Par François Jarraud
« Gouverner l’Ecole », le dernier livre de Denis Meuret, est un des ouvrages les plus importants écrits sur le système éducatif français ces dernières années. Parfait connaisseur du système éducatif américain, Denis Meuret a bien voulu répondre aux questions du Café.
Quand on regarde le taux de bacheliers aux Etats-Unis et en France , et encore plus le taux d’accès à des études supérieures longues, on voit immédiatement que le lycée américain semble plus efficace pour porter une classe d’âge vers des études supérieures. Quels mécanismes expliquent que ce taux soit plus fort aux Etats-Unis ?
Il me semble qu’on peut avancer deux types de raison. D’abord, aux Etats-Unis, on perçoit davantage celui qui veut continuer ses études comme une chance, au lieu de se demander s’il est bien sûr qu’il le mérite ou s’il ne risque pas d’alimenter l’inflation scolaire. J’ajoute que, dans l’enseignement supérieur américain, un étudiant est davantage autorisé à ne pas se spécialiser tout de suite. En grossissant le trait, le spécialisation qui intervient en France en fin de seconde intervient aux USA à l’entrée de la Graduate School, et l’inverse de la spécialisation n’est pas un tronc commun, mais le libre choix de chacun selon ses centres d’intérêts, un choix dan un éventail trop laxiste d’ailleurs selon certains. selon certains.
Ensuite, et plus concrètement, il existe des institutions d’enseignement supérieurs de niveau d’exigence très divers, qui donc accueillent des élèves de niveau très divers..Beaucoup de mes interlocuteurs américains insistent sur l’idée que, quelque soit le niveau de l’institution dans laquelle on s’inscrit, on trouvera, si on y réussit et travaille bien, une institution d’aval d’un niveau un peu supérieur prête à vous accueillir.
On a donc affaire à deux conceptions différentes de l’enfant et de l’Ecole. Peut on dire que le statut de lycéen soit vécu à l’identique en France et aux Etats-Unis ? Comment expliquer ces différences
C’est une question difficile… Nous savons par PISA que les lycéens américains sont plus nombreux que les français à se déclarer traités par leurs enseignants avec justice, soutenus par leurs professeurs dans leur travail, s’entendre bien avec lesdits professeurs. Par ailleurs, le sentiment d’appartenance à l’établissement y est plus fort qu’en France. D’une façon plus générale, il me semble que le statut d’élève aux Etats Unis est marqué par ceci que l’école est dans ce pays un endroit où la communauté confie ses enfants aux enseignants pour qu’ils les lui rendent « grandis », tandis que, dans le modèle français, les parents confient leurs enfants à l’Etat, ou à l’Eglise, pour qu’il les éduquent à l’écart de la mauvaise influence du monde.
X. Darcos a annoncé dans sa réforme du lycée des parcours modulaires et personnalisés. Cela vous semble t il greffable sur le système français ? Et si non pourquoi ?
D’une part, je trouve cette logique préférable à la logique des filières, qui empêche les élèves de progresser dans des disciplines fondamentales au motif curieux qu’ils y sont faibles. D’autre part, je pense que cela peut réussir parce que la proportion élevée de lycéens qui continuent à l’Université le rend nécessaire. Autrement dit, en toute logique, cela aurait dû être fait avant que l’Université ne s’ouvre au plus grand nombre, mais il faut croire que nous ne sommes pas toujours rationnels. D’autres l’ont dit avant moi: le lycée général actuel est organisé par les CPGE (par la distinction taupe/khagne correspondant aux filières L/S) alors que la plupart des études universitaires exigent plutôt des compétences en maths, sciences, langue française et anglais.
X Darcos annonce aussi davantage d’autonomie pour les établissements. Aux Etats Unis on assiste plutôt à un renforcement de l’influence de l’Etat fédéral à travers tout un système d’évaluation par exemple. Où se situerait le bon équilibre ?
Le modèle vers lequel la plupart des pays, y compris la France et les Etats Unis, se dirigent, et qui semble en effet le plus propice à l’efficacité, combine une forte autonomie des établissements quant à l’organisation pédagogique et un fort contrôle de l’Etat sur leurs résultats, soit sur la progression des élèves, en particulier des plus faibles. Les tentatives de jouer uniquement sur l’autonomie des établissements, initiées au plus fort de la vague libérale dans les années 80 aux USA ont donné des résultats décevants, y compris sous la forme extrême des « Charter schools ». Ceci dit, nous avons dit en France qu’il fallait utiliser cette autonomie pour « s’adapter à son environnement », ce qui a été compris comme « s’adapter à la faiblesse des élèves des »quartiers », alors qu’il s’agît plutôt , et pour tous les établissements, d’utiliser son autonomie « pour s’améliorer », c’est à dire pour faire progresser davantage les élèves.
On sent bien aussi dans les mesures Darcos, par exemple le cahier de texte électronique obligatoire prochainement, la volonté de rendre l’Ecole plus transparente à la communauté qui l’entoure. Est ce le cas des établissements américains ?
Oui. Vous trouverez sur internet des tas de statistiques pertinentes sur la plupart des établissements scolaires américains, y compris les résultats des élèves aux épreuves standardisées. Il ne s’agît pas du tout de donner aux parents le pouvoir dans l’école, il s’agît, et c’est très différent que chaque établissement soit conscient qu’il est comptable de la façon dont il fait progresser les élèves dans des directions que son projet d’établissement décide dans le respect des standards nationaux, le socle commun par exemple. cf plus haut sur les liens avec la communauté.
Dans votre livre Gouverner l’école, vous montrez que les deux systèmes reposent sur des philosophies différentes. La France peut-elle abandonner Durkheim ?
Certainement, et je vous remercie de me poser la question, parce que certains lient dans mon livre la description d’une « culture » , d’un « esprit » français qui handicaperait des évolutions nécessaires. J’ai dû être maladroit, mais mon idée est plutôt que Durkheim a réalisé une opération politique, à donner la plus cohérente expression du récit, qui, en France à ce moment là, était le seul capable de justifier l’école républicaine. Autrement dit, il faut à la fois admirer l’opération durkheimienne, reconnaître ce que nous lui devons, reconnaître aussi qu’elle nous gêne aujourd’hui, et inventer un autre récit, pour lequel, toujours à mon sens, Dewey peut être une source d’inspiration, parce que les objectifs qu’il fixe à lécole (produire des individus libres, imaginatifs et créatifs ; vivifier la démocratie en produisant des individus capables d’échanges plus riches et plus divers) sont particulièrement pertinents aujourd’hui.
Denis Meuret
Dernier ouvrage publié :
MEURET, Denis, Gouverner l’école. Une comparaison France / Etats-Unis, Presses Universitaires de France, 2007, 232 pages,
Compte-rendu de P. Picard dans le Café n°82
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Sur le Café :
L’Ecole française n’est pas gouvernée
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Améliorer l’Ecole
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