Par Cyril Froidure
Plusieurs semaines de battage médiatique autour du Grenelle de l’environnement ont été suivies de nombreuses autres d’un silence médiatique qui nous amène à cette question : Où en est le Grenelle ?
D’aucuns diront qu’après les médias le néant, d’autres que le temps de l’action est un temps long mais il n’est pas inutile de chercher à savoir ce qu’il en est d’un processus présenté par le président de la République comme étant une sorte de révolution culturelle à la française.
Pour s’informer officiellement, on peut dès à présent lire la lettre du Grenelle dont le premier numéro date de mars. Dans celui-ci, bien sûr un édito du ministre rassurant sur la mise en action du Grenelle. La lettre s’articule autour, semble-t-il, de quatre rubriques : à l’affiche, des engagements aux actes, dans les coulisses du Grenelle, initiatives. Parmi les informations délivrées, un lien vers les 33 chantiers, la signature d’une convention pour un commerce responsable entre le Medad et les entreprises à prédominance alimentaire, les enseignes de commerce et de distribution, l’annonce du lancement d’une fondation scientifique pour la biodiversité…Enfin, une curiosité, les mots du Grenelle avec pour commencer deux mots simples à placer dans une conversation : grenellocompatible et extranelle, pour le premier, tout le monde devine le sens quant au 2ème, il s’agit « d’un néologisme désignant les sites extranet qui ont été conçus par le Medad pour les six groupes de travail et les deux intergroupes déchets et ogm. S’y ajoutent les extranelles réservés à chaque comop et qui constituent leur outil de travail en réseau » » Oui mais c’est à que le quidam pourrait se dire : qu’est-ce qu’un comop ? Simple, c’est une contraction de comité opérationnel !
1re conclusion du Grenelle : il aura grandement contribué à enrichir la langue française.
http://www.legrenelle-environnement.fr/IMG/pdf/4_-_33_chantiers_-GE-.pdf
http://www.legrenelle-environnement.fr/grenelle-environnement/spip.php?rubrique164
Maintenant, on peut confronter la parole officielle et celle des ONG. Rappelons que ce sont celles-ci qui ont mis la pression lors de la campagne présidentielles pour que se tienne un rendez-vous de l’environnement et du développement durable. Nicolas Sarkozy, élu, a tenu parole et encore une fois les associations ont joué un rôle de taille dans son déroulement. Il faut se rappeler qu’au soir de la phase 3, toutes étaient unanimes pour reconnaître le caractère exceptionnel et les avancées réelles mais dès le mois de décembre, les premières déceptions se sont faites jour au sujet de l’éco-pastille, des ogm. Rue 89 nous propose une série d’interviews croisées, entre Nathalie Kosciusko-Morizet et des portes-paroles d’associations de défense de l’environnement, grâce auxquelles on sent que l’ « Union sacrée » du Grenelle s’est évanouie au moins sur les sujets qui fâchent et que le Grenelle avait, pour partie, esquivé. Se voulant rassurante, la secrétaire d’état à l’écologie précise que « nous sommes dans une phase d’accouchement de la loi sur le Grenelle ». Accouchement délicat si l’on prend en compte l’intervention du président au congrès de la FNSEA lors duquel il n’évoqua aucun des thèmes « agricoles » traités par le Grenelle, y compris le projet de loi sur les OGM.
http://rue89.com/2008/03/22/ogm-autoroutes-aeroports-lesprit-du-grenelle-contrarie
http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/319091.FR.php
Le Grenelle en action.
L’aéroport de Lyon
A l’aéroport Saint-Exupéry, on cherche les moyens de se mettre en accord avec les annonces du Grenelle. Parmi les procédés imaginés pour réduire les émissions polluantes : réfléchir sur la façon de faire atterrir les appareils, alimenter les avions au sol par électricité, mettre en place la compensation carbone…
http://libelyon.blogs.liberation.fr/info/2008/03/le-grenelle-de.html
Les OGM
La première semaine d’avril fut celle d’âpres discussions sur le projet de loi sur les OGM, modifié en février par le Sénat, y compris au sein de l’UMP comme l’illustre la mise au placard du sénateur Jean-François Legrand. Celui-ci avait émis des « doutes sérieux » sur le MON 810 lorsqu’il dirigeait le comité de préfiguration de la Haute Autorité sur les OGM. Aujourd’hui, il dénonce le lobbying de Monsanto, affirmant que des membres de l’UMP servent les intérêts du semencier et considère qu’il faut « continuer la recherche et ne pas se précipiter dans la prise de décision ».
Précédant les débats à l’assemblée, le projet de loi a reçu l’aval de la commission des affaires économiques de l’assemblée, du moins les voix de la majorité présidentielle. Par ailleurs, confédération paysanne et FNSEA ont fait entendre leurs avis contraires. Le débat sur le projet de loi devrait valoir le détour quant on sait que même Jean-Louis Borloo lui-même trouve des défauts au projet amendé (voir interview donnée à France Info) et que plus de 400 amendements ont été déposés.
Le vote et les discussions autour de cette loi représente un vrai test pour le Grenelle et donc pour la crédibilité du gouvernement Fillon, du président Sarkozy or celle-ci semble déjà entamée auprès des associations et ONG qui craignent un recul face aux intérêts économiques en jeu.
Or après plusieurs jours de débat, un seul article a été adopté, modifié par un amendement déposé par le député communiste du Puy-de-Dôme André Chassaigne, cette modification indiquant que les ogm ne pouvaient être utilisés que « dans le respect des structures agricoles, des écosystèmes locaux, et des filières de production et commerciales qualifiées sans organismes génétiquement modifiés ». Pour Noël Mamère, victoire il y a mais « symbolique » et obtenue grâce au soutien de quelques députés UMP ; le même député vert égratigne au passage le rapport Attali s’opposant au principe de précaution et le Grenelle de l’environnement traité d’ « enfumage ».
Epilogue de la présentation du projet de loi à l’assemblée, son vote par 21 voix d’écart avec 100 abstentions le mercredi 9 avril 2008 avec un jour de retard du à la longueur des discussions et les échanges « cordiaux » au sein de la majorité : attaques multiples des ténor de la majorité (Copé et Ollier) visant Nathalie Kosciusko-Morizet, réplique de celle-ci accusant ceux-ci de lâcheté et égratignant au passage Jean-Louis Borloo coupable selon elle « d’assurer le minimum ». Conclusion de ces charmants échanges, la secrétaire fut sommée de s’excuser et punie d’assemblée nationale le jour du vote et de voyage au Japon.
http://www.france-info.com/spip.php?article117136&theme=81&sous_theme=188
http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/318965.FR.php
http://www.lemonde.fr/web/chat/0,46-0@2-823448,55-1029972@51-1019229,0.html
Les OGM en Europe.
http://www.lemonde.fr/web/vi/0,47-0@2-3244,54-758550@51-1019229,0.html
A propos du Grenelle de l’environnement, la documentation française a publié en février un numéro spécial Grenelle dans « Regards sur l’actualité »
Regards sur l’actualité tente d’établir un bilan sur la méthode et les apports de ce processus révolutionnaire si l’on reprend les termes du président de la République. Dans son éditorial, Bruno Denis rappelle l’atmosphère constructive des échanges pré-Grenelle et lors de la phase 3 mais ne crie pas au triomphe tant, le rappelle-t-il, des blocages existent, notamment parmi les acteurs peu sollicités lors de ces journées.
Daniel Boy cherche, dans un premier article à identifier les spécificités du Grenelle qui en ferait un temps de concertation et de négociation innovant. Revenant sur les différentes phases du processus, il rappelle que l’esprit du Grenelle a une histoire mais ce temps de la fin 2007 a eu pour principal intérêt de permettre à des acteurs souvent opposés de discuter, évitant le rejet à priori.
S’agissant de la lutte contre le changement climatique, les groupes 1 et 2 de réflexion ont listé toute une série de mesures destinées « à limiter et corriger les externalités négatives que certains activités humaines exercent sur le biens rares » selon Philippe Rossinot. Innovation, changement de modes de vie, de façons d’agir, mesures techniques constituent le socle des mesures proposés mais au-delà de ce qu’il faut faire, l’auteur rappelle l’absolue nécessité d’une volonté politique forte, d’un vouloir agir de la population, les deux n’étant pas acquis tout comme le financement des futures dispositions pratiques.
Reconnus dès 2004, les risques liés à la santé furent inégalement pris en compte lors du Grenelle ; autant, pour Benoît Vergriette, des avancées réelles eurent lieu (plan particules, retrait de certains produits à l’horizon 2010), autant, le consensus fut plus délicat à trouver, exemple en est des discussions sur la réduction des phytosanitaires.
Alors le Grenelle = France à l’heure du développement durable ? Olivier Godard du CNRS l’affuble du surnom de « tigre de papier » et voit en lui, plus un rattrapage du temps perdu dans le domaine de l’environnement qu’une avancée sur le chemin d’un développement durable. Pierre Lascoumes abonde dans le même sens ; des paramètres vont dans le sens d’une mise en œuvre du Grenelle : la prise de conscience à tous les niveaux locaux, nationaux et internationaux, la création du Medad mais il enjoint de ne pas perdre de vue des obstacles de taille. Ainsi il relève le manque de cohérences des politiques publiques telles que le grand nombre d’exceptions « au principe de gel des capacités routières et aéroportuaires ». A cela s’ajoutent tous les dossiers chauds, OGM, l’eau qui ne manqueront pas de poser problèmes sans parler des éventuels freins institutionnels (haute administration, parlementaires). Dans une interview, Dominique Bourg, directeur de l’institut de politiques territoriales et d’environnement humain et vice-président du groupe 6 du Grenelle, reprend en gros toutes les conclusions des autres articles, précisant sur le volet économique du développement durable les alternatives envisagées en termes de modèles économiques : l’économie circulaire basée sur les 3R (réutiliser, remanufacturer, recycler) pour utiliser au maximum les matières premières, l’économie de fonctionnalité pour laquelle « le profit ne découle plus du bien mais de l’usage qui en est fait ».
Au final, le propos de ce numéro est nuancé présentant atouts et points faibles du processus Grenelle car il faut bien le dire, que l’on soit critique ou optimiste, il reste difficile de tirer des conclusions à ce jour ; peut-être le bilan pourra-t-il être fait en octobre prochain lors de son premier anniversaire.