Par Rémi Boyer, de l’association Aidoprofs
Quel a été le parcours de carrière de Sophia ?
« J’avais poursuivi des études de droit afin de devenir juge pour enfants, mais les examens en ont décidé autrement, et je me suis orientée dans la formation pour adultes en travaillant dans un Groupement d’établissements (GRETA) ».
Les premiers pas dans un lycée professionnel pour enseigner le Vente s’effectuent sur les conseils d’une des amies, et Sophia devient Maîtresse Auxiliaire (M.A). La même amie l’incite à passer un concours pour assurer à sa situation une meilleure stabilité, et Sophia obtient dans les premiers rangs le CAPLP2 de Vente, puis enseigne en lycée professionnel pendant 17 ans. Elle poursuit sa formation continue grâce à la MAFPEN, participe à la rédaction d’ouvrages pédagogiques, mais lors du ministère de Luc Ferry à l’Education nationale se produit un déclic : elle décide de changer de carrière, et commence des études de psychologie, dont elle voit en parallèle une application directe dans son enseignement pour mieux travailler avec les adolescents en difficulté. Sans doute la psychologie est-elle un enseignement à développer dans la formation des professeurs, puisque notre métier intègre pleinement cette dimension humaine de la compréhension et de l’accueil de l’autre dans toute sa diversité.
Sophia réalise cette formation grâce au Centre nationale d’enseignement à distance (CNED), dont les techniques d’enseignement à distance se sont beaucoup perfectionnées, permettant de lier aisément une activité à temps plein tout en poursuivant une formation.
En parallèle, Sophia sollicite de son rectorat l’octroi d’un congé de formation professionnelle, qu’elle n’obtient qu’au bout de six demandes consécutives pour passer le DESS : nous tenons ici à saluer sa motivation, sa ténacité, en encourageant ceux qui ont un projet de mobilité à ne jamais se décourager en cours de route, sans attendre l’obtention du congé de formation pour réaliser une formation. Le « retour » des quelques 300 pré-bilans de carrière réalisés par l’association Aidoprofs en l’espace de 23 mois montre que l’obtention d’un congé de formation lors de la première demande est rarissime, la moyenne se situant à 3-4 ans, tandis que des professeurs, même au bout de huit demandes consécutives, ne l’obtiennent pas (faute de budget affecté à ce type de dispositifs, on s’en doute), et se démotivent. Nous suggérons au Ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos ou son futur successeur, de se pencher sur la question, car à l’époque de la « formation tout au long de la vie », faciliter la formation des uns et des autres par des congés de formation, même à mi-temps, est essentiel.
Grâce à son chef d’établissement, l’emploi du temps de Sophia était concentré sur trois jours : il est important ici de comprendre que la qualité de la relation humaine entretenue avec son chef d’établissement est capitale pour la réussite de la formation, car elle permet un « arrangement » en interne au niveau de l’organisation de l’emploi du temps. Le professeur qui souhaite réaliser sa mobilité doit donc tenir compte de cette variable.
Une fois le DESS de Psychologie décroché, Sophia obtient l’accord de son Inspecteur Pédagogique Régional (IPR) que dans le cas où elle trouverait du travail dans ce domaine, elle puisse être détachée ou mise en disponibilité en cours d’année. Cependant, cette situation idéale – et rare – ne dure pas : un changement d’IPR a lieu, et lorsque Sophia trouve son premier poste, le temps que sa demande de cumul soit traitée par la voie hiérarchique, le poste est pris…lorsqu’elle trouve son second poste, en détachement, en cours d’année, l’IPR refuse, car elle enseigne dans une discipline déficitaire. Mais le service du rectorat auquel elle s’adresse est plus compréhensif, puisque Sophia trouve elle-même le professeur qui la remplacera sur son poste, en moins de trois mois. Cette donnée est importante, car elle peut donner des idées à des professeurs qui se situeraient dans le même cas : si vous trouvez votre remplaçant, votre départ en cours d’année ne gêne pas l’administration, dont la priorité est que les élèves aient toujours un professeur devant eux, principe de bonne gestion des ressources humaines.
En mars 2007, elle devient psychologue détachée auprès d’une mairie et s’occupe alors des programmes de réussite éducative. Son contrat est d’une année renouvelable, et elle doit faire la concession de perdre 15% de son salaire pour occuper le poste.
Ce détail est important : lorsque l’on évoque les pistes de mobilité professionnelle au sein de la sphère éducative, tout professeur doit savoir qu’il y perdra ses congés scolaires (ses congés seront alors de 7 semaines à 11 semaines selon les structures proposant le poste), que son traitement indiciaire variera selon les organismes (seuls les EPA accordent deux échelons de plus le temps du détachement), que ses primes (ISO) seront éventuellement remplacées par d’autres (ce n’est pas toujours le cas), que son contrat aura une durée de 1 à 5 ans, pas toujours renouvelable (c’est donc à considérer comme une « seconde carrière temporaire »), et qu’il est parfois possible, à partir de la troisième année, de demander son intégration (pas partout, cela dépend des postes budgétaires de la structure). L’horaire, lui…n’a plus rien à voir avec celui d’un professeur. Nous sommes au régime des « 35 h » qui, d’après l’actualité récente, ne vont pas durer. Ces postes en détachement étant des postes de cadre (catégorie A), la disponibilité y est requise et l’horaire dépasse bien souvent les « 35 heures » pour atteindre 40-45 heures en moyenne, avec plus de 50 heures sur les postes de direction. Soulignons au passage que cet horaire est la moyenne admise pour les chefs d’établissement (collège, lycée) d’après la récente étude de Gorges Fotinos.
La mission de Sophia est d’intervenir sur les collèges en zone d’éducation prioritaire (ZEP) de la commune où elle est affectée, afin d’animer des groupes de parole avec les collégiens et avec le Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), afin de traiter des thèmes comme « la violence au collège », « la relation amoureuse », etc.
Ces groupes de paroles sont aussi organisés pour les parents, et Sophia tient aussi des permanences pour les élèves qui souhaitent un entretien individuel.
Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, ont permis à Sophia de développer cette activité ?
« L’écoute des élèves, beaucoup de projets montés avec des élèves dans la discipline que j’enseignais ». Sophia insiste sur la « capacité d’adaptation » des professeurs, qui en effet, chaque année, doivent s’adapter très rapidement aux attentes d’un nouveau public, en gérant au quotidien des situations imprévues, notamment en termes de relations humaines, tant avec les élèves qu’avec leurs parents et les collègues.
« Avoir suivi des stages en hôpital psychiatrique m’a permis de savoir gérer des situations complexes ». Aujourd’hui, Sophia adopte un tout autre regard sur le collège, qu’elle connaît bien maintenant.
Comment a-t-elle vécu « ce grand saut » ?
« Je l’ai vécu plutôt bien. L’évolution a été lente et progressive, j’ai eu beaucoup de mal ». Sophia a en effet repris ses études à la base en psychologie. Elle signale un point inattendu : « quand j’ai quitté mon métier de professeur, c’est là que je me suis rendue compte combien j’étais libre avant… Là, c’est plus administratif, et j’ai eu du mal à m’y adapter ».
Comment ses anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?
« Ils l’ont bien perçu, mes collègues m’y ont encouragée, tout le monde était content ».
Comment Sophia considère-t-elle l’enseignement maintenant ?
« Parfois, je pense que l’enseignement est un univers très fermé, qu’il est difficile d’y entrer, de s’y faire accepter lorsque l’on n’est pas professeur. C’est un microcosme très particulier. On est vite pris dans un phénomène de groupe, et l’on a tendance à être en difficulté ensemble. Je le ressens bien plus depuis que je n’enseigne plus ».
Que pense-t-elle de ses conditions de travail actuelles ?
Sophia n’a plus les vacances scolaires, puisque ses congés sont désormais de 5 semaines auxquelles s’ajoutent (mais pour combien de temps encore ?) deux semaines d’ARTT (régime des 35 heures). Elle travaille cependant toujours selon le rythme scolaire, avec souvent des réunions le soir et le samedi matin, pour un temps de travail théorique de 35 heures.
Quels conseils Sophia tient-elle à prodiguer à une personne qui souhaite enseigner ?
« Il faut avoir envie d’enseigner, sinon, on ne peut pas faire ce métier avec passion, on craque assez vite psychologiquement ». Sophia insiste sur le fait qu’il ne faut pas hésiter, dès les premiers signes, à « partager ses projets et ses difficultés avec les autres collègues ». Selon elle, « le plus difficile n’est pas d’enseigner, mais de donner l’envie d’appendre, d’y être attentif, de savoir motiver ses élèves, en sachant bien évaluer leurs difficultés, sans hésiter à aller voir comment cela se passe chez d’autres profs, dans la classe d’à côté par exemple ».
Et que conseille-t-elle, grâce à sa riche expérience, aux professeurs tentés par une mobilité professionnelle en-dehors de la classe ?
« C’est une nouvelle étape qu’il faut bien préparer, en se renseignant de manière exhaustive sur ce que l’on souhaite entreprendre. Il faut trouver les bonnes personnes, car certaines donnent en fait des informations vagues, parfois fausses. Il faut donc être très motivé, ne pas lâcher prise, mettre en œuvre toute son énergie dans ce projet ». Sophia souligne qu’elle a « parfois eu le sentiment d’être face au Mammouth, « car chaque cas est particulier, et les textes, complexes, ne sont pas toujours maîtrisés par les différents interlocuteurs auxquels on s’adresse. Il est donc long et difficile de trouver la bonne information ».
Que pense Sophia de la création d’une association comme Aidoprofs ?
« C’est à mon avis très utile, car cela permet d’être accompagné dans une démarche longue et complexe ».