Orthoptiste devenue professeur d’anglais, Evelyne Conchou a développé une activité de soutien scolaire
1. Quel a été le parcours de carrière d’Evelyne ?
Après avoir suivi les enseignements dispensés par la Faculté de médecine de Montpellier, elle devient orthoptiste en 1975 et exerce ce métier qui la passionne pendant 15 ans, en travaillant dans les hôpitaux et les cliniques de Marseille comme aide opératoire.
A l’occasion d’une des mutations de son mari, elle reprend des études de lettres à la Faculté de Troyes, enseigne comme maître auxiliaire, puis termine ses études après un déménagement en région parisienne en 1993, en obtenant sa licence d’anglais en 1997. Dès son arrivée à Paris, elle postule pour l’enseignement catholique et enseigne, malgré 3h 30 de trajets quotidiens, dans un lycée qu’elle qualifie d’exceptionnel : le lycée des Francs-Bourgeois.
Travailleuse, elle obtient en 2002 le Capes d’anglais, qu’elle complète par une certification en Français Langue étrangère (FLE). Nous tenons à souligner que le FLE offre de nombreuses opportunités de carrière, tant en France qu’à l’étranger, aux professeurs qui ont complété ainsi leur formation.
Durant toutes ses années d’enseignement, Evelyne multiplie les projets pédagogiques, toujours en recherche de méthodes efficaces, à l’aide des outils modernes, en utilisant internet dans ses classes, tandis qu’elle suit aussi de nombreux stages pour parfaire sa formation.
Nous ne pouvons que plébisciter ce type de parcours, car c’est en effet en multipliant les projets pédagogiques que le professeur active sa motivation et développe des compétences qui constitueront ses principaux atouts dans le cadre d’une mobilité professionnelle en dehors de l’enseignement. Ne pas anticiper « au cas où », c’est déjà se fermer des portes de sortie de ce métier.
Après un passage en lycée à St Germain des Prés, Evelyne est affectée à mi-temps dans les Yvelines au lycée de Notre Dame les Oiseaux. En parallèle, elle obtient un poste d’enseignement du FLE à l’université de Nanterre comme vacataire, tout en demeurant en lien étroit avec tous les collègues d’anglais des lycées où elle a enseigné.
Evelyne prend très à cœur son enseignement, et, toujours en recherche de solutions, de méthodes pour relever le niveau d’anglais d’un élève arrivant en classe de Terminale de notre système scolaire, l’idée d’une entreprise de soutien scolaire en anglais lui vient en 2006. A cette époque, elle hésite entre la création d’une association et d’une SARL, et c’est cette dernière qui s’impose, la contraignant à démissionner de l’Education nationale fin 2006, tandis que l’université porte ses vacations à 14h hebdomadaires.
Dès la création de « Perfect actions » dont elle dépose la marque, de nombreuses familles de son lycée se sont manifestées, très intéressées par son action.
Cependant, Evelyne regrette de ne pas avoir consacré suffisamment de temps, en amont, à tous les aspects administratifs qui se sont révélés chronophages au fil du temps.
Evelyne insiste sur le fait « qu’un prof qui a exercé son métier pendant dix ans et qui veut changer de métier accède à un univers complètement différent : c’est un nouveau métier que d’être gérant, ce n’est pas une sinécure, car il faut régulièrement faire des démarches auprès des administrations, des impôts, de l’URSSAF, du CESU (chèque emploi service universel)…
Elle obtient l’agrément ministériel pour exercer une activité de services à la personne, permettant aux familles d’être remboursées de 50% du montant des cours à domicile que sa société propose. Evelyne attire au passage notre attention sur le fait que cet agrément ne peut concerner que des cours de mathématiques, de français, de langues et d’histoire-géographie, encore les matières dites « principales »…
Evelyne aurait voulu pouvoir accueillir des étudiants de master pour leur proposer de réaliser leur mémoire professionnel sur l’un des champs d’activité de Perfect actions, mais le Ministère du Travail a refusé, car son agrément de services à la personne lui interdisait toute autre activité, ce qu’elle n’a découvert qu’après l’avoir obtenu ! Ainsi, pas d’activité de formation possible, ni de coaching…alors qu’avant la Loi Borloo de 2005, toutes les sociétés qui se sont créées dans le domaine du soutien scolaire pouvaient aussi dispenser des stages de formation dans des bureaux, des lycées… « Je trouve cela injuste, car actuellement, la Loi Borloo empêche tout simplement à une entreprise de devenir rentable » indique Evelyne, et nous comprenons sa déception, car sa création d’entreprise ressemble étrangement à un véritable parcours du combattant… alors que la logique voudrait que, dans un pays où le nombre de chômeurs est encore important, les démarches puissent, comme aux Etats-Unis, être simplifiées…
Lors de la demande de son agrément, Evelyne a dû renseigner un formulaire de 40 pages, et a mis deux mois pour réunir toutes les pièces nécessaires au dépôt du dossier, la personne chargée de le réceptionner au Ministère du Travail ayant constamment refusé qu’elle vienne le déposer elle-même…
Après 8 mois d’activité, Evelyne est déçue, car la rentabilité qu’elle escomptait n’est pas au rendez-vous. Pourtant, il lui a fallu beaucoup de talents d’organisation pour fonctionner (deux jours et demi par semaine) tout en étant professeur à temps complet, et les paperasseries (bilans mensuels URSSAF pour rémunérer les professeurs qu’elle emploie) demeurent chronophages. Evelyne a actuellement le sentiment de n’être qu’un « collecteur d’impôts », car « l’Etat se sert d’abord, et je paie mon comptable bien avant de pouvoir me payer ».
Evelyne pense néanmoins poursuivre au moins jusqu’à fin juin 2008 son entreprise, sans la fermer, afin de se donner le temps de réfléchir à autre chose, car cette expérience très professionnalisante lui a apporté de nombreux contacts très enrichissants avec des sociétés de formation, qui recherchaient des formateurs en anglais. Alors, Evelyne va-t-elle se lancer maintenant dans l’out-placement ?
2. Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, ont permis à Evelyne de développer cette activité ?
« La faculté de rebondir est très importante, comme lorsque l’on est devant une classe. Etre en classe, c’est être au spectacle, d’un côté ou de l’autre, c’est pour le professeur être acteur devant un public. Il ne faut pas être ennuyeux plus de deux secondes face à ses élèves. Il faut être actif, interactif, intéressant, car l’attention des élèves, moins aujourd’hui qu’hier, est de courte durée ». Evelyne insiste sur le fait que l’enseignant possède en lui une capacité à rebondir, à improviser, à motiver, et c’est ce qui lui a permis de rebondir sur autre chose dans sa carrière.
« La bienveillance est importante aussi : vouloir une amélioration du niveau de ses élèves, avoir en soi le sentiment d’être utile aux élèves, vouloir permettre aux élèves de progresser ». Evelyne rejoint ici notre sentiment : professeur, c’est un métier où l’on se donne, où l’on consacre sa patience, sa créativité, son énergie au service de la réussite des autres, sans compter son temps, dans une société qui aimerait justement pouvoir le « quantifier »…
3. Comment a-t-elle vécu « ce grand saut » ?
« Je l’ai vécu dans l’euphorie, très motivée, comme une aventure, avec le sentiment d’avoir trouvé ce qui me motivait dans la vie ». « Cette entreprise, c’est l’aboutissement de ces deux métiers que j’ai dédiés aux autres : l’orthoptie et l’enseignement. Cela m’a permis de retrouver pourquoi j’avais mené ces deux professions avec autant de passion. »
Actuellement, gérante d’entreprise est son troisième métier. Ce qui a facilité cette évolution, « c’est le fait d’avoir souvent changé de région, de maison, au gré des mutations de mon conjoint, me permettant de développer une bonne faculté d’adaptation à de nouveaux environnements. »
4. Comment vos anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?
« Cela s’est partagé en deux clans : les amis qui m’ont soutenue, en m’indiquant toutefois que j’étais « courageuse, folle et inconsciente », et les collègues qui n’ont pas compris l’aspect commercial. Pourtant, beaucoup d’enseignants ont le temps de faire autre chose en dehors de leur enseignement, mais une minorité a perçu négativement ma création de société. »
5. Comment Evelyne considère-t-elle l’enseignement maintenant ?
« Si l’enseignement tel qu’il se pratique actuellement avait existé il y a deux ans, je n’aurais pas fait ça. Actuellement, le e-learning se développe, et il est possible d’avoir plus d’initiatives, de mener des échanges, des partenariats. Il y a une récente prise de conscience de l’Education nationale de tout cela pour l’enseignement des langues ».
Nous tenons à souligner que cet engouement se vérifie aussi dans l’enseignement à distance, puisque le Centre national d’enseignement à distance a développé aussi fortement l’enseignement des langues grâce à l’utilisation de nouveaux logiciels performants.
6. Que pense-t-elle de ses conditions de travail actuelles ?
« L’organisation est très importante : je cloisonne mes deux activités dans le temps hebdomadaire, entre mes cours à Nanterre et la vie de l’entreprise, et je travaille au total 70 à 80h par semaine. » Evelyne signale que « l’aventure en soi n’es pas une contrainte, mais le côté administratif en est une, et après huit mois d’activité, c’est ce que je supporte le moins ».
7. Quels conseils Evelyne tient-elle à prodiguer à une personne qui souhaite enseigner ?
«Pour un professeur de langues comme pour tout autre professeur, je vous conseille de voyager, de réaliser des échanges avec des pays étrangers, afin d’enrichir vos compétences transversales ».
8. Et que conseille-t-elle, grâce à sa riche expérience, aux professeurs tentés par une mobilité professionnelle en-dehors de la classe ?
« Surtout, et j’insiste sur ce point, il ne faut pas se précipiter. Il faut bien réfléchir à ce que l’on souhaite faire, aller rencontrer des personnes qui puissent vous conseiller par rapport à ce que vous envisagez de faire, afin qu’elles puissent vous montrer les côtés positifs et négatifs de leur fonction. Pour ma part, je me suis trop précipitée. »
Néanmoins, le tempérament d’Evelyne montre qu’elle saura de nouveau rebondir, aller de l’avant, se nourrissant de cette expérience formatrice pour ne pas réitérer ce qu’elle considère comme une erreur.
« Je conseille aussi aux professeurs qui ont des passions, envie de faire quelque chose en plus, d’essayer de les mettre en œuvre, de les vivre à 100%. Dans la vie, il faut suivre ses envies, ses idées, car le temps joue contre nous ».
9. Que pense Evelyne de la création d’une association comme Aidoprofs ?
« C’est une excellente idée : beaucoup de mes amis auraient aimé se réorienter. Mais professeur, c’est un sacerdoce : on a du mal à quitter ce métier pour autre chose, car chaque professeur, au fil des ans, développe une déontologie très forte, avec à cœur la réussite des élèves qui lui sont confiés. »
Pour rebondir sur l’une des réponses d’Evelyne, Aidoprofs, c’est 100% de passion pour l’accompagnement à la mobilité professionnelle des professeurs qui ont un projet, ou qui en émettent l’envie, dès lors qu’ils ont les compétences professionnelles et la formation nécessaires pour le mettre en œuvre. En créant Aidoprofs, nous avons suivi notre envie, nos idées, pour qu’il existe au moins une association en France où l’enseignant qui nous contacte sait qu’il peut être écouté et compris dans son projet de mobilité dans un espace totalement déconnecté de toute relation professionnelle et/ou hiérarchique. Pour offrir un regard neutre au professeur, pour être à ses côtés sans l’influencer, pour le soutenir au fil des étapes d’une reconversion, quelle qu’elle soit, en lui donnant confiance en lui, en le motivant, en lui permettant, de nouveau, comme il a su le faire avec ses élèves en début ou en cours de carrière, de donner le meilleur de lui-même pour cette nouvelle étape de sa vie active.