Par Adeline Sontot
Palme d’or… le 7ème art au secours de l’école républicaine
La 61ème palme d’or a été attribuée au film de Laurent Cantet, Entre les murs. Si les extraits et la bande-annonce qui circulent sur internet sont pleins de promesses, la récupération politique de ce film a de quoi agacer. Dans Libération, François Dubet salue un récit qui est « juste » et « n’est pas dans l’imprécation ». Le Sgen Cfdt salue lui aussi un film qui est « un hommage aux enseignants qui font un métier très exigeant… et aux élèves… dynamiques et attachants. » Ces lauriers tombent à point nommé, les politiques s’en frottent les mains. Notre ministre souligne ce « très bel hommage rendu à tous les enseignants de France ». Après tout, l’occasion est offerte sur un plateau d’argent et les lauriers risquent moins de grever le budget de l’état qu’une revalorisation des salaires enseignants.
Signalons au passage que ce film adapte le roman du même titre, issu de la plume de François Bégaudeau (ancien professeur de français) en 2006, primé à sa sortie par France Culture et Télérama. Les mots sonnent juste mais les images sont plus éloquentes pour le grand public. L’auteur joue d’ailleurs le rôle du professeur qu’il fut. Le réalisateur a cherché à mettre en image la vie d’une classe ordinaire d’aujourd’hui, sans langue de bois, sans filtre politiquement correct. Un jeune professeur de français tache d’enseigner à ses élèves une langue différente de leur « tchatche », du parler oral et verlanisé.
Ce prix semble réactiver toutes les questions sensibles que l’on peut se poser sur les profs, les élèves, l’enseignement de la langue à des adolescents nourris de verlan et de langage sms. Le cinéaste et l’auteur cherchent à poser les bases de la nouvelle école républicaine : moins de théories et plus de pratique, des textes moins éloignés du quotidien des élèves, un dialogue direct et parfois cru entre le professeur et les élèves. Certaines scènes cherchent à ressembler à un « moment d’un cours de français où ça commence un petit peu à partir dans tous les sens ». Les collègues situent vite l’ambiance. Le langage est au cœur de la problématique. Les élèves-acteurs devaient improviser entre des balises de scénario afin de montrer au public la nouvelle langue des jeunes, et la difficulté d’enseigner une langue académique aujourd’hui.
L’enseignement de la langue
L’oralité est au centre du débat, « sujet et outil du film ». Les enseignants de Lettres sont aujourd’hui confrontés au fossé qui sépare le contenu de leur cours et le contexte dans lequel ils enseignent. Le niveau de langue a globalement baissé, certains élèves issus de familles étrangères sont les seuls à maîtriser la langue à la maison, le parleur jeune et les incorrections envahissent les médias, portables et internet finissent de digérer notre orthographe et notre lexique. Les élèves ne se sentent pas concernés si l’enseignement n’apporte qu’un savoir sur comment lire les textes littéraires ; c’est la connaissance de l’humain, un meilleur savoir sur l’être humain qui peut les interpeller. On fait comme si l’œuvre ne parlait plus du monde. Force est de constater que les sujets du bac depuis quelques années ne permettent pratiquement plus de s’évader de l’analyse textuelle. L’enseignant du secondaire doit accomplir une tâche difficile. A l’université, il engrange des savoirs (savants) sur la linguistique, la sociologie, la morphosyntaxe, la connaissance des différents courants. Dans sa classe, il doit convertir ce savoir universitaire en un enseignement dont la fonction essentielle est la formation de l’humain. Or, les lieux sont peu nombreux où il peut faire cette conversion. Quand on se retrouve seul et démuni, la tentation est facile et rassurante de se protéger derrière un arsenal de technique et de jargon.
Ce film illustrerait la thèse selon laquelle la pédagogie prévaut sur l’érudition. Peut-on imaginer qu’un étudiant bardé d’un master en linguistique serait plus efficace qu’un professeur actuel pour transmettre les valeurs du subjonctif imparfait à des élèves de classe populaire ? Par ailleurs, le gouvernement souhaite faire l’économie de la partie professionnelle de la formation des enseignants. L’idée serait de retarder le recrutement au niveau master 2, c’est-à-dire à bac+5, et de supprimer l’année de stage pratique durant laquelle les stagiaires sont en mi-service et à plein traitement. Il ne faudrait pas oublier que la didactique est la discipline qui assure la transposition des savoirs de l’université vers le secondaire. La didactique de la littérature et du français consiste à lutter contre cet éparpillement. Elle n’y parviendra qu’au prix d’un filtre apposé sur les savoirs à destination des adolescents. Cela éviterait qu’un collégien se voie interrogé sur la progression à thème linéaire ou dérivé dans une phrase. Faute de quoi l’enseignement du français se résumerait à » une utilisation confuse et refroidie de quelques notions de linguistique générale empruntées à des écrits de Jakobson vieux de 30 ans « , comme l’écrivait Henri Mitterand en 1992. Sans pratique du terrain, comment un néo-titulaire peut-il imaginer son parcours et les difficultés auxquelles il devra faire face ? Le projet a de quoi inquiéter. Le fossé est parfois immense entre le savoir universitaire et le niveau des élèves. La transmission des savoirs repose autant, voire plus, sur des compétences pédagogiques qu’encyclopédiques. Les questions se multiplient mais la réforme est déjà en cours. L’allongement de la formation des enseignants entrera en vigueur en 2010.
Coup de projecteur : le cinéma au secours des élèves
C’est l’idée du chef d’établissement d’un lycée de Chelles qui a récompensé 60 élèves méritants de leur assiduité en leur offrant une place de cinéma ! Si l’école récompense ses bons élèves, la médiocrité serait-elle en voie de normalisation ?
Bibliographie
A voir
La bande-annonce du film Entre les murs :
http://www.20minutes.fr/article/232741/Cannes-La-palme-d-or-pour-Entre-les-murs.php
Le site très riche de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui s’intéresse particulièrement au parler des jeunes : http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/
A lire
Un article de Marcelin Hamon sur l’enseignement de la littérature, qui explique la latitude et les capacités d’adaptation que doivent avoir les professeurs de littérature :
http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=178
Des extraits du journal de bord tenu par François Bégaudeau, publié de septembre 2006 à juin 2007 dans les colonnes du Monde de l’éducation : http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2008/05/27/le-making-of-d-entre-les-murs-par-francois-begaudeau_1050158_766360.html#ens_id=995481
Une interview de l’auteur :
Un article de Jean-François Dortier sur le « parler jeune » paru dans la revue Science humaine, avril 2005 :
http://www.scienceshumaines.com/index.php?id_article=4808&lg=fr
Thème de l’école au cinéma
Le cercle des poètes disparus, 1989, Peter Weir
Ecrire pour exister, 2006, réal. Richard Lagravenese.
Half Nelson, 2006, réal. Ryan Fleck
Les Choristes, 2003, réal. Christophe Barratier
Elephant, 2003, Gus Van Sant
Etre et avoir, 2002, Nicolas Philibert
Le Prof, 1999, Alexandre Jardin (avec Jean-Hugues Anglade et Yvan Attal)
P.R.O.F.S., 1985, Patrick Schulmann
Le maître d’école, 1981, Claude Berri
L’école dans les livres, florilège
Madame Bovary, Flaubert
De si braves garçons, Modiano
Page d’écriture, Prévert
Chagrin d’école, Pennac
Mes écoles, Bled
L’école en poésie, florilège
Le cancre de Prévert
Mon cartable de Pierre Gamarra
L’enfant qui battait la campagne de Claude Roy