Par Rémi Boyer de l’association Aidoprofs
Le projet de Loi déposé par le ministre du Budget Eric Woerth vient d’être adopté par le Sénat, et est actuellement en cours d’analyse à l’assemblée nationale.
Ce texte présente des avancées majeures, mais constitue aussi une fragilisation du statut de fonctionnaire, et nous vous recommandons de le lire:
http://www.marianne2.fr/Exclusif-le-gouvernement-ecorne-la-garantie[…]
La mobilité est un droit et devient un atout pour chaque fonctionnaire, qui a la possibilité de partir à tout moment, moyennant un préavis de trois mois, avec un maximum de six mois. Ce point là nous inquiète, car les professeurs risquent encore d’être écartés d’un dispositif qui privilégie toujours et encore les fonctionnaires non liés par le calendrier scolaire. En effet, comment un professeur pourra-t-il donner un préavis de trois mois sans savoir si une autre administration pourra l’accueillir ?
Actuellement, tous les textes parus sur la mobilité professionnelle tendent à oublier que les professeurs du public sont aussi des fonctionnaires, puisqu’ils ignorent le carcan que représente, sur le plan temporel, le calendrier scolaire. Jusqu’alors, la majorité des rectorats ont tendance à écarter tout départ en dehors du 1er septembre, pour ne pas perturber l’organisation des classes, tandis que les demandes de disponibilité doivent être anticipées de six à neuf mois: pourquoi ce qui est faisable au niveau de l’emploi des titulaires sur zone de remplacement et pour le remplacement des professeurs en congé de maladie de courte durée ne le serait-il pas aussi pour ceux qui souhaitent partir en cours d’année scolaire occuper un autre poste, dans une autre administration ?
C’est en cela que la loi Woerth risque d’être inapplicable pour les professeurs.
Pour les fonctionnaires qui auront perdu leur poste après une restructuration de leur service, un service d’accompagnement est prévu pour une durée de 6 mois à deux ans : de quel type d’accompagnement parle-t-on ici ? S’il est réalisé par l’ANPE, ou un cabinet privé, alors que l’Etat manque d’argent, ne risque-t-il pas d’y avoir des « accompagnements » accordés et d’autres refusés, en fonction des compétences de l’individu ou des « nécessités de service » ?
Actuellement, le fonctionnaire a droit à un congé de formation professionnelle, selon la loi. Dans de nombreuses académies, d’après les centaines de témoignages des professeurs qui contactent Aidoprofs, il n’est pas rare de devoir renouveler sa demande de congé trois à huit années de suite avant d’obtenir satisfaction, et dans certains cas, rien du tout…faute de budget.
Aussi, l’institution d’un service d’accompagnement à la reconversion nous semble devoir exister au même rythme que la « seconde carrière » promise aux enseignants dans l’article 77 de la Loi Fillon en 2003 : il faudra beaucoup de temps avant que ce type de dispositif puisse se mettre en place et bénéficier à tous ceux qui en émettent le besoin. Par ailleurs, cette « seconde carrière », destinée à permettre à des professeurs d’intégrer d’autres cadres d’emplois, suscite des réaction par les autres corp diverses et variées de fonctionnaires qui n’en bénéficient pas pour l’instant: http://www.vagabondages.org/post/2008/03/11/La-seconde-carriere-des-enseignants
Ne serait-il pas plus économique de créer un nouveau métier au sein de la Fonction Publique : conseiller en mobilité professionnelle ? Conseiller en mobilité professionnelle à distance, comme le propose notre association Aidoprofs depuis sa création en juillet 2006 ?
Au sein de l’Education nationale, ce métier pourrait être exercé par des professeurs qui ont réalisé au moins une mobilité professionnelle au cours de leur carrière (en détachement, en mise à disposition, ou via une disponibilité) et seraient les mieux à mêmes de connaître, en l’absence de référentiel détaillé (pour l’instant), les compétences développées par un professeur et les compétences qu’ils peuvent transposer dans les autres métiers.
Cette fonction permettrait, si elle était occupée par d’anciens professeurs, de leur redonner confiance dans leur administration pour les aider dans leur reconversion, tout en leur donnant accès à une « seconde carrière ».
Depuis 22 mois, les échos des centaines de professeurs qui contactent l’association Aidoprofs de toutes les académies (métropole et DOM) concordent: pour être accompagné par l’administration vers une reconversion, dans la grande majorité des cas, il faut d’abord être découragé, et même mieux: déprimer, ne plus avoir d’autorité sur ses élèves, être complètement démotivé. Est-ce dans cet état d’esprit que l’on peut favorablement se lancer dans une reconversion ? Tous les professeurs interviewés jusqu’alors indiquent que non, bien sûr.
Actuellement et depuis la fin des années 90, les cellules d’aide aux enseignants ont surtout été pensées pour assister le professeur dans ses difficultés : assistantes sociales et psychologues se relaient à son chevet, pour le maintenir dans son métier, avec un dispositif fait de reclassements dans une autre discipline, de stages d’aide à la prise en main de publics difficiles, de congés maladies, d’occupations thérapeutiques et de postes en PACD et PALD., etc. En matière de soutien dans le cadre des difficultés de santé (physique, psychologique, sociale), l’aide procurée est efficace et bien rôdée.
Mais lorsque l’on est bien portant, et que l’on souhaite quitter l’enseignement par pur choix personnel, sans passer par la case « inspection » ou « chef d’établissement », c’est tout simplement « mal vu »…on ne comprend pas bien comment un professeur apprécié de ses élèves et aimant son métier peut désirer en changer…et son accompagnement ne constitue pas une priorité. Ce qui permettrait de fluidifier les richesses humaines et de les enrichir de nouvelles compétences, au lieu d’engendrer de la frustration et de la démotivation, n’est pas suffisamment exploité. Nous le regrettons, et espérons que la Loi Woerth fera évoluer les manières d’agir.
Un autre point nous soucie: les concours internes seront ouverts aux ressortissants communautaires: très bien, cet ouverture à l’Union européenne, mais en est-il de même dans les autres pays de l’Union ? Cette mesure ne va-t-elle pas avoir pour principal effet de réduire le nombre de promotions aux concours internes des différents agents, du fait d’une concurrence nettement accrue ?
Ce texte de loi prévoit aussi un plus grand recours aux contractuels, avec un développement de l’intérim: en effet, employer des contractuels, c’est pour l’Etat se donner les moyens d’une flexibilité sans précédent, permettant de s’adapter aux besoins de l’activité de chaque ministère. Ce développement des contrats précaires se produit déjà au CNED d’après ce blog, repéré sur le web, qui a permis la conception du premier dispositif de « grève ouverte à distance » (nous proposons donc ce nouveau sigle : GOAD) entre les différents instituts d’après son contenu : http://precaritecnedrouen.blogspot.com/
Cette situation de tension peut-elle se développer dans les EPA et EPLE, et dans les différentes administrations ? Faut-il s’en alarmer ou en accepter la potentialité ?
Le texte de la loi Woerth présente-t-il des avantages ? Oui, puisqu’il permettra enfin, souhaitons-le, la reconnaissance des compétences acquises dans différents postes, la construction de parcours de carrière cohérents, des perspectives d’évolution et de promotion à chaque étape de la vie professionnelle, avec un détachement possible entre corps et cadres d’emplois de même catégorie et aux niveaux de responsabilité équivalents. Ainsi, en théorie, il sera plus facile de migrer d’une fonction publique à l’autre, que l’on soit professeur ou non.
La grande nouveauté est de taille, intéressante à plus d’un titre pour les professeurs : désormais, le fonctionnaire détaché bénéficiera d’un droit à l’intégration au terme d’une durée maximale qui ne pourra excéder cinq ans, alors qu’actuellement, il était contraint de renouveler son contrat (de 1 à 5 ans) et de réintégrer son administration d’origine sans que son expérience professionnelle ne soit valorisée.
Pour les professeurs, la réintégration après un détachement n’est actuellement guère facilitée : en effet, même si le professeur bénéficie de 1000 points pour retrouver son ancienne académie à l’inter puis son ancien département à l’intra, c’est attacher en fait peu d’importance à l’effort accompli. Il serait plus valorisant pour le professeur qui a diversifié ainsi son parcours de carrière de bénéficier de 1000 points à l’intra sur un « groupe de communes », afin de lui permettre de retrouver un emploi dans une zone géographique proche de sa résidence personnelle. Cette mesure aurait l’avantage de favoriser la rotation des postes en détachement, décuplant les possibilités de « seconde carrière » temporaires, alors qu’actuellement, beaucoup de postes en détachement sont reconduits de manière tacite jusqu’à la retraite de ceux qui les occupent. De ce fait, le mouvement des détachements manque de dynamisme.
Plus d’une centaine d’anciens détachés (ceux qui ont réintégré) qui ont contacté Aidoprofs depuis 2006 nous ont fait part de leurs déceptions que leur professionnalisation nouvelle n’ait même pas attiré l’attention de leur inspecteur, et que leurs propositions de contribuer à la formation de leurs pairs dans leurs différents domaines de compétences n’aient, à de rares exceptions près, pas été acceptées. Là aussi, une meilleure prise en compte des compétences est attendue, et pourrait aller de pair avec l’application de la future loi.
Enfin, un autre atout de taille est proposé par la loi Woerth : les avantages de carrière (avancement d’échelon et de grade) obtenus en détachement pourront être pris en compte au retour : le texte n’est pas assez clair sur ce point, mais laisse présager une meilleure reconnaissance des compétences acquises sur d’autres postes que ceux de sa carrière d’origine : ainsi, actuellement, lors d’un détachement dans les CNDP-CRDP-CDDP, les CNED, le CIEP, l’INRP, les professeurs bénéficient de deux échelons de plus (qu’ils perdaient lors de leur réintégration). Obtenir un détachement constituerait donc pour ceux qui « sautent le pas » un accélérateur de carrière.
Ce mois-ci, Aidoprofs a demandé une audience à l’un des membres du cabinet du Ministre du Budget, afin d’attirer leur attention sur les points qui nous préoccupent, pour que le texte de la Loi Woerth puisse aussi concerner les professeurs, en les affranchissant des contraintes posées par ce calendrier scolaire qui handicape leur mobilité professionnelle –hors mutations- actuellement. Notre association n’ayant pas beaucoup d’adhérents, bien que ses objectifs concernent potentiellement tous ceux concernés statutairement (plus de 15 ans d’ancienneté) par une « seconde carrière » (soit plus de 300 000 professeurs), et tous ceux qui souhaitent diversifier leur parcours de carrière autrement qu’en enseignant, nous ne savons pas encore, à l’écriture de ces lignes, si notre appel sera entendu.
Nous espérons aussi qu’enfin, le regard porté sur les professeurs qui souhaitent réaliser leur mobilité professionnelle après quelques années ou quelques décennies d’activité se modifie:
– ce n’est pas parce que l’on n’enseigne plus que l’on ne travaille plus (les emplois administratifs en détachement sont tout aussi prenants, voire plus),
– ce n’est pas parce que l’on n’enseigne plus que l’on ne pratique plus la pédagogie (de nombreux postes en détachement permettent de la mettre en œuvre autrement, tout en bénéficiant aux élèves, comme ceux qui réalisent leur scolarité à distance avec le CNED par exemple),
– ce n’est pas parce que l’on a été recruté comme professeur qu’il faut obligatoirement exercer ce métier toute sa vie (une récente étude de la MGEN évoque les phénomènes d’usure, les problèmes de santé liés aux extinctions de voix, etc),
– ce n’est pas parce que l’on a été professeur que « l’on ne sait rien faire d’autre » : tout professeur a développé au cours de sa carrière de nombreuses compétences, et les interviews que nous avons menées jusqu’alors nous ont montré que chaque professeur possède des compétences transférables intéressantes, sous forme de savoir-être et de savoir-faire : adaptabilité, écoute, sens du service public, communication, gestion d’équipe, gestion de projet, organisation, animation…il serait temps que tous les ministères comprennent qu’un professeur est adaptable dans de nombreuses fonctions, si on lui donne sa chance lorsqu’il candidate sur un poste…ce qui est loin d’être le cas actuellement, car les préjugés perdurent (« toujours en vacances », « toujours en grève », « en-dehors d’enseigner, que savez-vous faire d’autre ? »),
– ce n’est pas parce que l’on souhaite partir en détachement que l’on cherche à quitter définitivement son ministère : « prendre un peu l’air » fait parfois beaucoup de bien, surtout pour un professeur : au rythme de l’agitation des classes, du niveau de décibels, des extinctions de voix récurrentes pour certains professeurs, il est essentiel, pour « durer », de pratiquer d’autres activités professionnelles, de « respirer » sur d’autres types de fonctions, de briser la routine liée à l’enseignement répétitif des programmes scolaires, surtout depuis qu’une vie active atteint 41 années : enseigne-t-on aussi bien à 65 ans qu’à 25 ans ? Combien de professeurs, dans les années futures, prolongeront leur activité jusqu’à 65 ans voire 70 ans, pour ceux qui ne sont entrés dans l’enseignement qu’après une thèse ou plusieurs tentatives au concours d’entrée ?