Par François Jarraud
Elève au lycée Louis Girard de Malakoff (92) Taoufik a obtenu son BEP mécanique en 2006 et une partie de ses épreuves du bac en 2008. Car en avril, il a été arrêté par la police puis expulsé vers le Maroc. Des enseignants, des camarades se mobilisent, à l’image d’Elise Brultey, son professeur de Lettres Histoire. Elle a bien voulu répondre à quelques questions du Café sur son engagement et le lien entre cette action et son enseignement.
Comment expliquez vous l’expulsion et la condamnation de Taoufik ?
La condamnation s’explique par, en effet, une loi transgressée, quant à l’attitude de Taoufik avec les passants; cependant, ce qui a je pense exacerbé le tout est sans doute l’arrestation musclée de la Bac. Ensuite, il a payé sa peine, lourdement, en servant d’exemple, selon les mots du juge; on pourrait penser à présent qu’on ne revient plus sur ce sujet mais ce ne fut pas le cas de la juge lors du passage au tribunal d’Evry pour reconduite à la frontière qui a déclaré « monsieur El Madroussi est un danger pour les Français ».
Quant à l’expulsion, elle est la solution à une politique globale du gouvernement quant aux quotas: la condamnation a fait ressortir la situation administrative de Taoufik, et Fleury Mérogis est un vivier pour la préfecture de l’Essonne pour détecter très vite les personnes irrégulières et en situation fragile. Mais on y voit surtout un refus de l’administration d’aller au delà des faits, à savoir le défaut de tampon sur le récépissé de carte de séjour, et de ne pas prendre en considération la situation sociale et scolaire de Taoufik. La communauté scolaire, la même depuis 4 ans autour de Taoufik, n’a, à aucun moment, été consultée.
Rappelons également que Taoufik était inscrit pour passer le reste de ses épreuves de bac en septembre 2008, diplôme qu’il était en bonne voie d’obtenir puisqu’il justifiait déjà 14.25 coeff 8 en épreuve professionnelle.
De nombreux professeurs militent contre ces expulsions. Comment expliquer que les professeurs se retrouvent ainsi en première ligne ?
Ce sont les professeurs qui sont le plus en contact avec les jeunes au quotidien. Avec les expulsions des jeunes scolarisés, on a pu mettre des visages et des noms sur une notion très abstraite au départ « le clandestin », souvent associée à la délinquance. Les professeurs ont un contact chaque jour renouvelé avec ces élèves, connaissent les failles mais surtout les atouts de ces élèves qui ne sont pas des clandestins, mais avant tout des élèves au milieu des autres élèves, dans un groupe classe. Les professeurs constituent le dernier rempart face à une politique qui refuse de prendre en compte les situations. Les élèves, comme c’est le cas de Taoufik, peuvent se retrouver privés du droit à l’éducation , droit fondamental inscrit dans le charte européenne des droits de l’homme, pour un défaut de tampon sur un papier, alors que cela fait plus de 6 ans qu’il tamponne ce papier tous les 3 mois.
L’expulsion a- t-elle des retombées sur le climat dans votre établissement ?
Les retombées sont diverses: colère et révolte pour un groupe, soutien écrit pour la quasi totalité des membres adultes du lycée, indifférence pour un tout petit nombre qui ne se sent pas concerné. Le climat n’est pas négatif. Comme souvent, certains proposent et organisent des actions, tandis que les autres, plus réservés, suivent à leur manière; les mots qui reviennent pour évoquer Taoufik ne sont jamais que des mots positifs, de soutien et de compassion.
L’expulsion a forcément des retombées puisqu’elle rythme quand même la vie du lycée, les récréations ou les pause déjeuner: c’est en effet l’occasion de discuter de lui, de proposer des choses, de faire signer; chaque jour est marqué très fortement par Taoufik. Les élèves sont plutôt eux « groggy », ils ne comprennent pas comment cela peut arriver, ils posent beaucoup de questions, et une certaine fatalité revient chez certains d’entre eux.
Intervient-elle dans vos cours ?
Oui, cela intervient dans les cours car les élèves posent des questions quant aux affiches qu’ils ont vues dans le lycée. Il faut informer les élèves de ce qui se passe pour leur camarade, répondre à leurs questions, à leurs inquiétudes et envisager avec eux les actions qu’ils souhaitent mettre en place. La majorité des élèves se sent concernée, surtout évidemment ceux qui ont connu Taoufik, et qui savent que c’est un camarade sympa, bien dans son orientation et agréable.
Et puis cela peut faire également l’objet d’un cours d’ECJS, avec recherche et débats.Cela fera également l’objet d’une intervention de jeunes avocats avec les classes de 1ère bac pro dans le cadre de plaidoiries pour l’anniversaire du 60ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Je pense qu’il est important que les classes soient informées car on ne peut nier qu’une chaise demeure vide, alors que Taoufik ne rêve que de revenir s’asseoir dessus pour étudier. et cela est possible puisque sa classe n’est pas complète.
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