Par Cécile Mathieu
Dans cette nouvelle rubrique, nous vous proposerons toutes les fois où ce sera possible un site consacré à l’antiquité ou une rencontre avec un spécialiste des langues anciennes.
Ce mois-ci c’est le travail de Georges Oucif, professeur de langues anciennes au Lycée J.-P. Vernant à Sèvres, qui a retenu notre attention. Un site à taille humaine, tel que de nombreux enseignants souhaiteraient en concevoir. Son objectif est avant tout pédagogique : ses élèves participent au contenu et ses futurs élèves ont ainsi un aperçu de ce qui peut se faire en lycée.
Les rubriques qui composent ce site sont facilement accessibles grâce à une page d’accueil simple qui a le mérite de la clarté. Deux dossiers approfondis ouvrent le site : « les jeux » ; « la mythologie et J.P. Vernant ». Une des originalités de l’aspect graphique du site tient à la présence de très nombreuses illustrations accompagnant systématiquement les textes. La plupart sont des reproductions de gravures anciennes de qualité mais vous trouverez aussi dans la rubrique « Expositions virtuelles » des photos d’œuvres d’art contemporaines inspirées par l’antiquité.
Georges Oucif utilise les TICE dans l’esprit des nouveaux programmes de lycée applicables à la rentrée : transdisciplinarité grâce à des liens vers le programme de Lettres de Terminale (mise en ligne progressive d’une traduction des « Métamorphoses » d’Ovide) ou vers la philosophie. Toutes les rubriques sont élaborées avec le souci d’être accessibles au public scolaire mais sans oublier les adultes qui y trouveront des démarches originales comme ces « Reportages » sur des sites antiques en France ou à Constantinople, agrémentés de nombreuses photos.
Les élèves participent activement à ce site grâce aux traductions élaborées en commun et en cours (« Anthologie »), aux notices biographiques des grands auteurs latins (« Biographies ») ou en rédigeant plus personnellement des présentations d’ouvrages consultables au CDI de l’établissement (« A lire »). Vous découvrirez dans l’interview qui suit d’autres aspects de son site, notamment une expérience enrichissante d’e-Twinning avec un établissement italien ou les tribulations d’un reportage vidéo au Louvre…
Son site vit à un rythme trimestriel, mais il faut dire que ce remarquable et inlassable professeur alimente régulièrement la « Page des Lettres » du site académique de Versailles. Vous y découvrirez l’étendue de sa culture ainsi que des outils très utiles aux enseignants de langues anciennes, notamment la synthèse des ressources numériques pour les nouveaux programmes de seconde et première, que ce soit en latin ou en grec. Pour chaque auteur ou thème à étudier, vous trouverez les meilleures références du web ! Georges Oucif poursuit notamment dans ce cadre le travail de Jacques Julien et de son célèbre « Carnet d’adresses » en langues anciennes.
Ses participations aux animations qui promeuvent les langues anciennes sont nombreuses, que ce soit par exemple au Festival Européen du Latin et du Grec de Nantes ou plus récemment à Intertice 2008 qui montre l’impact des TICE sur la transmission des savoirs.
Gageons que son expérience motivera d’autres enseignants à se lancer dans la création d’un site destiné en premier lieu à leurs élèves !
Le site de latin :
http://latin.lyc-sevres.ac-versailles.fr
L’actualité de G. Oucif sur le site académique de Versailles
http://www.lettres.ac-versailles.fr/recherche.php3?recherche=oucif
Merci à Georges Oucif d’avoir répondu franchement à nos questions, en ne dissimulant pas les difficultés que nous rencontrons tous dans l’exercice de notre profession.
1) Dans quel but avez-vous créé votre site de latin au départ ?
Quand je suis arrivé à Sèvres, le département de Langues Anciennes était menacé. La création d’un site m’a semblé la réponse la plus rapide pour tenter de remédier à cette situation. Et de fait, avec le temps, il a généré des activités fédératrices (élèves, équipe pédagogique) et innovantes en fonction des opportunités qui se présentaient à nous.
2) Les élèves participent-ils directement au site ou assurez-vous vous-même les mises en ligne ? Dans le cas d’une participation directe, est-ce pendant vos heures de cours ou sur vos temps libres respectifs ?
La nécessité à mes yeux de créer rapidement un instrument comme le site de Latin pour assurer la pérennité des Langues Anciennes au lycée a eu pour conséquence de m’obliger à prendre en charge la fabrication des premiers numéros, de la conception à la réalisation. Ensuite, les élèves m’ont envoyé leurs fichiers par mail et je réalisais la mise en page, ce qui permettait aussi d’uniformiser la présentation. Maintenant, je reçois des fichiers tout prêts. Donc, pas d’empiétement de la fabrication technique du site sur le temps d’enseignement (2 heures par semaine !). En revanche, pour l’élaboration définitive des traductions de l’anthologie maison et la rédaction des biographies des auteurs que nous traduisons, le travail se fait en classe, sous la forme d’un comité de rédaction et ce d’autant que nous avons la chance de travailler dans une salle du CDI autour d’une grande table ovale.
3) A votre avis, quel impact ce site a-t-il eu auprès de vos élèves ? A-t-il modifié leur perception des langues anciennes ?
D ‘après les échos que j’ai pu avoir – et je pense aussi à des réactions de collégiens qu’on m’a rapportées et qui craignaient de trouver des pages d’exercices en ligne – l’attrait du site tiendrait à son approche culturelle et à sa diversité. C’était d’ailleurs le but poursuivi, plusieurs rubriques sont destinées à faire découvrir l’Antiquité par l’image, qu’il s’agisse d’expositions virtuelles d’œuvres d’artistes contemporains, de reportages photos ou encore de séries de gravures anciennes illustrant un récit.
Signalons aussi que, lorsque je travaille sur Montaigne avec les premières générales, je les renvoie aux extraits de Sénèque qui se trouvent dans notre anthologie et à l’article sur le stoïcisme rédigé ad hoc par un de mes collègues de philosophie.
4) Dans la rubrique « A lire » de votre site, vous présentez, avec vos élèves, des ouvrages sur le thème de l’antiquité, faisant ainsi le lien entre écran et papier. Le fait d’indiquer leur référence au CDI a-t-il poussé davantage vos élèves à fréquenter ce lieu ?
En effet, je ne crois pas que nos élèves puissent faire l’économie du livre. C’est un instrument de haute précision.
Je n’ai pas de chiffres sur les retombées de ce type d’action. Les élèves qui rédigent les articles sont les premiers à lire des ouvrages que je commande pour actualiser le fond antique du CDI. Nous avons aussi organisé une exposition sur le thème « les achats du département de Langues Anciennes ». Les ouvrages qui ont fait l’objet d’un article, étaient accompagnés du texte en question.
5) Soucieux comme tous les enseignants de L.A. d’assurer une continuité entre collège et lycée, vous avez réservé une rubrique aux latinistes des collèges de votre zone, « Bienvenue à bord ». Quel écho trouvez-vous parmi vos collègues latinistes de collège ?
C’est dans ce domaine qu’on mesure le plus les effets de cette grande loi de la nature qu’est la force d’inertie. Pour que certaines choses se fassent, il faut être très présent. J’ai lié des contacts amicaux avec certains collègues de collèges où je vais présenter les Langues Anciennes au lycée, mais, du travail fait en classe dans leur établissement à la mise en ligne sur notre site, il y a un nombre imprévisible d’obstacles qui semblent souvent rendre vaine toute velléité de coopération.
Néanmoins, si les travaux des collégiens de notre zone ne parviennent pas toujours jusqu’à nous, ceux-ci connaissent le site de Latin du lycée où ils sont destinés à aller, parce que mes collègues leur en ont parlé et le leur ont fait voir.
6) Vous ne vous limitez pas à l’informatique… La réalisation du document vidéo sur les Empereurs romains a-t-il été aisé ? Quelle a été l’implication des élèves dans ce projet ? La visite au musée du Louvre en a été probablement métamorphosée…
Les procédures institutionnelles et la multiplicité des partenaires et des participants ont grandement nui à la maîtrise du temps et aux objectifs pédagogiques initiaux. Les hypokhâgnes, par exemple, qui devaient rédiger une partie du texte, moins téméraires que leurs camarades du lycée, se sont défilés devant la caméra. Pour un projet commencé dès le début de l’année scolaire, nous n’avons été en ordre de marche que vers avril. Il a fallu achever le montage début juillet après les oraux du Bac et la mise en ligne ne s’est effectuée qu’en septembre. Heureusement, nous avions l’aide compétente et efficace de notre technicien qui nous a aidés dans le tournage et le montage. Cette expérience néanmoins s’est avérée fédératrice, puisque ma collègue de latin du lycée et celle de classes prépa y ont participé. Nous avions le matériel et les compétences, nous avons acquis une expérience ; désormais, conscients de nos erreurs, nous sommes prêts à recommencer avec des délais qui seront raccourcis et des élèves que nous impliquerons encore plus.
7) Cette année, vos élèves de Terminale ont eu la chance de mener un projet e-Twinning intitulé – « Arena et circenses, les jeux de masse à Rome et le jugement des intellectuels antiques » – avec les élèves de Latin et de Grec du Liceo Classico Ugo Foscolo à Albano Laziale en Italie. L’année scolaire étant achevée pour les options, quel bilan en tirez-vous ?
Le projet e-Twinning a donné un coup de fouet à la classe de Latin, en nous obligeant à en faire plus, malgré les deux heures hebdomadaires consacrées à boucler la liste du programme pour le Bac. Tout en s’insérant relativement bien dans ce programme, il nous a obligé à faire abstraction de l’heure manquante pour nous pencher sur la culture antique. Nous avons aussi organisé avec mon collègue italien, une visioconférence qui a permis à nos élèves de se voir et de se parler. Une suite est prévue pour l’année prochaine, une de mes collègues de Langues Anciennes se joindra à nous avec sa classe.
La coopération entre collègues de Langues Anciennes en Europe ne demande qu’à s’étendre et, à titre d’exemple, j’ai créé sur la « Page des Lettres » de l’Académie de Versailles une rubrique e-Twinning pour que nos collègues qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure, puissent se faire une petite idée.
8) Disposiez-vous dès le départ de solides connaissances en informatique ou vous êtes-vous formé au fil des difficultés ?
Je savais aller sur un site et ouvrir ma messagerie, il a fallu que j’apprenne très vite. Il y avait au CDI un « emploi jeune » qui m’a montré comment faire des pages avec Frontpage. J’ai fait comme les animaux savants, j’ai reproduit les tours qu’on me montrait. Depuis, je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup évolué, sinon que je suis passé au Mac et qu’après plusieurs errements, j’ai adopté Word pour faire mes pages qui ne sont, après tout, que des cellules avec, à l’intérieur, du texte et des illustrations.
9) Que conseilleriez-vous aux collègues de langues anciennes tentés par l’aventure d’un site, que ce soit au niveau technique ou pédagogique ?
Je déteste recevoir des conseils et du coup j’évite d’en donner. En revanche, je peux évoquer mon cas : j’ai plongé et j’ai nagé dans l’eau glacée. Les élèves jouent le jeu et je n’ai pas hésité à les pousser à l’eau. Ils sont capables de grandes choses, mais en général ils n’en prennent pas l’initiative, parce que nous sommes là pour ça. Quant à l’aspect technique, mes connaissances ne m’autorisent pas à donner des conseils à des collègues souvent plus jeunes et qu’on peut imaginer plus experts. Une seule remarque d’importance : lorsqu’on est né avant la prolifération des machines, il n’est pas inutile d’avoir un fils qui s’y connaisse en informatique.
10) Vous avez créé votre site en 2004. Comment gère-t-on un site dans la durée ? Est-ce une activité « chronophage » ou peut-on la mener à son rythme, en fonction du temps disponible, tout en obtenant un résultat satisfaisant… ?
Le site fonctionne comme une revue, ce qui est sûrement une hérésie, mais à raison de trois numéros par an, cela nous laisse le temps entre chaque parution, d’élaborer avec les élèves le numéro à venir. Ensuite, il n’y a plus qu’à créer les liens dans le dossier « site » avant de le publier.
Le site est hébergé sur le serveur de l’Académie, il n’apparaît sur le site du lycée que grâce à un lien. Nous ne sommes donc tributaires de personne pour la date de publication, ni surtout pour les problèmes d’espace.
11) De façon générale, qu’a amené à votre avis l’informatique dans l’enseignement des langues anciennes pour le professeur? Derrière la facilité à trouver instantanément traductions, commentaires (etc.), pensez-vous que les élèves retirent un bénéfice autre que celui d’un « bachotage » plus efficace ?
Une question difficile. Il faudrait la poser à mes jeunes collègues qui sont « tombés dedans tout petits ». Quant aux élèves, l’informatique est leur monde. Les textes de César et de Cicéron ont été véhiculés sur des rouleaux de papyrus, sur des pages de livres et désormais sur des écrans d’ordinateur, ils n’ont fait que s’adapter encore et toujours aux progrès de leur époque. C’est aussi, outre leur contenu, ce qui assure leur éternité.