Par Rémi Boyer, de l’association Aidoprofs
Quel a été le parcours de carrière de Dominique ?
En fin de classe de 3e, en 1968, Dominique entre à l’Ecole Normale d’Instituteurs, où elle effectue une scolarité de 5 ans, avant d’enseigner en remplacement puis sur un poste fixe où elle restera 15 ans. « C’était très chouette, avec un public très varié, passionnant, avec une grande mixité sociale, et j’ai pu réaliser de nombreux projets pédagogiques. Ils s’appuyaient sur des classes de découverte, qui avaient souvent lieu en début d’année, où je rendais les élèves autonomes dans leurs démarches, avant d’utiliser, tout le reste de l’année, leurs productions pour un travail collectif ». Dominique concevait notamment des documents permettant aux élèves de se déplacer tous seuls dans les musées, après un gros travail de préparation, de repérage. Tambour battant, Dominique a jalonné sa carrière d’enseignante de projets, puis a commencé à ressentir une certaine routine.
« A 45 ans, j’estimais être arrivée au bout de ma recherche pédagogique, alors j’ai commencé à approfondir la pédagogie par des stages, ce qui a changé mes pratiques pédagogiques, mais fut difficile à mettre en œuvre car les parents d’élèves sont souvent rebutés par la nouveauté ». Dominique suit des stages pour aider les enfants en difficulté d’apprentissage, travaille avec passion au sein de classes de perfectionnement, et se tourne peu à peu, par goût personnel, vers l’histoire de l’art.
« A partir de ce moment là, après avoir réalisé un cursus d’études à l’Ecole du Louvre, j’ai contacté plusieurs fois le rectorat pour changer de fonctions. J’aurais aimé pouvoir mettre en œuvre mes compétences pour d’autres classes, d’autres écoles, former des institutrices, mais si le rectorat a pris ma demande, en revanche, j’attends toujours la réponse… ». A l’époque, lors de l’un de ses contacts avec les services administratifs, elle s’entend dire : « vous n’êtes qu’institutrice, et le poste que vous évoquez est réservé aux professeurs. Vous n’avez aucune chance ».
Il n’en a pas fallu plus – comment, institutrice, ce n’est pas être professeur ? – à Dominique pour demander et obtenir sa disponibilité au seuil de la cinquantaine. Lors de ses études à l’Ecole du Louvre, elle s’est spécialisée dans l’Art Contemporain, mais après avoir tenté en vain de travailler auprès d’institutions d’Art Contemporain, tout comme de nombreux jeunes diplômés, elle décide fin 2006 de créer une association avec plusieurs personnes rencontrées durant cette période. C’est la naissance d’Artais (www.artais-artcontemporain.org ), qui comprend une quarantaine d’adhérents actuellement. Dominique ne souhaitait pas s’engager dans une démarche commerciale, puisque son projet associatif, basé sur le bénévolat, constitue une démarche pédagogique, avec un souci d’exigence très fort : organiser des visites de découverte d’institutions ou de lieux privés ou alternatifs d’art contemporain afin d’amener chacun à saisir les clés de la démarche de chaque artiste, pour comprendre son travail et le message qu’il a voulu porter. Pour Dominique, « l’art contemporain s’implique dans la vie que nous vivons tous aujourd’hui, il en reprend les thèmes, il les extrapole ». Elle organise des visites d’expositions en région parisienne, mais aussi dans toute la France et à l’étranger, son réseau relationnel étant très étendu, comme le montre son profil sur le site www.viadeo.com
En parallèle de cette activité, puisqu’il faut bien vivre, Dominique travaille dans une entreprise comme chargé de l’hygiène, de la sécurité et de l’environnement dans une imprimerie. « En tant qu’enseignante, je ne sais rien faire d’autre, mais je peux tout apprendre, car c’est un métier très ouvert, où il faut être capable de faire plein de choses ». Néanmoins, dans ces fonctions, Dominique souligne la difficulté de monter des dossiers de certifications pour les normes AFNOR ou ISO par exemple.
Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, ont permis à Dominique de développer cette activité ?
« L’ouverture d’esprit : l’enseignement aide beaucoup pour cela, si l’on est aussi dans cette dynamique là. L’adaptabilité aussi, car chaque année notre public change, il faut recréer une ambiance de travail, les intéresser, susciter leur motivation à découvrir, à apprendre ». Tous les ans, Dominique a mené des classes de découverte, avec une thématique nouvelle. Elle souligne l’importance de la créativité dans le métier de l’enseignant. L’association Aidoprofs remarque elle aussi, à travers les pré-bilans de carrière réalisés, que les enseignants qui se démotivent le plus sont les jeunes enseignants affectés comme titulaires remplaçants, souvent dans des établissements difficiles, et qui ne peuvent de ce fait réaliser des travaux pédagogiques d’équipe, puisqu’ils servent de « bouche-trou », à leur grand dam, en remerciement du concours difficile qu’ils viennent d’obtenir. Gageons que la création d’une Agence nationale de remplacement des professeurs absents – annonce d’un projet encore dans les cartons – ne fera qu’empirer cette situation : l’enseignement est un très beau métier dès lors que toutes les conditions de stabilité en poste sont réunies pour l’exercer.
Comment a-t-elle vécu ce « grand saut » ?
« Ce fut évident de le faire, et c’est passionnant ». Dominique n’a ressenti aucune peur, aucun frein dans sa mobilité, puisque ce qui a marqué sa carrière depuis le début, c’est cette volonté d’aller de l’avant, d’être dynamique en matière de gestion de projets. Le sien, avec l’association Artais Art Contemporain, reflète sa personnalité.
Comment ses anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?
« Je n’en revoie pas beaucoup, j’ai préféré couper les ponts. Certains m’ont dit que j’étais courageuse, et je crois que beaucoup de professeurs aimeraient en faire autant mais n’osent pas. Alors ils laissent passer le temps, sans donner corps à leurs attentes, leurs besoins de se réaliser ».
Comment Dominique considère-t-elle l’enseignement maintenant ?
« J’ai adoré enseigner. J’espère que beaucoup arrivent à se construire dans l’enseignement, car c’est un métier formidable, bien que les conditions ne soient plus aussi favorables actuellement qu’avant ». Dominique indique que « beaucoup de choses la font frémir », comme « les nouveaux programmes de l’enseignement Primaire qui résument la scolarité de l’élève à lire, écrire et compter, comme s’il leur fallait juste être rentables, en se contentant de réciter des choses apprises, alors qu’actuellement les programmes leur permettent de se forger un esprit critique, sans entrer dans un moule dès leur plus jeune âge ». Dominique souligne qu’elle est très heureuse maintenant de faire autre chose.
Que pense-t-elle de ses conditions de travail actuelles ?
« Je suis très contente, car je suis maître de ce que je fais ». Chez tous ceux qui avaient créé leur propre activité et que nous avons interviewés, nous retrouvons ce sentiment de plénitude et de satisfaction d’être enfin autonomes, libres, indépendants.
Quels conseils donnerait-elle à une personne qui se destine à enseigner ?
« Je préfère ne pas être dans une position de conseil, je préfèrerais ne pas leur parler plutôt que de risquer de les influencer, dans un sens comme dans l’autre, car la réussite dans l’enseignement est vraiment affaire de personnalité, de ressenti. Moi, j’ai fait ce métier car j’avais besoin de le faire, pour trouver ma place. C’est un métier où j’ai réussi à me construire ».
Que conseillerait-elle à un professeur tenté par une mobilité professionnelle ?
« Il ne faut pas hésiter à se donner les moyens de faire ce que l’on a envie de faire. Le pire est de faire un métier que l’on n’a pas ou plus envie de faire. Aller travailler à reculons n’est pas bon pour le moral au fil du temps, ni pour le professeur, ni pour ses élèves. J’ai rencontré plusieurs enseignants dans ce cas au cours de ma carrière, et beaucoup n’osent pas se l’avouer. » Dominique ajoute « il faut être formé pour évoluer, réaliser sa mobilité, et le Congé de Formation Professionnelle est un bon dispositif pour se lancer dans cette nouvelle étape ».
Que pense-t-elle de l’existence d’une association comme Aidoprofs ?
« C’est bien. Si ça n’existait pas, il faudrait l’inventer. Quand j’ai décidé de quitter l’enseignement, j’aurais contacté Aidoprofs, car j’avais besoin que l’on m’aide dans ma réflexion et le démarrage de mon projet ».