COMMENTAIRES sur le premier paragraphe introduisant les documents d’accompagnement publiés par le MEN, en parallèle avec le BO N°0
Anne-Marie GIOUX
Ce que dit le projet :
PROGRESSIONS DES APPRENTISSAGES POUR L’ECOLE MATERNELLE
« A l’école maternelle, les écarts d’âge entre les enfants, donc de développement et de maturité, ont une importance très forte ; le fait que le français soit ou non la langue de la famille joue également sur la vitesse des acquisitions. Les décalages entre enfants d’une même section ne sont pas, en général, des indices de difficulté ; ils expriment des différences qui doivent être prises en compte pour que chacun progresse dans son développement personnel. Les enseignants veilleront à éviter tout apprentissage prématuré.
Les tableaux suivants donnent des repères pour l’organisation par les équipes pédagogiques des progressions et des projets pédagogiques. Ils ne constituent pas des référentiels pour une évaluation normative des élèves à la fin de chaque section. »
Mes commentaires :
PROGRESSIONS DES APPRENTISSAGES POUR L’ECOLE MATERNELLE
PS-MS-GS= cycle 1. Pourquoi ne pas le rappeler , en écho à la page 3 du BO n°0 20-02-08 ?… et la TPS?
On constate la disparition des nuances construites depuis 15 ans en formation entre « progression, programme de travail, programmations »:
Le terme progressions révèle une conception a priori du rythme, des besoins, des modalités de l’enseignement (et non des apprentissages)… « adulto-centrée », méconnaissant les aléas des démarches et des erreurs qui sont inéluctablement disparates dans une classe, mais qui peuvent aussi être variées pédagogiquement, diversifiées ou différenciées selon les besoins du groupe ou d’élèves particuliers .
La « progressivité » conçue sur la base d’une année /un programme, c’est-à-dire calquée sur le découpage annuel et disciplinaire de l’enseignement secondaire se borne à une liste de « capacités » – cf le terme « est capable de » .Où sont les compétences du Socle Commun ? Cela renvoie aussi à une représentation des apprentissages : linéarité des parcours, allant du simple au complexe, groupe faussement homogène, « niveau » des élèves… ce qui induit donc une évaluation de type sommatif ou normatif.
« décalages entre enfants d’une même section » : quid des écoles à plusieurs cours, des organisations rurales ? des choix éducatifs et pédagogiques fondés sur le tutorat (entre PS et GS par ex) ?
Quelle image de l’école, urbaine (parisienne ?) cela véhicule-t-il ?? Qui parle et de quelle école ?Avec quelle culture pédagogique ?
« A l’école maternelle, les écarts d’âge entre les enfants, donc de développement et de maturité, ont une importance très forte ; »
les deux notions évoquées – développement /maturité- renvoient à des conceptions différentes. Autant on peut définir le développement (à partir des recherches psycho-sociales ou physiologiques), autant l’idée de « maturité » appliquée à la petite enfance relève de conceptions archaïques de l’intelligence et de l’affectivité. On l’emploie sans doute avec plus de justesse dans la post-adolescence.
Il est intéressant de rapprocher ce paragraphe de la p.4 du BO, qui traduit bien l’incohérence profonde des références théoriques des différents auteurs de ces textes de 2008.
« En répondant aux divers besoins des jeunes enfants qu’elle accueille, l’école maternelle soutient leur développement… » BO p.4
Si le terme BESOINS semble premier et donc essentiel, il est contredit par deux autres termes révélateurs : on a depuis longtemps posé la complémentarité sociale de l’ « acccueil » à l’école maternelle et de l’éducation/instruction ( indissociables) qu’elle procure aux élèves. Le premier est lié à sa vocation de protection, et aux besoins premiers des enfants (donc pour les TPS, les besoins de développement qui légitiment un accueil précoce, dont on sait le bénéfice pour les enfants de familles socialement peu avantagées dans leur rapport aux savoirs scolaires). En revanche, la fonction de scolarisation et d’acculturation relève d’une intervention active et délibérée, stratégiquement conçue par des enseignants professionnels… qui ne se réduit certainement pas à l’acte de « soutenir ».
Le « SOUTIEN » est un terme encore rémanent dans les textes pédagogiques du second degré, qui méconnaît la mise en oeuvre de DIFFERENCIATIONS mieux adaptées aux théories contemporaines de l’apprentissage chez les enfants plus jeunes. Métaphoriquement, le soutien présupposerait la faiblesse (intrinsèque ?) de l’enfant et le protectorat ( posture professionnelle?) des enseignants d’école maternelle.
« le fait que le français soit ou non la langue de la famille joue également sur la vitesse des acquisitions. »
Ce renvoi à un terme soulignant ce qui quantifie les acquisitions en termes de TEMPS passé… donc de « retard ou de précocité » est un révélateur de ce qui est sous-jacent aux textes proposés : l’enjeu de la première école serait-il d’entamer une course de vitesse ?
Quels buts? Quelles stratégies pour arriver … avant les autres? Si – cf p 4 du BO..- « l’école maternelle a pour finalité (sic) d’aider chaque enfant , selon des procédures adaptées ( en terme de rapidité ?) à devenir autonome et à s’approprier des connaissances afin de réussir les apprentissages fondamentaux, principalement en lecture, en écriture et en calcul, au cours pérparatoire « BO p4 1er §…cela revient à donner aux 4 ou 3 premières années de l’école maternelle une vocation principalement propédeutique, comme si il n’y avait pas d’apprentissages premiers, essentiels en termes de cadres pour la pensée et l’action, indispensables transversalités des connaissances de base, avant toute entrée prématurée dans des « champs disciplinaires!
Que dit à ce propos le texte du BO (p4)?
» Le programme de l’école maternelle, sans horaire contraignant (concession magnanime à la globalité du premier degré, et au mode particulier d’approche des connaissances par des enfants de 2 à 6 ans !) présente les grands domaines d’activité (en termes de didactique générale, conçue dans la transversalité pour l’école maternelle, on peut parler de champs d’apprentissages, de domaines de compétences, de connaissances et d’attitudes, mais un domaine d’activité, qu’est-ce ??) à aborder sur (sic) les trois années qui précèdent l’entrée dans la scolarité obligatoire …«
L’incorrection stylistique traduit souvent l’embarras et la confusion de la pensée… la construction erronée « aborder sur » qui n’ose, ou ne veut préciser le rythme, la périodicité ou l’étalement temporel de l’étude sur le cycle 1… et du coup reste en deçà de l’annonce de la page précédente » L’ambition retrouvée ( est-elle… compatible avec « aborder » seulement ???) de l’école primaire passe par des programmes plus courts , plus clairs ( ??) et plus ambitieux... ».
On passera avec indulgence sur le poncif politique des retrouvailles avec l’exigence que les prédécesseurs n’avaient pas eue dans leur conception des programmes précedents, si récents ( 2002-2005)
Cependant le message est clair au moins sur un point : le compte à rebours est commencé , et avec lui, la course et les performances observables , comme si l’école maternelle ne servait de fait que d’anti-chambre à la scolarité obligatoire, à l’ » enseignement structuré et explicite, orienté vers les savoirs de base, … offrant des entrainements systématiques, … ainsi que de solides repères culturels »(BOp3)
Dès lors, on peut effectivement regarder « les progressions d’apprentissage » d’un oeil averti :
« Les décalages entre enfants d’une même section ne sont pas, en général, des indices de difficulté ; ils expriment des différences… ».
Décalages, difficultés, différences … le glissement sémantique n’est pas anodin : il traduit :
– une idée fallacieuse d’un « calage » optimal homogénéisé des niveaux de savoirs ( ou de développement face aux contraintes des entraînements systématiques ?) en niveaux de classe
– une évocation à mots couverts grâce à une restriction rhétorique ( « ils ne sont pas en général ») des problèmes liés à l’hétérogénéité, sous forme « d’indices » … à détecter : handicaps, disharmonies de développement, blocages temporaires ou durables… que de difficultés et d’embûches pour un enfant qui veut jouer pour apprendre, comme Wallon, Montessori, Winnicott , ont pu le mettre en évidence !
Pourquoi ne pas évoquer la problématique des RYTHMES différents des apprentissages, surtout chez le jeune enfant ?
– . ».. des différences qui doivent être prises en compte pour que chacun progresse dans son développement personnel ». Les enseignants veilleront à éviter tout apprentissage prématuré. »
On retrouve les vieux démons scolaires de la précocité et des passages anticipés, du forcing et du stress…dont on connaît les dégâts à long terme ( cf. évaluations internationales PIRLS, PISA, OCDE).
Mais pourquoi n’apparaissent dans ces textes aucun écho aux recommandations récentes (Socle, Rapport IGEN 2005-079, rapport OCDE, stratégie de Lisbonne et objectifs pour 2010) sur les besoins de changer les modes de réussite de notre système : élèves timorés, peu créatifs, stress généralisé .. et précoce. Comment y remédier dans une pédagoggie de la répétition, de la réitération, du modèle « dicté » par le maître : pensée unique et productions stéréotypées sont-ils nos ambitions pour les enfants scolarisés au 21è siècle, dans ce pays d’Europe qui s’appelle la France ?
On voit que les auteurs du texte ont hésité, reviennent sur l’idée de différence à prendre en compte. Mais on est loin d’évoquer le rôle primordial des interactions socio-cognitives dans ce développement :
Bruner et Vygotsky, Perret-Clermont, Doise, Mugny … pourraient être des lectures intéressantes pour ceux et celles des auteurs des textes qui paraissent ignorer les concepts de « déstabilisation optimale », de conflit socio-cognitif, de situation problème, de balisage, d’étayage …
Qu’on n’objecte pas l’argument du jargon : l’enseignant est un professionnel, il construit une pratique complexe, largement irriguée de références contemporaines; il possède une culture d’un peu plus de 800 mots … et jargon pour jargon, je demande à tous de relire la première phrase, première colonne ( petite section) de ces fameuses progressions, que je cite ci-dessous :
« L’enfant de 3 ans s’empare du langage et il le perfectionne par paliers, selon ce que son décodage auditif (?) et intelligent (!) lui apprend de ses (??) procédés de construction, puis de la façon de les intégrer les uns dans les autres (sic…) pour aboutir à des phrases de plus en plus complexes . »
Vous avez dit « programmes plus clairs « ?