Par Virginie Mège
Qui ne connaît pas encore la série télévisée « Dr House » ? Remportant un énorme succès dans le monde entier, elle domine l’audience et captive régulièrement pas moins de 7 millions de téléspectateurs français lors de sa diffusion. Nos élèves en particulier adorent ce personnage brillant, solitaire et cynique qui a l’art de résoudre les énigmes médicales comme on mène une enquête criminelle. Mais ceux-ci n’ont certainement pas remarqué à quel point ce docteur House ressemble à son grand-père spirituel : Sherlock Holmes. Pour les enseignants, il y a là matière à donner un souffle nouveau aux séquences sur le genre policier. Découverte de la notion d’intertextualité et de la référence originale par la lecture des récits de Conan Doyle, rédactions variées, réflexion sur la langue, exploration du support filmique… les exploitations en cours de français ne manquent pas et vont jusqu’à une amélioration de la méthodologie employée par les élèves.
Dr House, petit-fils spirituel de Sherlock Holmes.
Le héros de la série télévisée est directement inspiré du personnage créé par Conan Doyle. Les deux hommes portent en effet des noms aux sonorités voisines. Et si « house » signifie « maison », « holmes » s’approche de « home » qu’on peut traduire également par « maison, foyer ». L’ami du Dr House est le Docteur Wilson alors que celui de Sherlock Holmes est le Docteur Watson. De plus, House occupe un appartement n° 221 B qui n’est pas sans rappeler le 221 B à Baker Street où réside Holmes. Mieux encore, les héros sont tous deux dotés d’une intelligence hors du commun, font preuve d’arrogance et ne respectent aucune règle. Grands et minces, ils sont tous deux dépendants de drogues, tous deux musiciens à leurs heures perdues, etc. La liste des points communs est longue et n’est pas le fruit du hasard. David Shore, le créateur de la série, revendique lui-même cette filiation spirituelle. Certes, House est médecin et n’est pas détective. Mais il ne faut pas oublier que Conan Doyle était lui-même médecin et s’est inspiré de l’un de ses professeurs à la faculté pour créer son personnage principal. Il s’agit donc peut-être d’un juste retour aux sources. En tout cas, il y a là matière à des études en classe avec les élèves.
Lier hier et aujourd’hui.
Afin que les élèves perçoivent cette ressemblance, il faut auparavant qu’ils cernent la personnalité de Sherlock Holmes. Le début du Chien des Baskerville s’y prête bien. Dans l’incipit, Holmes laisse en effet Watson s’essayer à sa méthode et l’encourage à imaginer le profil d’un visiteur inconnu à partir de la canne que ce dernier a laissée. Sherlock Holmes ose alors dire à Watson qu’il n’est pas lumineux mais constitue un bon conducteur de lumière et s’amuse même franchement à jouer de sa crédulité en identifiant avec une précision improbable le type de chien que possède le propriétaire de la canne. Facile… puisque le détective aperçoit à ce moment-là par la fenêtre ledit chien et son maître ! Les élèves découvrent donc le caractère de Sherlock Holmes et sont en mesure de rédiger son portrait moral. En les aidant un peu, ils arrivent ensuite à faire aisément un parallèle avec un autre personnage brillant et arrogant qu’ils connaissent bien : le docteur House.
L’intérêt de ce parallèle est multiple. D’abord les élèves réalisent que ce qu’ils considèrent comme une série originale contemporaine est en vérité la reprise d’un modèle créé plus d’un siècle auparavant. Ils découvrent ainsi ce qu’est l’intertextualité, même si selon le niveau de classe la notion n’est pas toujours nommée. Aujourd’hui rejoint hier, l’exemple le plus concret étant peut-être la canne, sorte d’objet relais traversant le temps, souvent observée par Holmes dans ses aventures et sans cesse utilisée par House. D’autre part, plutôt que d’appréhender en soupirant les aventures de Sherlock Holmes, les élèves s’y plongent avec enthousiasme. Certains projettent même leur engouement pour Dr House sur Sherlock Holmes et après l’étude de l’incipit du Chien des Baskerville, courent acheter le roman !
Observer, raisonner et écrire.
Cette approche offre aussi l’avantage, côté professeur, d’enrichir la palette des exercices de rédaction à proposer. Au-delà d’un portrait de Sherlock Holmes, d’une suite de texte ou de la création d’une histoire originale, les élèves peuvent en effet aussi rédiger une étude comparative et argumentée sur Holmes et House. Ceci les oblige à utiliser le discours argumentatif, à réviser les liens logiques organisateurs du discours et à exprimer opposition et rapprochement. On peut même imaginer une rencontre entre les deux personnages et une confrontation dialoguée. En tous les cas, les élèves se retrouvent placés eux-mêmes dans le rôle de l’enquêteur. Ils relèvent des indices, en tirent des déductions puis les énoncent le plus clairement possible.
Comme le détective utilise une loupe et le médecin du matériel sophistiqué, l’élève a aussi recours à des outils adaptés, c’est-à-dire à un vocabulaire précis. Un travail sur les verbes liés à l’observation et à la déduction peut ici facilement s’insérer, de même que des révisions sur les familles de mots et l’histoire de la langue, par exemple autour du mot « culpa ». En appliquant une méthode rigoureuse, l’élève progresse également en lecture et en écriture, étant plus attentif aux « indices » du code écrit (marques du féminin, du pluriel, accords sujet – verbe, etc). Il s’applique par ailleurs à définir peu à peu les caractéristiques du genre policier.
De l’anglais au français : le travail de traduction.
Une étude sur une aventure de Sherlock Holmes permet en outre un travail sur la traduction, le choix des mots et le style d’écriture. L’incipit du Chien des Baskerville peut en effet être donné dans une traduction française, ensuite dans le texte original puis distribué dans deux autres versions françaises. Les élèves sont ainsi sensibilisés au travail du traducteur. Cette réflexion enrichit leur démarche de scripteur et leur fait mieux comprendre les enjeux de la rédaction. L’idéal est bien entendu de travailler en collaboration étroite avec le professeur d’anglais qui pourra faire étudier l’incipit original de Conan Doyle, faire critiquer les traductions françaises proposées et, pour continuer le parallèle entre Holmes et House, pourra aussi soumettre à la classe une interview en anglais de David Shore.
Etude de l’image mobile.
Pour prolonger l’étude en oeuvre intégrale du Chien des Baskerville, on peut aussi présenter aux élèves une adaptation filmée. Ils mesurent alors les différences existantes entre le texte et le film et sont capables de justifier les choix du réalisateur dans un compte-rendu oral ou écrit. L’apprentissage du vocabulaire de l’image (plans, cadres, vues…) est aussi facile à intégrer. La classe constate également l’évolution des procédés filmiques utilisés entre cette adaptation parfois désuète et un épisode moderne de Dr House.
Mieux comprendre les parodies.
Pour clore la séquence, l’enseignant soumet enfin aux élèves une parodie, par exemple un extrait du Squelette disparu (Pierre Cami, 1992) qui a fait l’objet d’un sujet de Brevet en 2005. Ce texte de théâtre met en scène un certain Loufock Holmès qui se suspend par les pieds au plafond pour se livrer à des déductions. Les élèves, aguerris grâce à l’étude comparative Holmes – House, n’ont alors aucune peine à repérer la parodie, à l’expliquer de façon argumentée et à identifier les procédés comiques. Pour le travail de réécriture, ils sont aussi plus performants. La séquence les a peut-être aidés à être plus rigoureux.
Pour approfondir le sujet…
A propos de Dr House et de Sherlock Holmes
Sites sur la série télévisée Dr House
http://www.house.eternalsunshine.info/
http://www.drhouse.series-france.com/
Etudes comparatives entre Dr House et Sherlock Holmes
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dr_House
http://www.serieslive.com/fiche_serie-serie.php?n=386
Interview de David Shore, créateur de la série Dr House
http://www.housemd-guide.com/holmesian.php
Tout sur Conan Doyle et Sherlock Holmes
Mises en place pédagogiques sur Sherlock Holmes
Projet pédagogique d’écriture d’incipits de nouvelles, en classe de 5ème
http://www2c.ac-lille.fr/jmoulin-standre/sherlock-holmes.htm
Séquence sur le Chien des Baskerville, en classe de 4ème
http://www.adapt.snes.edu/echanges/francais/college/baskervi.html
Séquence sur l’argumentation à partir d’un extrait de S. Holmes, en classe de 3ème
http://www.lettres.ac-aix-marseille.fr/college/lectecr/argumentation.html