Nouvelles orientations ministérielles « bon sens »… ou « sens commun » ?
« Il faut rétablir le calcul, l’orthographe, la grammaire, la morale… » A en croire le président de la république, les ministres… et beaucoup de journalistes qui construisent l’opinion, on n’apprend plus rien à l’Ecole ! Mais alors, que fait-on en classe ? « Garderie » comme l’affirme Jean-Paul Brighelli ? Quelle méconnaissance de la réalité… et quel mépris pour les maîtres !
On nous demande de revenir aux pratiques des années 50 (dont il faut se souvenir qu’elles avaient été abandonnées pour cause d’inefficacité sur une frange importante d’élèves !). Depuis, de nombreuses recherches nous ont éclairés sur ce qu’est un élève et sur la manière dont il apprend ; les nouvelles propositions les évacuent d’un revers de manche.
Quand on est « en crise », quand on ne connaît pas, on se raccroche à des stéréotypes, en pensant faire preuve de bon sens quand ce n’est que du sens commun ! On confond le simple avec le simpliste, la rigueur avec la rigidité ! |
La didactique est une discipline complexe que les journalistes et les hommes politiques ne connaissent pas. Lors qu’ils vont consulter des spécialistes, ils recherchent les quelques rares personnes qui ont encore tendance à se cramponner aux méthodes traditionnelles qui les rassurent. La Finlande qui, comme chacun le sait, a les meilleurs résultats du monde, est très largement ouverte aux pédagogies nouvelles. Si la France recule, cela est essentiellement dû à un problème social, sociétal : les « bons élèves » sont toujours là, ce sont les plus démunis qui font « baisser la moyenne ». N’oublions pas, comme nous l’a fait remarquer Philippe Meirieu, que les ZEP, qui devaient avoir des moyens renforcés…, ont coûté moins cher que les établissements des centres-villes !
Revenir aux « bonnes vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves »… mais les preuves de quoi ? Seulement 10 à 15% des enseignants les utilisent, et si les résultats lamentables sont le fait des méthodes pédagogiques choisies, comme on l’affirme partout, c’est donc elles qu’il faut remettre en cause !
Les « nouveaux » programmes nous font revenir plusieurs décennies en arrière.
Dorénavant, il faudra que « la grammaire, le vocabulaire, et l’orthographe » soient « abordés de manière explicite ». Ce n’est pas parce qu’on parle d’organisation réfléchie de la langue qu’on ne fait pas de grammaire ! Une « grammaire réfléchie » est construite au lieu d’être plaquée. Dans la vie, on n’utilise pas la grammaire « pour la grammaire » mais pour communiquer, pour comprendre le monde qui nous entoure… La grammaire est une boîte à outils. Le plombier n’utilise pas ses outils « pour les utiliser » mais parce qu’il en a besoin pour mener à bien un projet ! De ce fait, il ne faut pas faire 10 heures de français par semaine… mais 24 ! Il faut que l’apprentissage de la langue soit présent à tous les instants, dans toutes les disciplines. Ce qui implique que les sciences sociales et expérimentales ne soient pas reléguées à « plus tard » mais bien présentes puisque ce sont elles qui donnent du sens aux apprentissages, qui permettent de ne pas faire de la grammaire « à vide » !
• L’instruction civique et la morale doivent remplacer l’éducation civique ? Nous repassons du ministère de l’éducation nationale à celui de l’Instruction publique ?
L’éducation, permettant de devenir un citoyen autonome et responsable, ne se dicte pas, ne se fait pas en expliquant les structures de l’état et en faisant apprendre des maximes, mais en la vivant, en la discutant, ce qui permet de prendre conscience du sens dont elle est porteuse. Il ne faut pas se contenter de faire apprendre les lois mais aussi (surtout ?) de faire éprouver le besoin de la loi comme facteur de liberté et non d’enfermement et de répression !
En conclusion, il faut bien une refondation de l’Ecole… mais pas n’importe laquelle ! S’appuyer (lourdement) sur les mauvais résultats de la France, permet d’augmenter l’angoisse des maîtres et des parents… et de faire accepter toutes les réorientations simplistes, politiquement orientées. Il faudra dix ans pour en mesurer les dégâts ! Ce qui manque cruellement, c’est la formation des maîtres, qui leur permettrait de mettre en œuvre les pédagogies nouvelles de manière efficace. Elle ne cesse de baisser (économies obligent !). Ce qu’il faut aussi mettre en œuvre d’urgence, c’est un traitement cohérent des problèmes sociaux et ethniques.
Méfions-nous d’une approche très mécaniste des apprentissages. Puisqu’on nous laisse (un peu) le choix de notre pédagogie, ne nous décourageons pas !
Gérard De Vecchi
Maître de conférences en sciences de l’éducation
Voir : Gérard De Vecchi, Ecole : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir, Delagrave 2007.
…et http://www.EveryOneWeb.fr/gdevecchi (site en construction)