Pour la dernière livraison du Café Primaire de l’année, tentons un nouvel exercice, comme un bilan de l’année folle qui vient d’être vécue. Avec une question simple en filigrane : « enseigner, est-ce un métier ? Enseignant, est-ce une profession ? »
Derrière la provocation, pas sûr que la réponse aille de soi. Pourtant, tout le monde vous le dira, si vous mettez les pieds dans une école : tenir la classe, et faire qu’ils apprennent, rien de plus incertain. Débutant ou chevronné, il semble que le doute s’insinue, de plus en plus, sur « ce qu’il faut faire ».
Evidemment, les derniers mois n’y sont pas pour rien : alors qu’on espérait refermer la parenthèse Robien avec un retour au réel, l’année scolaire a été rythmée par une avalanche d’annonces, de caricatures, d’appels, de bouleversements. Et une question simple : programmes, maternelle, rythmes, soutien scolaire, formation, direction d’école, accompagnement éducatif, fermetures de classes : le métier va-t-il exploser ?
Et paradoxalement, alors que les conversations de cours d’école ne sont plus que désanchantements et inquiétudes, le pavé est resté bien calme. Il y a bien eu les grèves ou les manifestations, mais rien qui ne soit très différent des années précédentes, sauf ici ou là. Comme si rien de bien important n’était en cours.
Imaginons la situation, si on disait ça des dentistes ou des plombiers. Qu’on vous dise que ce qui vous unit, au delà des différentes manières de faire, vos gestes professionnels, votre expérience, votre investissement, votre éthique, tout ça n’est pas grand-chose, puisque c’est si simple. Après tout, on se demande même si c’est bien un métier. Prendre des élèves, répéter le manuel, faire des exercices, surveiller, exiger, corriger, corriger encore… Jeter à la poubelle la pédagogie, tous ces discours pédants de nombrils égotiques, revenir à la bonne vieille méthode, aux bons vieux conseils, et surtout que ce soit simple, simple, simple. Et que M. le Maire, le Curé et le Notaire soient contents. Comme avant.
Si vous teniez ce discours à votre dentiste, ou votre plombier, il vous regarderait, vaguement amusé, et ne se gênerait pas pour vous renvoyer à la figure votre aplomb. Et vous rappeler qu’un métier, une profession, c’est un savoir-faire, une pratique, de habiletés, des instruments, des outils, une expérience, une histoire, un vécu, où chacun doit faire « ce qu’il a à faire, jouer son rôle », rester fidèle à des principes…
Et à sa dignité. Individuelle et collective.
Au-delà des querelles de chapelles, pédagogiques ou syndicales, il est frappant de voir comment le temps s’est brusquement figé. Alors que depuis le Moyen-Age, les corporations agissent pour être reconnues et estimées, sans attendre de personne que d’eux-mêmes leur salut, les enseignants semblent comme interdits. Sont-ils devenus à ce point polymorphes qu’ils ne se reconnaîtraient plus entre eux ? N’ont-ils plus d’instances collectives auxquelles ils confèrent le droit (et le devoir) de les organiser et de les défendre ?
En attendant la rentrée, et plutôt que de vous conseiller les habituels ouvrages de vacances pour le pas bronzer idiot, le Café vous laissera avec la sentencieuse conclusion de ce modeste billet : avez-vous un métier ? Une profession ? Et si oui, à quoi êtres vous prête (oui, pour une fois, et surtout chez les enseignants, c’est le féminin qui l’emporte) pour le défendre ?