, pour terminer, que la clé d’une démarche prospective, c’est l’adaptabilité des compétences de l’individu dans la durée. C’est aussi synonyme de la performance d’une organisation apprenante.
9. Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite enseigner, que ce soit en première ou en seconde carrière ?
« Pour devenir vacher…il faut aimer les vaches » (rires). « Donc, pour enseigner, il faut aimer les enfants, les adolescents, les étudiants, avoir envie de leur apprendre quelque chose, et surtout ne pas faire ça seulement pour gagner sa croûte. »
Jean-Baptiste Carpentier rejoint notre opinion lorsqu’il ajoute : « il faut se renseigner sur les inconvénients du métier de professeur avant d’embrasser ce métier, car on doit y faire ses preuves constamment. Le métier de professeur n’est pas sans risques, c’est un métier où il faut soigner son langage pour être respecté, pour être respectable. Etre bien habillé face à ses élèves, par exemple, fait partie du respect que l’on exige de ses élèves : il faut avoir une attitude exemplaire, et en même temps aimer la relation pédagogique qui permet aux élèves de grandir en maturité. Il faut avoir un regard critique sur soi-même. Les relations avec les jeunes ne sont pas toujours faciles à vivre, c’est même parfois difficile. »
Pour une seconde carrière, Jean-Baptiste Carpentier confie : « l’enseignement, ce n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut aller faire un peu de tourisme dans les classes avant de s’engager, observer la manière dont ça se passe. Je suis prêt dans mon académie à faciliter ce temps d’observation pour la personne qui le souhaiterait avant de décider ou pas de s’engager dans l’enseignement ».
10. Quelles recommandations donneriez-vous à une personne qui souhaite quitter l’enseignement face à des élèves, quel que soit son projet ?
« Je lui suggèrerais de se poser des questions : pourquoi veut-elle quitter l’enseignement ? Parce-qu’elle se sent vieille et fatiguée ? Parce-qu’elle a des problèmes de santé ? Parce-qu’elle ne supporte plus ses élèves ? Se sent-elle usée ? En a-t-elle assez ? Je lui dirais : attention, connaissez-vous bien le monde extérieur ? La vraie vie ? Chez les autres ? Rêvez-vous la vie que vivent les autres et qui vous conduit à changer d’air ? Vous sentez-vous faite pour cela ? C’est une grande réflexion à mener avant de sauter le pas. J’ai le souvenir d’une collègue à qui nous avons proposé un détachement d’un an à la SNECMA. Elle y est finalement restée 5 ans, car elle a éprouvé de la curiosité pour ce nouveau poste, elle a réussi rapidement à s’y adapter ».
Dans l’académie de Rennes, des enseignants ont pu en effet partir en détachement dans une entreprise : c’est l’une des rares académies en France à proposer de telles expériences extérieures à la sphère éducative, et à optimiser les compétences des détachés à leur retour : « nous fonctionnons par bassins d’emplois : quand un professeur revient de détachement, il est reversé là où ses compétences sont utiles, car il a acquis de nouvelles compétences utiles à l’institution. Rennes dispose d’une cellule conseil et carrières pour accompagner les reconversions ».
C’est exactement ce que nous pensons dans l’association Aidoprofs : il est important pour l’institution de valoriser les compétences acquises par les enseignants qui ont fait l’effort de diversifier leur parcours de carrière – en perdant leur poste en établissement et leurs points de barème de mutation, et leurs vacances scolaires – en occupant d’autres fonctions que celles pour lesquelles ils ont été formés. En effet, c’est à travers l’acquisition de compétences par les uns que l’on forme les autres, afin de renforcer la professionnalisation de tous.
Comme le souligne Jean-Baptiste Carpentier, « il faut avoir un projet pour obtenir ce type de détachement, et, au retour, accepter de transmettre aux autres ». Gageons que sa vision de l’utilisation des compétences par les professeurs partis en détachement fera boule de neige auprès des autres académies dans les années à venir, en modernisant les pratiques. Ce serait valoriser ces parcours de carrière, même s’ils diffèrent du concours interne classique pour aller occuper un emploi d’inspecteur ou de chef d’établissement. La Loi Woerth, soumise au vote de l’Assemblée nationale fin juin 2008, nous semble aller dans cette voie, puisqu’au retour d’un détachement, l’éventuel avantage financier restera acquis – dans les EPA, la règle est de rémunérer l’enseignant deux échelons de plus puisqu’il occupe un poste administratif, avec des congés réduits de 6 à 9 semaines et des horaires dépassant souvent les 40h -.
11. Après avoir consulté son site Internet, que vous inspire la création d’une association comme AIDOPROFS ?
Jean-Baptiste Carpentier est très direct : « C’est indispensable, et, surtout, il ne faut pas l’institutionnaliser. Ce regard extérieur que vous avez est essentiel, car associatif. »
Nous tenons chaleureusement à remercier Monsieur le Recteur de Rennes pour nous avoir accordé, de 19h20 à 20h30, durant une partie de son trajet entre Brest et Rennes, cette interview, la première à ce niveau de compétences parmi toutes celles que nous avons menées depuis décembre 2006.
Depuis notre entretien, Jean-Baptiste Carpentier a encore progressé dans son évolution professionnelle, puisqu’il a été nommé Conseiller du Premier Ministre (JORF du 11 septembre), en charge de l’Education. Nous lui souhaitons bonne route à ce haut niveau de responsabilité, en espérant que l’étendue de ses missions lui laissera le temps de s’intéresser à une meilleure prise en compte, au sein du système éducatif, de l’importance des secondes carrières pour les enseignants, dans ou en-dehors de l’enseignement.